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CHAPITRE VIII.

des agens des pPUISSANCES ÉTRAngères, de leurs MANOEUVRES CONTRE LA MAJORITÉ DE LA CONVENTION NATIONALE; DES JOURNÉES DU 25 FÉVRIER, DU 10 MARS; ÉTABLISSEMENT DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE; EXPULSION DE LA FAMILLE DES BOURBONS; DÉCRET D'ACCUSATION CONTRE MARAT, SON

TRIOMPHE.

QUE de manœuvres pénibles et perfides, que d'intrigues sourdes, que de malheurs accumulés, que de crimes commis par des hommes dévorés par la soif du pouvoir! que de ruines, que de larmes, que de sang, que d'outrages à la morale publique, pour parvenir à dépouiller une nation de la liberté qu'elle a conquise! La matière de ce chapitre et des suivans m'inspire ces déplorables réflexions.

Si, dans une fidèle relation des événemens, on laissait ignorer les ressorts secrets qui les ont amenés, l'histoire resterait incomplète, stérile en leçons, et l'inquiète imagination du lecteur, cherchant les causes de ces événemens, s'égarerait dans le vague des conjectures. Je n'ai rien négligé et ne négligerai rien, dans le cours de cet ouvrage, pour fixer les incertitudes, pour mettre en évidence les causes des crimes et des malheurs de la révolution, et pour en faire connaître les auteurs. Mais tous les documens sur cette matière délicate n'inspi

T. II.

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t

rent pas la même confiance; les soupçons ne sont pas des preuves: il est donc convenable de ne pas tout dire, de se taire sur des bruits, sur des assertions, dénués d'appuis solides, de ne donner les faits douteux qu'avec les expressions du doute qui les environne encore.

Toutefois, il est une vérité que j'ai déjà établie et dont je dois produire de nouvelles preuves, parce que j'ai atteint une époque où son émission devient plus nécessaire à l'intelligence des événemens. Cette vérité, qui doit servir de base à plusieurs inductions, est l'influence des puissances ennemies sur les grandes catastrophes de la révolu tion. Il est certain, et l'on va s'en convaincre, que les cours étrangères entretenaient, à Paris et dans plusieurs villes des départemens, des chargés de mettre les passions en mouvement, d'amener des désordres, et la ruine du gouvernement républicain. Cette manoeuvre immorale n'est pas nouvelle; l'histoire en offre de nombreux exemples; elle a été pratiquée en France, à Paris dès les premières époques de la révolution, dans les derniers temps de la monarchie constitutionnelle, et avec une activité plus énergique encore pendant le gouvernement républicain '.

agens secrets

Il est tout aussi certain que ces agens, outre leur rôle d'espion, devaient exciter les troubles

par

des

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Voy. tom. I, p. 34, 35, 267 — 274, 308, 382-384, 491, 492; tom. II, pag. 90, 91, 112, 149, 172, 247, 257-258.

disettes factices, irriter les passions par de faux rapports, provoquer les séditions et les massacres, acquérir, avec l'argent qu'ils prodiguaient, une puissante influence sur le gouvernement, et envoyer à l'échafaud tous les amis de l'ordre, tous ceux qui s'occupaient sincèrement de donner à la France un gouvernement libre et stable. Il est certain de plus que ces agens, pour remplir efficacement ce rôle odieux, devaient revêtir le costume, prendre le langage, les allures, affecter les sentimens des patriotes les plus soupçonneux, les plus exagérés, et se montrer plus qu'eux amis jaloux de la liberté, plus ardens, plus audacieux pour la défendre. Ils étaient en outre chargés de commettre toutes sortes de crimes pour souiller, rendre insupportable et faire détester la révolution qu'ils ne devaient embrasser que pour l'étouffer.

Non-seulement le ministère anglais, mais toutes les puissances de l'Europe, en guerre contre la France, entretenaient des agens secrets. Ces puissances d'accord pour opérer la ruine de la révolution, ne l'étaient pas toujours sur les moyens, ne l'étaient pas même sur les résultats. Leurs agens, obéissant à la direction de leurs maîtres, se contrariaient souvent dans leurs actions, dont la divergence fut sentie par les observateurs. Robespierre, par leur secours, vainqueur des girondins, n'ayant plus besoin de ces auxiliaires, les traita comme des ennemis, et en fit périr plusieurs sur l'échafaud. Leurs actes d'accusation

nous les font connaître. Voici les noms de ces principaux agens de l'étranger.

Jean-Conrad Kock, banquier hollandais, réunissait dans sa maison à Passy, plusieurs députés, plusieurs membres de la commune. Il paraît avoir été l'agent de la Hollande.

Pierre-Jean Berthold Proly, de Bruxelles, fils naturel du comte Proly, était agent de la Prusse et de l'Autriche.

Jean-Frédéric Dédericshen et les deux Frey, natifs de Moravie, sont désignés comme ageus de l'Autriche.

L'un de ces frères, Sigismond-Coottlob Frey, baron de Schonfeld, se fit en France surnommer Junius; le plus jeune, Emmanuel Frey, prit le surnom de Brutus. Ces deux étrangers s'introduisirent chez le député Chabot, ex-capucin, le séduisirent en lui offrant leur soeur ou prétendue soeur, Léopoldine Frey, en mariage, avec deux cent mille livres de dot. Le député accepta et seconda les manoeuvres de ses beaux-frères. Dans la procédure, Chabot avoua que ses beaux-frères étaient des agens de l'Autriche et qu'il en avait été la dupe.

André-Marie Gusman, Espagnol, était, à ce qu'il paraît, l'agent de l'Espagne; il fut condamné en cette qualité. Il paraît aussi que ce Gusman était l'agent secret mentionné dans la lettre que l'ambassadeur d'Espagne à Venise adressa, le 31 juillet 1793, au duc d'Alcudia, ministre à Madrid. Voici

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le passage qu'on y trouve : « Le 11, on apprit la »> nouvelle de la suppression du comité de sûreté publique et son renouvellement. Neuf des prin>>cipaux chefs maratistes y sont entrés. Marat lui» même en est le président, et Robespierre le se» crétaire. Cependant la fortune veut que parmi >> ces neuf, il y ait un espion, complètement roya» liste, mais bien masqué en maratiste 1. »

Ce n'est point parce que ces étrangers furent condamnés, comme agens secrets, par le tribunal révolutionnaire, que je les place dans cette catégorie; mais parce que leur conduite précédente, leurs manœuvres perturbatrices, leurs exploits sanglans, leur participation à toutes les convulsions politiques et aux journées les plus désastreuses de la révolution, décèlent leurs ignobles et atroces fonctions. Ces agens étrangers avaient entrainé et séduit, avec leur or, plusieurs particuliers français et même des députés dont je ne dois pas parler ici.

Parmi les agens que Robespierre envoya, en 1794, à l'échafaud, on doit s'étonner de ne pas y trouver ceux du ministère anglais. On déclamait sans cesse contre ces derniers; les rapports de Saint-Just et de Barrère leur attribuaient tous les maux de la France, et aucun d'eux n'est arrêté, n'est condamné. Cependant le nom de Pitt était

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186.

Rapport de Courtois, pièces justificatives, pages 185,

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