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Tous les hommes, Suisses ou Français, trouvés dans les Tuileries, furent impitoyablement égorgés, et leurs cadavres, jetés par les fenêtres, bientôt dépouillés par la classe la plus abjecte de la ville, restèrent jusqu'au lendemain dans un état complet de nudité, et bordaient du côté du jardin et de celui du Carrousel les deux façades des Tuileries.

L'horreur qu'inspire le récit de ces massacres est un peu calmée par la rencontre de quelques traits d'humanité; il en est plusieurs. Les Suisses qui purent échapper aux fers des égorgeurs, furent recueillis par des particuliers ou par le corps législatif. Ils trouvèrent même des protecteurs parmi ceux qui paraissaient les plus acharnés à leur destruction.

Toutefois ceux que l'on nommait improprement le peuple, se montraient sans pitié; habitués au carnage, ils se faisaient un plaisir, peut-être une gloire, de verser le sang des hommes. Vers une heure et demie, une soixantaine de Suisses, échappés aux massacres, s'étaient réfugiés dans les bâtimens qu'on nomme les Petites-Écuries, situées sur le Carrousel; ils furent découverts et conduits à l'Hôtel-de-Ville, devant la commission permanente qui y siégeait. Les égorgeurs les forcèrent d'en sortir, et descendant l'un après l'autre l'escalier de cet hôtel, ils furent dans la cour même égorgés l'un après l'autre.

Quelques journalistes, exagérés dans le parti

royaliste, trouvés en habit de grenadier, se rendant au château, furent massacrés.

Le nombre des Suisses morts surpassa de beaucoup celui des Suisses qui survécurent. D'après les inscriptions du monument élevé à Lucerne à la mémoire de ces victimes, il résulte que vingt-six officiers, et environ sept cent soixante soldats suisses périrent au 10 août, et que seize officiers et environ trois cent cinquante soldats échappèrent à la mort.

Ces massacres commencés vers midi furent terminés avant deux heures. On pouvait alors sans danger', mais non sans éprouver un sentiment d'horreur, parcourir le jardin des Tuileries. A tous les dix pas on rencontrait un cadavre, on rencontrait même des portions de corps humains qui prouvaient que quelques massacreurs avaient poussé la barbarie jusqu'à dépecer les membres de ceux qu'ils avaient égorgés. Il semblait que les furies eussent choisi le plus beau jardin de Paris pour en faire le théâtre de leurs affreux exploits, et y laisser les traces de leur puissance infernale.

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Mais laissons ces tableaux affligeans, et repor

Pourvu qu'on ne fût pas vêtu d'un habit rouge. Le peuple s'irritait à la vue de cette couleur, celle des habits des Suisses Un jeune homme, traversant les Tuileries avec un habit rouge, se cacha vite derrière un if du parterre, y se voyant menacé " déposa son habit et se retira sans obstacle. Dans la rue SaintHonoré, deux chasseurs bretons, montés à cheval, furent pris pour des Suisses et devinrent les victimes de cette erreur.

T. II.

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tons-nous au lieu des séances de l'Assemblée nationale.

Louis XVI y était entré roi, il en sortit captif. On verra par quels degrés il descendit du trône à la prison.

Le bruit du canon et de l'artillerie s'y faisaient entendre; des balles, qui pénétraient par les fenêtres de la salle des séances et en frappaient le plafond, n'intimidèrent point les membres de l'Assemblée. Dans le moment le plus critique, ils se lèvent simultanement, crient, vive la liberté! vive l'égalite! et levant les mains au ciel, jurent de mourir pour sauver la patrie.

On procéda à un appel nominal pour connaître les députés qui n'étaient point à leur poste, et chaque membre appelé prêta le serment suivant: Au nom de la nation, je jure de maintenir la liberté et l'égalité, ou de mourir à mon poste.

Les administrateurs provisoires de la commune de Paris viennent présenter leurs hommages à l'Assemblée nationale. Léonard Bourdon est leur orateur. Ils prêtent le serment de fidélité à la loi du salut du peuple.

Divers individus qui, après la victoire des Marseillais, étaient entrés en foule dans le château, viennent apporter à l'Assemblée les objets précieux qu'ils y avaient trouvés; les pierreries de la reine, de l'argent monnoyé, des bijoux, et des papiers importans.

Après avoir rendu quelques décrets urgens, l'AS

semblée entend le rapport de Vergniaud qui, au nom de la commission extraordinaire, offre un projet de décret, dont le premier article contient la convocation d'une Convention nationale; le second porte la suspension provisoire du pouvoir exécutif, jusqu'au moment où la Convention nationale aura décrété des mesures propres à assurer l'indépendance de la nation. Ce projet porte en outre la suspension de la liste civile et la nomination d'un gouverneur pour le dauphin.

Ce projet contient les articles suivans: « Le roi et la famille royale demeureront dans l'enceinte du corps législatif; et le département fera, dans le jour, préparer au Luxembourg un appartement pour les loger, etc. » Ce projet est adopté.

Jusqu'alors la suspension du roi n'est que provisoire, et le logement qu'on lui destine n'est point une prison.

On déclare que les ministres n'ont plus la confiance de la nation, et on se dispose à en nommer de nouveaux. On rappelle d'abord les ministres expulsés par Louis XVI, Roland, Clavière et Servan. Ensuite l'appel nominal donne, pour les autres ministères, Danton à la justice, Monge à la marine, Lebrun aux relations extérieures; Grouvelle, qui avait partagé les voix pour ce dernier ministère, est nommé secrétaire du conseil.

La séance du 10, suspendue le 11 à trois heures du matin, est reprise à neuf heures.

L'état des Tuileries, pendant la nuit du 10 au

11 août, servira à compléter le tableau, et la relation suivante, inédite et composée par un témoin digne de foi, remplira une lacune laissée par tous ceux qui ont décrit la journée du 10 août.

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« J'étais un des secrétaires de la section du » Théâtre-Français. Vers les onze heures du soir, >> les membres du bureau, ayant témoigné de l'inquiétude sur l'état de Paris, me chargèrent de me rendre au corps-de-garde de la section, d'y >> inviter le commandant du poste à faire partir une patrouille qui se porterait notamment au >> château des Tuileries; de me placer dans cette patrouille, et de revenir ensuite leur faire un rap» port de ce que j'aurais observé. Je me rends au >> corps-de-garde, une patrouille de cinquante >> hommes est formée : je m'arme d'une pique, et nous partons.

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» Arrivés à l'extrémité du Pont-Neuf, nous ren>> contrâmes une autre patrouille aussi nombreuse que la nôtre; nous nous joignîmes à elle. Nous >> suivîmes ensemble le quai jusqu'aux arcades, » appelées Guichet de Marigny, sans rencontrer >> rien de remarquable.

» A peine entrés sur la place du Carrousel', nos » yeux sont frappés par un spectacle étrange et » horrible. Il était alors près de minuit. A notre droite, nous aperçûmes, sur différens points de >> cette place, quatre ou cinq monticules d'environ >> vingt pieds de hauteur chacun, composés de » cadavres entièrement nus. Au centre de la place

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