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sans argent. Enfin le besoin fit prévaloir encore l'ancien préjugé, qui avoit introduit cet expédient pernicieux tous les mémoires, ceux même des marchands de Paris, invitoient à en faire usage. La théorie des finances étoit si obscure, et la force de l'exemple tenoit tellement lieu de principes, que très-peu de personnes connoissoient le mal, caché sous une apparence de bien. Le gouvernement fut entraîné malgré lui, et ordonna une refonte des espèces. Il déclara qu'au premier janvier 1716 les louis d'or anciens vaudroient vingt livres au lieu de quatorze, et les écus cinq livres, au lieu de trois et demie : on reçut les louis d'or à la monnoie pour seize livres, et les écus pour quatre. « C'étoit un parti mauvais en soi, dit le «duc de Noailles (1), mais qui parut nécessaire. » On prit toutes les mesures possibles pour en prévenir les inconvéniens. Le bénéfice fut d'environ soixantedouze millions, qu'on employa à payer les dépenses les plus urgentes.

Mais cette opération croisa le succès d'une autre véritablement essentielle, que Noailles fit entrepren-. dre, malgré les difficultés infinies de l'exécution. Il s'agissoit d'examiner et de liquider les papiers royaux, les billets sans nombre faits pour le service de l'Etat, circulant dans le commerce avec perte de quatre cinquièmes; il s'agissoit de constater les doubles emplois, multipliés par la fraude et l'avarice; d'assurer le sort des propriétaires, de façon à rétablir la confiance; de convertir tous ces papiers en une espèce de billets dont la valeur fût invariable, jusqu'à ce qu'on les eût entièrement retirés. Ce fut l'objet (1) Mémoire du duc de Noailles sur les finances. M.)

d'un édit du 7 décembre, où l'on faisoit parler le Roi avec la justice et la bonté que le ministre prenoit pour règles de sa conduite.

[1716] Quatre mois après, le travail du visa étant fini, parut une déclaration qui réduisoit tous ces papiers en billets de l'Etat, pour la valeur de deux cent cinquante millions. Quatre frères dont la capacité et les services ont mérité l'approbation publique, les Paris, furent employés à un travail si épineux, prélude de celui qu'ils exécutèrent après le système.

Les traitans, les gens d'affaires, décriés alors comme des sangsues de l'Etat, avoient horriblement profité de ces malheurs, et formoient une espèce de ligue contre les opérations du gouvernement: ils les décrioient avec méchanceté, parce qu'ils en craignoient les suites; ils s'efforçoient d'entretenir et d'augmenter la défiance, parce qu'elle favorisoit leurs rapines. Loin de montrer quelque zèle pour l'Etat, quoique enrichis à ses dépens, ils resserroient leurs trésors, ils arrêtoient la circulation. Deux particuliers seulement prêtèrent des sommes considérables lorsque le besoin de secours se faisoit le plus sentir. On ne voyoit dans la plupart des autres qu'envie de jouir d'une criminelle opulence. Le conseil, indigné de cette conduite, voulant punir des malversations odieuses, et reprendre du moins une partie de ce qu'ils avoient volé ou frauduleusement acquis, eut recours à un moyen dangereux dont les exemples n'étoient point rares, dont on abusa presque toujours, mais que l'excès du mal justifioit d'autant plus aux yeux du conseil, que Sully et Colbert n'avoient pas cru pouvoir autrement guérir les plaies du royaume,

Une chambre de justice fut établie, au commencement de mars 1716, pour la recherche et la punition des coupables. Voici les termes de l'édit (rendu au mois de mars) :

« L'épuisement où nous avons trouvé notre royaume, « et la déprédation qui a été faite des deniers publics <<< pendant les deux dernières guerres, nous obligent << d'accorder à nos peuples la justice qu'ils nous de<< mandent contre les traitans et gens d'affaires, leurs «< commis et préposés, qui par leurs exactions les ont

