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arrive presque toujours, furent bientôt aperçues et dénoncées; elles sont fréquemment signalées dans les journaux de cette époque.

Les ministres, par leur fausse politique, attiraient sur eux les sarcasmes des journaux, les dénonciations de l'Assemblée, les clameurs et les malédictions de la multitude. Ils paraissaient s'occuper de préparatifs, de guerre; mais ils favorisaient sourdement les plans de l'émigration et des puissances étrangères. Un gouvernement ne peut long-temps tromper un public éclairé 1.

Le marquis de Ferrières, redoutable à toutes les factions par son impartialité, parle ainsi de ce ministère : « Les ministres ne mettaient aucune bonne » foi dans leur conduite avec l'Assemblée; tous » cherchaient à rejeter sur elle l'embarras des >> choses et des frottemens qu'éprouvait la constitu» tion, espérant rebuter l'Assemblée par les dé>> tails, s'imaginant qu'elle négligerait cette sur>>veillance minutieuse qui, dans une forme de gou>> vernement nouvelle et sujette à une foule de >> contradictions, est le seul moyen de prévenir les » résistances. Ainsi, par une politique adroite au premier aperçu, mais qui devint funeste à ses » auteurs, les ministres laissaient tout désorgani>> ser, et accusaient ensuite de cette désorganisa>>tion la constitution elle-même, assurant qu'elle

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'La dissimulation n'agit plus que sur les êtres faibles et passionnés. Autrefois on disait : Dissimuler c'est régner; aujourd'hui on doit dire : Dissimuler c'est se perdre.

T. II.

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>> ne fournissait aucun moyen d'exécution de ses » propres lois.

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» Le point essentiel était de tenir les forces de >> terre et de mer dans un état de délabrement, en paraissant néanmoins s'occuper avec beaucoup d'activité de les mettre sur un pied respectable, >> afin que si, d'après les mouvemens de l'intérieur, >> l'occasion se présentait d'entrer en France, les puissances étrangères s'offrissent tout-à-coup sous l'appareil le plus formidable, et inspirassent une telle terreur, que le peuple épouvanté se >> remît volontiers entre les mains du roi, et le conjurât de dissiper l'orage prêt à fondre sur lui. » C'était à quoi travaillait le ministre de la

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guerre (Narbonne) et le ministre de la marine (Ber>>trand de Molleville ). Ainsi, tandis que le mi>> nistre Tarbé exagérait le désordre des finances » et se plaignait à l'Assemblée de la non percep» tion des impôts, le ministre Du Portail rendait >> le compte le plus satisfaisant des armées, des ap>> provisionnemens, de l'état de défense où étaient » les places frontières '. »

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Avec une Assemblée soupçonneuse et vigilante, sous le règne de la liberté de la presse, dans un temps où chaque citoyen se considérait comme une sentinelle de la prospérité publique, ce rôle de déception, rôle toujours difficile et dangereux, ne pouvait

1 Mémoires du marquis de Ferrières, tome III, page 36. (Collect. B. F.)

être long-temps joué avec succès. Un ministère qui trompait l'Assemblée nationale et la France entière devait être peu durable. Le ministre Narbonne vit de loin l'orage qui le menaçait, et se hâta de donner sa démission '.

M. Bertrand de Molleville fut par le roi maintenu au ministère de la marine, et l'Assemblée nationale, dans sa séance du 10 mars, décréta d'accusation M. de Lessart, ministre des affaires étrangères, qui, le lendemain, fut traduit dans la prison d'Orléans pour être jugé par la haute-cour. M. Duport-Dutertre, ministre de la justice, pareillement dénoncé sur vingt chefs d'accusation, parvint, dans la séance du 16 mars, à se justifier; puis il donna sa démission. Ainsi le gouvernement prit une face nouvelle.

Le roi nomma M. Dumouriez à la place de M. de Lessart au ministère des affaires étrangères, M. Lacoste au ministère de la marine, M. Clavières à celui des finances, M. Cahier de Gerville à l'intérieur. Celui-ci donna sa démission, et le 23 mars M. Garnier fut nommé ministre de la justice, et M. Roland de La Platière ministre de l'intérieur.

« Ce ministère, dit M. le marquis de Ferrières, >> formé d'hommes inconnus, parut très-ridicule

1 Cette démission fut donnée, le 9 mars 1792, et le roi écrivit le 10 de ce mois, à l'Assemblée pour lui annoncer qu'il venait de nommer M. de Grave, à la place de M. de Narbonne.

>> aux courtisans. On l'appela par dérision le mi»nistère sans-culotte '.

>> Roland ressemblait à Plutarque ou à un quaker »endimanché. Des cheveux plats, peu de poudre, >> un habit noir, des souliers avec des cordons au >> lieu de boucles, le firent regarder comme le rhi>> nocéros. Il avait cependant une figure décente et >> agréable '.

» Le maître des cérémonies, effrayé de ce ren>> versement de l'étiquette, s'approcha de Dumou» riez d'un air inquiet, le sourcil froncé, la voix » basse, contrainte, et, lui montrant Roland du >> coin de l'œil: Eh! Monsieur, point de boucles à ses souliers!-Oh! Monsieur, répondit Dumou>> riez avec un grand sang-froid, tout est perdu ! 3 »

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Ce changement de ministère affecta fortement la reine; elle redoutait singulièrement Dumouriez, mais, d'après le bien que lui en dit le roi, elle désira le voir en particulier. Voici comment ce ministre décrit lui-même cette entrevue.

<< Introduit dans la chambre de la reine, il la >> trouva seule, très-rouge, se promenant à grands >> pas avec une agitation qui présageait une expli>> cation très-vive; il alla se poster au coin de la » cheminée. Elle vint à lui d'un air majestueux et >> irrité, et lui dit: Monsieur, vous êtes tout

Mémoires de Ferrières, tome III, p.53 5. (Collect. B. F.) "Vie de Dumouriez, t. II, p. 145 (Collect. B. F.)

3 Mémoires du marquis de Ferrières, tome III, page 54. (Collect. B. F.)

» puissant en ce moment; mais c'est par la fa» veur du peuple qui brise bien vite ses idoles. Votre » existence dépend de votre conduite. On dit que » vous avez beaucoup de talens ; vous devez juger » que ni LE ROi, ni moi, ne pouvons souffrir tou>> TES CES NOUVEAUTÉS, NI LA CONSTITUTION. Je » vous le déclare franchement. Il lui répondit: » Madame, je suis désolé de la pénible confidence » que vient de me faire Votre Majesté. Je ne la tra» hirai pas; mais je suis entre le roi et la nation, » et j'appartiens à ma patrie. Permettez-moi de » vous représenter que le salut du roi, le vôtre, » celui de vos augustes enfans est attaché à la cons»titution.... vous êtes tous les deux entourés d'en» nemis qui vous sacrifient à leur propre intérét. » La constitution..... bien loin de faire le malheur » du roi, fera sa félicité et sa gloire..... L'in» fortunée reine, choquée de ce qu'il heurtait ses » idées, lui dit en haussant la voix, avec colère: » Cela ne durera pas, prenez garde à vous! » Dumouriez répondit avec une fermeté modeste : » Madame, j'ai plus de cinquante ans; ma vie a » été traversée par bien des périls, et, en prenant » le ministère, j'ai bien réfléchi que la responsa»bilité n'est pas le plus grand de mes dangers. » Il ne manquait plus, s'écria-t-elle avec douleur, » que de me calomnier. Vous semblez croire que » je suis capable de vous faire assassiner. »

Dumouriez employ a les discours les plus propres à calmer la reine, à se justifier auprès d'elle; re

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