Page images
PDF
EPUB

MM. Delaborde et Dandré, ainsi que plusieurs épiciers qui avaient fait de fortes provisions de cette marchandise, quittèrent brusquement Paris, Il y eut quelques scènes violentes et des coups de fusil tirés. On remarqua distinctement des instigateurs s'efforçant de mettre le peuple aux prises contre la garde nationale. La municipalité fit une proclamation où l'on trouve cette phrase historique: « Depuis long-temps les ennemis de notre » liberté cherchent à occasioner un grand bou>> leversement; ils se croient arrivés à leur but: » ils seront trompés dans leur attente. »>

La société des jacobins, dans sa séance du 29 janvier, arrêta, d'après la motion de Louvet, que tous ses membres s'abstiendraient de sucre tant qu'il serait aussi cher.

Les perturbateurs, croyant que le mouvement causé par la cherté des sucres commençait à se ralentir, lui donnèrent une autre direction, et poussèrent le peuple de Paris à demander la diminution du prix du pain; manœuvre qui ne produisit que peu d'effet.

La ville de Provins éprouva un semblable mouvement. Le 24 janvier, à six heures du soir, le peuple se souleva contre un habitant accusé d'avoir accaparé du blé, du sucre, du café, etc.; il voulait le pendre. Les magistrats furent obligés de proclamer la loi martiale, et le soulèvement fut dissipé.

Dans la séance du 4 février, une lettre du mi

nistre de la justice annonce l'assassinat commis en janvier dans le département du Puy-de-Dôme sur un prêtre constitutionnel.

A Metz, dans la nuit du 24 au 25 janvier, des malfaiteurs se portèrent sur la terrasse où s'élève l'édifice du gouvernement, détachèrent un carreau de la fenêtre d'un bureau dépendant du secrétariat du département, ouvrirent cette fenêtre, entrèrent, et placèrent, sous des tablettes chargées de papiers, une botte de paille enflammée qui consuma ces papiers, et aurait fait de plus grands ravages, si les progrès du feu n'eussent été arrêtés par l'arrivée d'un garçon de bureau. Le 1er février suivant, les incendiaires firent contre cette ville une nouvelle tentative qui ne réussit pas mieux que première.

la

Le 26 janvier, à Auch, un mouvement violent éclata à l'occasion de deux églises fermées par ordre de la municipalité, et rouvertes par celui du directoire du département; une foule menaçante, armée de bâtons, remplit les salles de ce directoire, et obligea ses membres à rapporter leur arrêté.

Le 30 janvier, la municipalité de Versailles surprit, dans les souterrains de l'hôtel de la Guerre de cette ville, des hommes occupés à fabriquer des milliers de cartouches destinées, disait-on, à la nouvelle garde royale : ce qui fit plus que jamais croire au bruit d'une prochaine évasion du roi, bruit fort répandu par les journaux du temps; tantôt ce

prince devait se rendre à Metz, tantôt à Lyon'. A cette époque, les pamphlets, les affiches abondent ainsi que des embaucheurs pour les armées d'outre-Rhin; de plus l'émigration, nombreuse dans les mois de septembre et d'octobre, ralentie dans celui de décembre 1791, reprit une activité extraordinaire. Ce fut pendant ce mois de janvier que la disette du numéraire, attiré hors de France par les émigrés, se fit vivement sentir, et qu'on s'aperçut qu'il circulait de faux assignats de 500 livres et de 1000 livres. On accusait le ministère anglais d'avoir fait fabriquer cette fausse-monnaie, et les émigrés de la distribuer.

Tel est le tableau vrai, mais peint en raccourci, de l'état des esprits et la physionomie politique de la France au mois de janvier 1792. Les mois suivans ne furent pas moins agités. Le 6 février, une émeute éclata à Noyon contre de prétendus accaparemens de blé. Le lundi 13, à Dunkerque, un pareil événement, sous le même prétexte, se manifesta. On y vit une poignée de brigands piller sans obstacle plusieurs bateaux, et le lendemain ces mêmes hommes, à la tête d'une multitude de femmes et

1

Lorsque le maire de Paris, Pétion, rendit compte à Louis XVI des mesures que la municipalité avait prises pour faire cesser les attaques contre les magasins de sucre, le roi lui dit en riant: Dit-on toujours que l'on veut m'enlever? Pétion répondit: Sire, il n'est que trop vrai que vos ennemis et les nôtres verraient avec plaisir que Votre Majesté se laissát alarmer par des troubles dont ils seraient les moteurs

d'enfans, dévastent, incendient dix des plus riches maisons de la ville. La municipalité effrayée ne se détermina à déployer le drapeau rouge que lorsque le mal fut consommé.

Le même jour, lundi 13, on vit à Paris les signes avant-coureurs d'une émeute. Ce jour deux voleurs furent conduits au corps-de-garde du Passagedu-Commerce; des curieux s'attroupèrent à la porte; un particulier bien vêtu s'approche, et, se mêlant parmi la foule, dit assez haut: Il faut pendre à l'instant ces voleurs; tous les jours on en arréte et l'on ne les pend point. Frappé de cette provocation, un Parisien lui dit : A votre figure, à votre accent, on voit que vous n'êtes pas Français; pourquoi vous mélez-vous de nos affaires? L'étranger répondit qu'à la vérité il n'était pas né en France, mais qu'il avait l'ame française. Si vous l'aviez, répliqua le Parisien, vous respecteriez nos lois, et vous sauriez que nous ne devons pas nous faire justice, puisque nous avons des tribunaux pour cela. Vos propos me font croire que vous étes un des malintentionnés envoyés à Paris, et payés pour exciter des troubles. L'étranger s'esquiva‘.

Quelques autres provocations de cette espèce, et des indices d'un prochain soulèvement, déterminèrent M. Moinery, teinturier, qui possédait un magasin de sucre dans le faubourg Saint-Marcel,

1

Thermomètre du Jour, premier trimestre de 1792, no 51%

p. 418.

rue des Gobelins, derrière l'église de Saint-Hippolyte, à prendre des précautions de sûreté. Pendant la dernière émeute ce propriétaire avait eu des craintes et obtenu une garde de quelques militaires. Cette fois-ci il résolut de transférer ailleurs sa marchandise, et le mardi matin il vint demander à la municipalité un piquet de cavalerie pour escorter les voitures de transport. Deux voitures sortirent sans inconvénient; mais au moment où l'on chargeait la troisième, cinq à six cents femmes vinrent arrêter cette voiture, et débitèrent quatre tonnes de sucre, à raison de 20 sous la livre, ce qui produisit une somme de 1,250 livres.

Le lendemain mercredi, nouveaux troubles plus violens que ceux de la veille. Vers une heure après midi, une multitude de femmes se présente à la porte du même magasin, et demande du sucre à 20 sous la livre. Un détachement de cavalerie arrive, et, trouvant les rues barricadées, il est obligé de forcer le passage le sabre à la main. Alors plusieurs individus montent au clocher de l'église de Saint-Marcel et sonnent le tocsin. A ce bruit une foule immense accourt, la générale se fait entendre dans ce quartier. On parvient à faire retirer du clocher ceux qui sonnaient le tocsin. Mais à trois heures et demie une nouvelle troupe de peuple enfonce la porte du clocher et répand encore l'alarme. Le nombre des curieux et le désordre s'augmentent; un détachement de cavalerie, commandé par M. Carle, accroit l'effervescence au lieu de la

« PreviousContinue »