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rivés le même jour à Paris, devaient être plus disposés à dîner qu'à combattre. Et les grenadiers des Filles-Saint-Thomas et autres, au nombre de 44 ou 45, et parmi lesquels se trouvaient des hommes âgés et prudens, n'auraient pas été chercher querelle à 400 Marseillais.

Après cette échauffourée, où il y eut un mort et plusieurs blessés, les Marseillais se retirèrent dans leur caserne de la Nouvelle-France et y firent transporter le dîner commandé pour eux aux ChampsÉlysées.

Dans la nuit du 3 au 4 août les Marseillais quittèrent leur caserne et vinrent occuper celle des Cordeliers, rue de l'Observance. L'assemblée de la section du Théâtre-Français, qui siégeait dans la maison de ce couvent, leur donna une fête où fut chanté, pour la première fois, l'hymne fameux nommé, à cause de cette circonstance, l'hymne des Marseillais, dont les paroles et la musique ont pour seul auteur M. Rouget de l'Ile; hymne qui a soutenu, excité le courage des Français au milieu des combats, et les a souvent conduits à la victoire. Elle peint les alarmes, les opinions du moment, elle tend à allumer, dans l'ame des jeunes Français, un courage que la circonstance rendait absolument nécessaire; je n'en citerai que deux strophes, la première et la dernière.

Allons, enfans de la patrie,
Le jour de gloire est arrivé ;

Contre nous de la tyrannie

L'étendard sanglant est levé... (bis.)
Entendez-vous, dans les campagnes,
Mugir ces féroces soldats?

Ils viennent jusque dans vos bras,
Égorger vos fils, vos compagnes.
Aux armes, citoyens, formez vos bataillons!
Marchez marchez !

Qu'un sang impur abreuve nos sillons.

Amour sacré de la patrie,

Conduis, soutiens nos bras vengeurs;

Liberté, Liberté chérie,

Combats avec tes défenseurs! (bis.)

Sous nos drapeaux que la victoire
Accoure à tes mâles accens;

Que tes ennemis expirans

Voient ton triomphe et notre gloire.
Aux armes, etc.

Depuis le 20 juin, l'entrée du jardin des Tuileries était interdite au public, et cette interdiction dura pendant le mois de juillet. Cependant il fut ouvert le lendemain de la réconciliation éphémère proposée par le député Lamourette; mais on le referma quelques jours après. L'Assemblée rendit le 25 juillet un décret portant que, dans l'enceinte de l'Assemblée nationale, serait comprise la terrasse de ce jardin, appelée terrasse des Feuillans, contiguë à la salle des séances de cette assemblée.

Pour faire respecter ce décret, pour que le public ne franchît pas un mur peu élevé, ne des

cendît pas dans le jardin par les escaliers de cette terrasse, il fallait établir une barrière; elle fut établie. Elle ne consistait qu'en un frêle ruban, tendu dans toute la longueur de la terrasse et soutenu par les arbres qui la bordent. A l'extrémité occidentale, à l'endroit où commence une autre terrasse plus élevée, on se borna à tracer une ligne sur le sable, le peuple respecta et cette ligne tracée et le ruban auquel on appendit plusieurs inscrip

tions'.

Voici comment madame Campan rapporte ce fait: « Il fut décidé que le jardin des Tuileries serait » fermé. Aussitôt que cette mesure fut prise, l'As» semblée décréta que toute la longueur de la ter» rasse des Feuillans lui appartenait, et l'on fixa les >> limites entre ce qu'on appelait la terre nationale » et la terre de Coblentz, par un ruban aux trois » couleurs, tendu d'un bout à l'autre de la ter

>> rasse 2. »

Le soir même où cette barrière fut posée, M. d'Eprémesnil, se mêlant imprudemment parmi le public

Les plus remarquables de ces inscriptions étaient celles-ci.

On brise les fers d'un tyran;

On respecte un simple ruban.

Le citoyen sage respectera cette barrière, jamais la liberté n'en aura mis une plus glorieuse entre elle et l'odieux despo

tisme.

• Mémoires de madame Campan, tom. II, pag. 231. (Collect. B. F.)

qui remplissait cette terrasse, dit, à ce qu'on rapporte, qu'il était aristocrate, mais que la vue de cette barrière le rendait démocrate. On prit ces paroles pour une provocation à franchir la barrière. On se jette sur lui, on le frappe; à ses cris, quelques députés lui font un rempart de leur corps et le conduisent dans la cour qui précédait la salle des séances.

M. d'Eprémesnil, un des premiers instigateurs de la révolution ', et qui en abandonna de bonne heure les principes, avait alors, parmi les patriotes, acquis une funeste réputation. Son nom, prononcé dans cette circonstance, passa de bouche en bouche, réveilla l'attention d'une troupe de malveillans, toujours prêts à saisir les occasions de causer des troubles et de commettre des violences. Cet imprudent fut arrêté, entraîné au Palais-Royal et très-maltraité en chemin. On lui déchira ses habits; on le frappa de plusieurs coups de sabre. « Quelques

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gardes nationales parviennent à l'arracher des » mains de cette populace, dit le marquis de Fer>> rières, et le portent à la Trésorerie où on le >> couche sur un mauvais matelas. On court avertir » Pétion..... Il entre dans la chambre où l'on avait >> mis d'Eprémesnil; à la vue de cet homme, au>trefois l'idole du peuple, en ce moment couvert >> de sang et de blessures et devenu tout-à-coup l'objet de sa haine et de ses fureurs, Pétion s'ar

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»rête. Et moi aussi, M. Pétion, lui crie d'Epré» mesnil, j'ai été chéri de ce peuple: il m'a donne » des couronnes : j'étais le plus ferme soutien de » ses droits; vous voyez comme il me traite1.

» Pétion, soit pressentiment, ne put cacher son » émotion. Ce tableau frappant de l'instabilité de » la faveur populaire, lui inspira un triste retour » sur lui-même, il s'approche avec des paroles con>> solantes; mais, comme il fallait toujours que le » peuple eût raison, on conduisit d'Eprémesnil à » l'Abbaye Saint-Germain; il en sortit au bout de quelques jours; ses blessures étant guéries, il se » retira à la campagne 1. »

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Un journal rapporte que l'abbé de Lille, venu sur la terrasse des feuillans, dit : « Quel peuple! >> il a pris la Bastille, il brave tous les jours les >> baïonnettes et le canon, et il se contient à la vue

'Cette conclusion, comme plusieurs autres qu'on a tirées de semblables événemens, étant basée sur des faits inexacts, manque entièrement de justesse : ce n'était pas le peuple qui maltraitait M. d'Eprémesnil, mais une soixantaine de misérables, soudoyés par on ne sait quel ministère, qui journellement s'attroupaient devant les portes du lieu des séances de l'Assemblée et qui n'attendaient qu'une occasion ou un signal de leur chef pour commettre des violences. Il est temps de redresser les idées sur ce qu'on appelle peuple, et de faire sentir combien, à ce sujet, sont mal fondées les déclamations des contempteurs de la révolution.

2 Mémoires du marquis de Ferrières, tome III, page 160. (Collect. B. F.)

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