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Sur fon dos un Meunier chaque jour infligeoit,
D'un gros bâton noueux mainte falve aflaffine.
Jamais fourrage ou d'avoine un feul grain,
N'adoucifloient fon jeûne & fon martyre:
Pour le grifon, nulle fête au moulin ;

Paille & chardons, feuls mets du pauvre Sire, Excorioient fa gueule & lui laiffoient la faim.

Las, excédé d'un & triste régime,
Voulant à fes vieux jours aflurer du repos,
Martin rompt fon licol, &, le bât fur le dos,
D'un mont voifin escalade la cime,
A l'inftant qu'on alloit aggraver ses travaux.
Le fugitif ne voit pas fans envie,

Des trésors de verdure étalés fous les pas;
Sur l'herbe, s'il ofoit, il prendroit fes ébats.
Un clair ruifleau l'invite; mais, hélas!
Goûte-t'on le plaifir où l'on craint pour la vie!

L'Aurore avoir quitté les bras du vieux Titon : L'Ane guette par-tout en battant la campagne; Il ne s'arrête point qu'il n'ait mis la montagne Entre lon dos & l'énorme bâton,

Anéanti par la marche accablante, Martin, d'une vallée enfiloit le fontier, Lorsqu'un Lion, à la gueule béante, Branlant fa fiere queue, arrête le courfier, Le miférable en fût mort d'épouvante,

Si le Lion lui-même, effrayé du Rouffin,
De fa lugubre voix, de fes amples oreilles,
Pour lui nouveautés fans pareilles,

Oubliant la fureur, n'eût dit: Beau pèlerin,

De quel droit, par tes cris, troubles-tu mon em pire?

Ignores-tu que tout ce qui refpire

Craint ma griffe & ma queue ; & que, Roi du vallon,

Lion je fuis Et moi, dit l'Etalon,

Archi-Lion je fuis, & crains peu tes bravades;
Vois fous ma queue un canon : & foudain
Au curieux i! lâche vingt ruades,
Et tout autant de pétarades.

Ami, dit le Monarque, alarmé du tocfin
Sonné par la maligne bête,

Que l'adrefle entre-nous, non le fang ou la mort
Décide à qui fera cette belle retraite.

Vois ce foflé: fautons à l'autre bord.

Le Lion s'y lança comme un trait d'arbalête.
A toi, l'ami, dit-il à Dom Baudet.

L'Ane fait trois élans & fond fur un piquet,
Où, par son bât, il pendoit comme un luftre.
Pour le fauver, fon rival généreux

Vole au piquet & dégage le ruftre.

Quel fut le grand-merci ? L'Ane malencontreux Dit au Lion: maudite foit la bête!

Que ne m'y laidois-tu? Ton humeur indiferette;

Juré coquin, m'a fevré d'un plaifir...
Pendu fur le follé, j'eslayois d'éclaircir
Laquelle pele plus, ou la queue ou la tête.
Le Lion lui replique: excufe mon erreur,
Mon zele m'excitoit à te fauver la vie ;
Encore un tour d'adresse, auffi digne d'envie,
Du beau vallon te rendra le Seigneur.

Le couple s'achemine & fe rend près d'un fleuve
Impétueux, large & profond:

Le Roi des bois s'écrie: alerte Archi-Lion,
Il nous faut faire, à la nage, une épreuves,
Prends, dit Martin, fitu veux les de vans,
Ten laifferai je moins, pauvre for, en arriere ?
Le Lion, comme un Daim, coupe droit la riviere
Son émule, tranfi, n'osoit entrer dedans,
Tandis qu'à l'autre bord il-féchoir fa crinieres

Le défi le trouvant par malheur engagé,
Be Baudet nage enfin, d'une allure ailez vive
Il fe croyoit déjà fur l'autre rive:

Mais un tourbillon d'eau l'a bientôt fubmergé
In'offre plus qu'un pied, puis la croupe ou la tête.

Le Lion, d'une part, ayant peur du canon,
Nofoit aider la dangereufe bête ;
Vafncu par la pitié, dans le fleuve il'fe jette
Et, par un pied, réchappe Aliboron.,
A peine celui-cife voit fur le sivage

Q'apostrophant le fauveur de fes jours,
Avec un ton de dépit & de

rage:

Scélérat, lui dit-il, fandra-t-il que toujours
A mes côtés, pour ma perte tu veilles !
Et fecouant auffi-tôt fes oreilles,

Il tombe des goujons: vois, dit-il, malheureux, Par cet effai quelle eftt été ma pêche,

Traître, à qui je devrois fendre la tête en deux!
Maudit foit ton fecours! fans toi, bête revêche,
J'amenois fur le fable un poiffon monftrucux.

Le Lion part, tout confus, pour la chasse;
Il voit un Loup: compere, lui dit-il,
Si tu neveux y laifler ta carcafle,
Evite un animal gris, terrible & fubtil;
Armé d'un gros canon, il foudroie, il affomme
Tout ce qu'il voit errer lur ces côteaux ;
Il a voix de tonnerre & felle fur le dos;

Ce monftre, à longue oreille, Archi-Lion fe nom

me.

Le Loup reconnut l'Ane à ces divers fignaux.
C'eft, dit-il, Monfeigneur, la bête la plus vile 3
Je fais de fes pareils un morceau journalier;
Venez voir du maroufe augmenter mon charnier,
Le Sultan des forêts n'en eft pas plus tranquille.
La peur, de tous les maux, eft le pire à guérir.
Le Lion cede enfin : mais avant de partir,
Pour que la fuite au Loup foit empêchée,
Il vent que l'un à l'autre ait la queue attaché:

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Unis ainfi, dit-il, allons vaincre ou périr.
A l'afpect de Martin le cœur du Loup palpite;
Il croit déjà fendre l'Ane en quartiers:
Mais fon lâche adjudant, fuyant à l'oppolite,
L'entraîne & le déchire à travers les halliers.
Le Lion perd un œil que lui creve une ronce :
T'ai-je pas dit, bourreau, dit-il à fon voiúin,
Qu'Archi-Lion eft terrible & malin!
Le Loup mourant ne fait point de réponse.
Le monftre a de nous vu la fin,

Lui difoit le Lion lui fermant la paupiere;
J'y laifle un œil, & toi carcaffe entiere.
Je quitte le vallon fans en être envicux:
Heureux, quoique bleflé, de revoir ma taniere !
Je laifle Archi Lion régner feul en ces lieux.

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Le fol eft en ingrats, en faux braves fertile;
Que le Loup devoit fuir les avis d'un Tyran
On voit dans le Lion, bravé par un éinule
Tel qu'un Baudet, infolent, ridicule,
Que l'audace au mérite en impofe fouvent.
Par M. Flandy..

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