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foins & d'affiduités, je me fis préférer au couvent, & par la mère, & par la fille; au moins à ce qu'il paroiffoit, par une fuite de circonflances: elles étoient même restées chez moi; le mariage étoit fixé à peu de jours; je me croyois le plus heureux des hommes. Je fortis un matin pour faire quelques emplettes : des affaires m'entraînèrent; je ne rentrai que le foir, affez tard. Quel fut mon étonnement, Monfieur, de trouver, à mon retour, l'appartement parfaitement défert tout avoit difparu. J'eus beau queftionner, demander, m'informer ; je ne pus rien apprendre de perfonne; mes recherches furent inutiles ;" tout fut perdu pour moi. Au milieu de ma peine & de mon défefpoir, je reçus un petit paquet, dans lequel il y avoit un billet & un ruban. Il ne m'a pas éré difficile de retenir ce qu'il y avoit d'écrit; il ne contenoit que ces mots : Je vous aimerai toujours; je vous fuis attachée pour la vie; que ce ruban en foit le gage, tant que vous me ferez fidèle. Ce billet me rendit un peu de calme; je le baifai mille fois, & je mis le ruban for mon feis. Les larmes & les foupirs interrompirent ici fon récit un moment. Je fis encore II. Vol.

B

des perquifitions, continua -t-il; je fus long temps dans l'efpérance d'apprendre long-temps quelque chofe: tout fut inutile. Je me déterminai enfin à reprendre mon premier projet de voyage, & je partis. Je parcourus plufieurs provinces. Au bout de quatre mois, j'arrivai à Bordeaux. J'y entendis parler par- tout de la belle Elmire; on ne s'entretenoit que de fa beauté, que de fes grâces, que de fes talens ; elle occupoit tout le monde; elle réuniffoit toutes les attentions. La curiofité me fit chercher les occafions de la voir, & je me rendis dans une affemblée où elle devoit être. Quelle fut ma furprise en reconnoiffant parfaitement ma chère Elmire, que j'adorois, que je devois époufer, & qui m'avoit été enlevée ! Mon trouble & mon embarras furent extrêmes, Je pris le parti de ne point me faire connoître d'abord ; je me cachai dans la foule. Si elle eft infidèle, difois-je, pourquoi lui donner le plaifir de me l'apprendre, & de jouir à mes yeux de quelque nouveau triomphe, Il devoit y avoir un grand bal mafqué le lendemain ; je réfolus de mettre mon ruban en écharpe par-deffus mon domino. Si je fuis oublié, difois je encore, elle n'y prendra pas garde; fi

elle m'aime toujours, elle trouvera quelque façon de le faire connoître. Je n'eus pas été un moment dans la falle du bal, que, près de moi, un mafque tomba en fyncope. A la quantité de flacons qui for tirent, à l'empreffement de tout le monde, je jugeai que c'étoit Elmire, que le ruban avoit frappée. Je fendis la preffe, je m'approchai; elle revenoit à elle. Que dois je efpérer, lui dis-je à demi-voix, en lui ferrant la main avec transport. Que vous êtes aimé, me dit-elle, mais fuyez-moi dans ce moment, & bientôt vous me rejoindrez. Des marques l'entraînèrent; je crus reconnoître fa mère; je ne perdis pas Elmire de vue. Dès que je la vis un peu féparée de la cohue, je l'abordai; &, après l'affurance de nos fentimens réciproques, elle me dit rapidement que fa mère avoit été perfuadée par fon frère, de ne point, nous laiffer marier; que,puifqu'elle n'en

troit

pas au couvent, il falloit tâcher de la marier à la Cour; qu'un très-grand Seigneur l'avoit vue, & l'avoit trouvée très-belle; que là - deflus, il avoit établi des projets de fortune, & que, de concert avec la mère, il avoit réfola de l'en\lever. Elle m'aflura qu'elle s'étoit vivement oppofée à leurs deffeins; qu'elle

leur avoit juré mille fois qu'elle n'auroit jamais d'autre époux que moi; & que voyant qu'ils ne pouvoient rien obtenir d'elle, ils avoient pris le parti de la faire voyager, pour la dépayfer, & pour lui ôter les folies qu'elle avoit par la tête. C'est ainsi, continua-t-elle, qu'ils appellent la paffion que j'ai pour vous. Venez demain à midi à notre demeure; je tenterai tout auprès de ma mère pour la flé-; chir; vous m'aiderez. Nous nous féparâmes, de peur d'être remarqués. Je fus le lendemain chez Elmire. Dès qu'elle ra'apperçut, elle vint au-devant de moi, me prit par la main, & me conduifit à fa mère. Elle lui jura qu'elle mourroit ou qu'elle feroit unie à moi. Je me jetai à fes pieds, &, par nos prières, nous obrînmes une feconde fois fon confentement. Le frère d'Elmire, après quelques réliftances, donna aufli le fien. Pour éviter de nouveaux malheurs, j'obtins que la cérémonie de notre mariage feroit fixée au lendemain, & je pris toutes les mefures en conféquence. Pour peu que vous foyez fenfible, Monfieur, vous pouvez juger de tout ce qui fe paffoit dans mon ame. Ce jour que je regardois comme le plus fortuné de ma vie, arrive; tout eft

prêt; je fuis au comble de la joie ; je donne la main à Elmire pour monter en voiture; dans l'inftant, je reçois un ordre du Gouverneur de la Province de me rendre chez lui. J'eus beau représenter qu'un homme qui va fe marier ne peut recevoir d'ordre de perfonne; on me dit qu'il n'y avoit pas un moment à perdre: il fallut tout renvoyer, & aller. Le Gouverneur me dit qu'il avoit des avis certains que j'étois en intelligence & en correfpondance avec les Anglois; qu'il étoit obligé de s'affuter de moi, & que je devois me rendre à la citadelle. Mes représentations furent inutiles. On me dit que tout feroit vérifié dans 24 heures, & que je ferois libre, fi j'étois innocent. On me permit d'écrire un mot à Elmire. Je me rappelai qu'elle m'avoit dit que nous devions nous défier de fon frère, & mes foupçons ne purent tomber que fur lui. Il n'y a jamais eu de temps plus long que ces 24 heures: elles me parurent un fiècle, & encore furent-elles prolongées de plufieurs autres. Enfin je fortis; je volai chez Elmire. Ah ! Monfieur, que mon impatience fut trompée : je ne retrouvai personne; tout avoit fui, tout avoit difparu, comme la première

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