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de pavillons fuperbes. I recevoit à fa table la Nobleffe la plus diftinguée, faifoit à fes convives la chère la plus délicate, réjouiffoit leurs oreilles par une mufique délicieufe, & leurs yeux par la plus grande magnificence. Bientôt il ne regarda plus fes parens les plus proches & fes amis les plus intimes que comme des étrangers; & fon frère même, devenu pour lui un objet de mépris, reçut ordre de ne fe plus préfenter à fa porte.

Mais comme l'eau qui forme un grand canal fe perd dans les vallées, fi elle n'eft pas contenue par une digue; de même la fortune la plus confidérable est bientôt diffipée quand elle n'eft pas confervée par une fage économie. En peu d'années les biens de Félix furent altérés par les extravagances; fes marchandifes lui manquèrent, faute de foins & d'exactitude, & fes meubles furent faifis par les mains impitoyables de fes créanciers. Il s'adreffa dans fa détreffe aux Nobles qu'il avoit fêtés & accablés de préfens; mais il n'en putrien obtenir : quelques uns même ne fe rappelèrent pas exactement fes traits; les amis, qu'il avoit négligés, le méprisèrent à leur tour, & fa femme elle-même infulta à fa misère, & le quit ta, après lui avoir reproché fes prodiga

lités. Cependant il en étoit fi fortement épris qu'il la fuivoit encore; mais Prof périté, voulant le fuir avec précipitation, laiffa tomber fon mafque & lui découvrit un vifage auffi difforme que, fous le mafque, il l'avoit trouvé charmant,

On ne fait pas précisément ce qu'il devint enfuite. On croit qu'il erra dans P'Egypte, où il vécut milérablement des fecours de quelques amis qui ne l'avoient pas entièrement abandonné, & qu'il mourut peu de temps après dans la pauvreté & dans l'exil.

Retournons maintenant à Uranio, que nous avons vu chaffé par fon frère. Adverfité, quoiqu'elle ne fût qu'un objet de haine pour fon cœur & un spectre hideux à fes yeux, fuivoit par tout fes pas; pour aggraver fon malheur, il reçut la nouvelle que fon plus riche vaiseau avoit été pris par un Pirate; qu'un autre avoit fait naufrage fur les côtes de Lybie; & pour comble d'infortune, que le Banquier far lequel la plus grande partie de fes biens étoit placée, venoit de faire banqueroute & de fe retirer en Sicile. Ramaffant alors les foibles reftes de fa fortune, il abandonna fa patrie, &, suivi par Adverfité, à travers des routes dé

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fertes & des forêts inconnues, ils arrivèrent dans un petit village, fitué au pied d'une haute montagne. Là ils fixèrent pour quelque temps leur habitation; & Adverfité, pour diminuer les maux qu'il avoit foufferts, adouciffant la févérité de fes regards, lui donnoit les confeils les plus falutaires, guériffoit fon cœur de l'amour immodéré des biens de la terre, lui apprenoit à révérer les Dieux & à placer tout fon bonheur dans leur protection. Elle humanifoit fon âme, le rendoit humble & modefte, compatiffant aux maux de fes femblables, & l'engageoit à les fecourir.

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« Je fuis, difoit-elle, envoyée par » Dieux à ceux qu'ils chériflent: car je » les conduis non - feulement, par ma févère difcipline, à la gloire éternelle; » mais auffi je les difpofe à recevoir » avec les plus grands tranfports, la joie. » la plus légère. Ce fut moi qui élevai » les caractères de Caton, de Socrate & » de Timoléon à cette hauteur prefque. » divine, qui les rendit l'exemple des fiècles futurs. Profpérité, ma flatteufe » mais perfide fœur, ne réduit que trop » fouvent ceux qu'elle a féduits à être » punis par fes cruels compagnons, le Chagrin

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Chagrin & le Défefpoir; tandis que » l'Adverfité ne manque jamais de rendre » heureux & tranquilles ceux qui profi tent de fes inftructions.

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Uranio écoutoit ces mots avec attention, & regardant le vifage d'Adverfité, il lui fembloit moins affreux. Peu à peu fon averfion diminua: enfin il s'abandonna entièrement à fes confeils. Elle lui répétoit fréquemment cette fage maxime d'un Philofophe : « Ceux qui man »quent des plus petites chofes reffern

blent le plus à la Divinité, qui ne » manque de rien ». Elle l'exhortoit à regarder la foule confidérable d'êtres qui végétoient au deffous de lui, au lieu de confidérer le petit nombre de ceux qui vivoient dans la pompe & dans la fplen deur, & de demander aux Dieux, à la place des richeffes & des grandeurs, un efprit fage & vertueux, & une âme ferme & inaltérable.

Adverfité voyant de jour en jour Uranio profiter de fes leçons, & le trouvant dant l'état de réfignation où elle le defiroit, lui adreffa ce difcours : « Ainsi que » l'or eft rafiné par le feu, l'Adversité » eft envoyée par la Providence pour éparer la vertu des mortels; ma tâche I. Vol.

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eft remplie, je vous quitte & je vais » rendre compte de ma commiffion. » Votre frère, qui eut la Profpérité pour » fon lot, & dont le fort étoit envié de » tout le monde, après avoir fait l'expé»rience de fon choix, eft enfin délivré » par la mort, de l'existence la plus mal» heureuse. C'est un bonheur pour Ura >> nio l'Adverfité ait été fon partage; que » s'il s'en fouvient, comme il le doit, fa vie fera honorable & sa mort heureuse » & tranquille ».

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Après avoir dit ces mots, elle difparut à fes yeux. Quoique fes traits en ce moment, au lieu d'infpirer l'horreur ac coutumée, femblaffent faire briller une forte de beauté douce & languiffante; Uranio, qui n'avoit pu parvenir à l'aimer, ne regretta point fon départ & ne defira point fon retour: mais, quoiqu'il fe réjouît de fon abfence, il conferva précieufement fes confeils au fond de fon cœur, & devint heureux en les prati

quant,

Il fe remit dans le commerce; & ayant en peu d'années, par fa bonne conduite, amaffé un bien fuffifant pour fa tisfaire aux befoins de la vie, il se retira dans une petite ferme qu'il avoit

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