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forcés de payer beaucoup au-delà des sommes que «< la nécessité des temps avoit contraint de leur de<«<mander; contre les officiers comptables, les muni<«<tionnaires et autres, qui par le crime de péculat << ont détourné la plus grande partie des deniers qui << devoient être portés au trésor royal, ou qui en « avoient été tirés pour être employés suivant leur << destination; et contre une autre espèce de gens << auparavant inconnus, qui ont exercé des usures « énormes en faisant un commerce continuel des assignations, billets et rescriptions des trésoriers, « receveurs et fermiers généraux. Les fortunes im<< menses et précipitées de ceux qui se sont enrichis « par ces voies criminelles, l'excès de leur luxe et «< de leur faste, qui semble insulter à la misère de la << plupart de nos autres sujets, sont déjà par avance «< une preuve manifeste de leurs malversations, et il << n'est pas surprenant qu'ils dissipent avec profusion «< ce qu'ils ont acquis avec injustice. Les richesses qu'ils possèdent sont les dépouilles de nos provinces, la substance de nos peuples, et le patri<< moine de l'Etat. Bien loin qu'ils en soient devenus

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«<légitimes propriétaires, ces manières de s'enrichir << sont autant de crimes publics, que les lois et les << ordonnances ont tâché de réprimer dans tous les << temps..... Les restitutions qui seront ordonnées à << notre profit serviront uniquement à acquitter les << dettes légitimes de notre royaume, et nous met<< tront en état de supprimer bientôt les nouvelles <«< impositions, de rouvrir à nos peuples les plus riches << sources de l'abondance, par le rétablissement du commerce et de l'agriculture, et de les faire jouir « de tous les fruits de la paix.

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Il n'y avoit que trop de raisons pour exercer la rigueur des lois contre les coupables; mais, outre le danger de confondre l'innocence avec le crime, on devoit craindre de répandre trop d'alarmes et de trouble dans le public, effet presque inévitable de pareilles commissions. La Bastille se remplit bientôt de prisonniers ; les recherches de la chambre s'étendirent sur une infinité de personnes : les complices étoient sans nombre; beaucoup d'honnêtes gens étoient comme eux en butte aux soupçons, exposés aux plus cruelles inquiétudes: et combien de familles avoient à trembler sur le penchant de leur ruine! Le remède enfin ne pouvoit manquer de produire de terribles convulsions. Elles auroient été moins fortes, si le changement dans les monnoies n'avoit fourni un autre sujet d'inquiétude.

Selon les calculs faits avec beaucoup de soin, on devoit acquitter trois cent millions sans appauvrir personne, et sans pousser trop loin la rigueur. Au mois de juin 1717, il y en avoit déjà soixante-dix d'acquittés par cette voie. On ignore à quelle somme

monta le reste; on sait seulement que le Régent fit des grâces qu'il avoit promis de ne pas faire.

Malgré le désir de terminer le plus tôt qu'il seroit possible des recherches si inquiétantes, la chambre de justice subsista une année entière. Le peuple même en désiroit la suppression. Sa haine pour les traitans s'étoit changée en pitié à la vue de tant de familles consternées; et d'ailleurs plusieurs jugemens ou plusieurs grâces faisoient crier à l'injustice. L'édit qui supprima ce tribunal prouve assez combien il importoit d'en arrêter les procédures. On y disoit bien que la chambre avoit découvert la grandeur du mal; mais on ajoutoit, au nom du Roi : « Plus nous avons voulu «< en approfondir la cause et les progrès, plus nous << avons reconnu que la corruption s'est tellement « répandue, que presque toutes les conditions en «< avoient été infectées; en sorte qu'on ne pouvoit << employer la plus juste sévérité pour punir un si

grand nombre de coupables, sans causer une in<< terruption dangereuse dans le commerce, et une « espèce d'ébranlement général de tout le corps de « l'Etat. Et comme son intérêt est une loi suprême à «< laquelle nous devons faire céder toutes les autres, <«< nous avons estimé qu'il étoit à propos de modérer << la rigueur de notre justice.....

« Nous nous portons d'autant plus volontiers à « prendre cette résolution, que nous pouvons désor<< mais recueillir le fruit de cet établissement passa«<ger, non-seulement par l'extinction d'une partie « considérable de dettes de l'Etat, mais encore par « l'ordre et l'arrangement que les recherches qui ont « été faites nous mettront en état d'apporter dans

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