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était un feu très-vaste, autour duquel nous › remarquâmes deux ou trois hommes debout, qui >> nous parurent immobiles et insensibles au milieu » de ces nombreux et déplorables résultats du >> carnage.

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>> A notre gauche, un long bâtiment, remplacé >> aujourd'hui par une grille, bâtiment composé » d'un rez-de-chaussée et d'un étage supérieur, qui séparait la place du Carrousel des cours des » Tuileries, et où se trouvaient les casernes des Suisses, était en proie à un incendie. Sur cette » scène de feu et de cadavres régnait un silence qui n'était troublé que par le bruit de notre » marche lente, et par celui des planchers et » des poutres qui, se détachant des murs, s'é>> croulaient; et leur chute faisait jaillir par les » fenêtres des torrens de flammes.

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>> Les deux patrouilles réunies pour se rendre dans >> la cour des Tuileries, passèrent sous ce bâtiment » incendié. Le bois des deux battans de la porte » était réduit à l'état de charbons ardens, et leur >> chaleur, sentie aux jambes, faisait doubler le pas » à ceux qui franchissaient ce passage dangereux. » Arrivés dans la cour, nous y fîmes une longue >> station, parce que quelques gardes, récemment placées dans le château, s'opposaient à l'entrée » de notre double patrouille. Ce retard nous donna >> le loisir d'observer les scènes affreuses qui nous » environnaient.

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» La lumière d'un grand feu, allumé au milieu

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» de la cour, celle des bâtimens incendiés éclai>> raient un tableau désolant. Ici on voyait des amas de cadavres; là, épars sur le pavé, d'autres cadavres gissaient parmi des corps animés, mais endormis par l'ivresse. On ne distinguait les morts des vi>> vans qu'aux vêtemens dont ces derniers étaient

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>> couverts.

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» Nous vimes au milieu du feu des corps à

demi consumés, et l'odeur qui s'exhalait de >> cette combustion de chair humaine ajoutait à » l'horreur que nous causait ce spectacle.

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» Nous détournions les yeux, et les portant vers » le château, à travers le vestibule, nous aper>> çûmes dans le jardin des lumières errantes, >> semblables à ces météores ignés qui s'élèvent et vaguent, pendant les chaleurs des nuits, au-dessus des terrains marécageux. Tant que nous >> fûmes stationnaires dans la cour, notre imagi>> nation s'exerca, se tourmenta vainement pour >> découvrir la cause de ce phénomène. Un poëte, nous voyant placés dans le séjour des morts, au >> milieu des flammes dévorantes, aurait pris ces >> lueurs voltigeantes pour des ames, cherchant à se réunir au corps dont elles venaient d'être sé

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parées. Enfin nous pûmes pénétrer sous le ves» tibule du château; notre impatiente curiosité fut >> satisfaite, et, à de vagues conjectures, succéda }) une triste réalité.

>> Ces feux errans étaient des chandelles allu

»mées que nous apercevions dans l'obscurité, sa >> voir les personnes qui les portaient. Ces per>> sonnes auxquelles la garde qu'on venait d'établir >> refusait l'entrée du vestibule faisaient des tenta»tives pour y entrer. Cette double action produi>> sait l'agitation des lumières. Ces personnes vou»laient entrer dans le château des Tuileries, et >> s'étaient munies de chandelles allumées pour pénétrer dans les lieux obscurs, et pour s'y » livrer au pillage.

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» Arrivés sous le vestibule, au bas de l'escalier » qui conduisait à la chapelle et aux appartemens, » nous y fimes une longue et pénible station. Les >> espaces qui se trouvaient des deux côtés de cet escalier entre les rampes et les murs étaient remplis de cadavres nus.

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» Enfin nous montâmes dans les pièces qui précèdent la chapelle et dans la chapelle elle» même où se trouvait un officier de garde. Après quelques explications sur la difficulté que nous >> avions éprouvée pour pénétrer jusque-là, et sur l'objet de notre visite, nous sortimes du château, >> et nous nous rendimes, vers une heure et demie » du matin, au lieu des séances du corps légis>> latif.

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>> Admis à la barre, nous parlames de l'incen» die qui dévorait le bâtiment situé entre la place » du Carrousel et les cours des Tuileries; nous >> dîmes que, si l'on ne se hâtait d'en arrêter les

progrès, le feu se communiquerait aux Tui

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»leries et à la galerie du Louvre. L'Assemblée nomma un commissaire, M. Thuriot, qui vint avec la patrouille examiner l'état de l'incendie. » et qui ne parut pas en être fort alarmé. >> Nous reconduisîmes ce député au corps législatif; puis nous longeâmes la façade des Tui»leries du côté du jardin. Il semble que celui qui nous commandait ait voulu, en prenant cette >> direction, mettre notre sensibilité à l'épreuve. >> Le bas de cette façade était entièrement bordé » de cadavres nus. Dans l'obscurité, malgré >> soins, il nous était bien difficile de ne pas poser >> les pieds sur quelque corps, de ne pas fouler >> quelques membres. Pendant que nous marchions » à travers ces cadavres, un jeune homme qui se >> trouvait en ligne avec moi, me dit dans un mo» ment d'émotion : Ah! Monsieur, que la liberté » coûte cher! Ce bon jeune homme se méprenait. Après avoir parcouru plusieurs rues du faubourg Saint-Germain, la patrouille, vers les trois >> heures du matin, rentra au corps-de-garde. J'y déposai ma pique, et j'allai à ma section faire >>ce rapport. Les tableaux que m'offrit cette nuit » ayant laissé de profondes impressions dans ma » mémoire, je les retrace ici avec une rigou» reuse fidélité. »

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Le 11 août, à neuf heures du matin, l'Assemblée nationale rentra en séance, et décréta, sur la motion de Thuriot, que toutes les statues des rois qui se trouvaient à Paris et en France seraient ren:

versées sous la surveillance des autorités constituées.

Ce jour-là, parmi une classe du peuple, la fermentation fut extrême. Il paraît que les agens de troubles étaient en grande activité; que l'argent avait été répandu à profusion, et que les chefs voulaient s'approprier les fruits du mouvement de la veille. Un trône vacant a tant d'attraits!.... Il enflamme toutes les ambitions: le malheureux qui aspire à y monter ne recule devant aucun danger, devant aucun crime. Pour ceux qui, comme le ministère anglais et ses adhérens, ne désiraient produire qu'un désordre universel, que des embarras inextricables, que mettre la France à feu et à sang, l'occasion était favorable; ils la saisirent; et avec leurs instrumens ordinaires, l'or et le peuple, ils tentèrent d'exciter un bouleversement complet.

On bat le rappel, les boutiques se ferment, et une foule tumultueuse se porte à la prison de l'Abbaye pour en tirer M. d'Affry père et l'égorger.

Une foule semblable est deyant le bâtiment des Feuillans où des Suisses échappés aux massacres avaient été recueillis. Elle demande à grands cris les têtes de ces malheureux. L'Assemblée députe plusieurs de ses membres pour rappeler à ces hommes sanguinaires ce qui est dû à la justice et à l'humanité. Elle parvient à les éloigner.

La municipalité provisoire vient annoncer que

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