Page images
PDF
EPUB

quand il s'agiffoit des intérêts de la » vertu & de l'amitié.

[ocr errors]
[ocr errors]

Aujourd'hui il eft oublié : il eft ab» fent. La dernière fois que j'allai à Sil»ton-Halle, je vis fon fauteuil au coin » de la cheminée : on y avoit ajouté un » couffin, & il étoit occupé par l'épagneul de ma jeune maîtrelle. Je m'en approchai fans être apperçu, & dans mon dépit fecret, je lui pinçai l'oreil»le; il fit an cri & fe refugia auprès de » fa maîtreffe. Elle ne devina pas l'au»teur de cette méchanceté; mais elle déplora l'infortune du pauvre animal » dans les termes les plus pathétiques; » elle le careffa, le prit fur fes genoux, » & le couvrit avec un mouchoir de la plus fine baptifte.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

Moi, je me plaçai plaçai dans le fiége de mon vieil ami : j'entendis autour » de moi les ris & la gaîté bruyante de » la compagnie; alors, pauvre Ben» Filton, je te donnai une larme. Accep » te la elle coule à l'honneur de tom » fouvenir, &c. »

"

La lecture de ce morceau a dû faire plaifir. Le contrafte des foins recherchés pour l'épagneul & de l'oubli du vieil lard, de la gaîté d'une frivole assemblée

& de la fenfibilité recueillie d'un homme fenfé, préfente une peinture de mœurs piquante à la fois & attend riffante. Pref que tout le Roman eft compofé d'une foule de fcènes non moins intéreffantes. On en pourra juger par les citations que l'on va lire. Harley, ou l'homme fenfible, fait un voyage à Londres pour y fol liciter une affaire. Son féjour en cette ville donne lieu à plufieurs incidens d'un genre varié; il en eft reparti dans une voiture publique.

99

دو

"Lorfque le coche fut arrivé à l'en» droit de fa deftination, Harley fe mit » à examiner comment il continueroit fa » route. Le Maître de l'Hôtellerie l'abor» da avec civilité & lui propofa le choix » d'un cheval ou d'une chaife de pofte. » Mais Harley faifoit rarement les chofes » de la manière qu'on appelle communé »ment la plus naturelle. Il remercia l'Hôte » & s'achemina à pied, après avoir don»né les ordres néceffaires. pour fon por

te-manteau. C'étoit une façon de voya "ger qui lui étoit ordinaire. Par- là, » fans autre embarras que celui de fa perfonne, il étoit libre de choifir fes auber"ges & d'entrer dans la première cabane où il feroit attiré par une phyfionomie

[ocr errors]

» intéreffante. Enfin, lorfque fa fenfibi»lité pour fes femblables n'abforboit pas » toutes les affections, il pouvoit les » étendre fur des êtres d'une espèce infé-, » rieure; il pouvoit, tantôt fur le pen» chant d'une colline, tantôt fur le bord » d'un ruiffeau, fe laiffer aller au fom» meil ou à fes rêveries.

[ocr errors]

Le jour étoit fur fon déclin, & le » foir des plus fereins, lorfqu'il entra » dans un chemin creux qui alloit en » tournant entre deux hauteurs qui l'en»vironnoient. Ce chemin étoit couvert » d'une pelouse entre coupée par diffé»rens petits fentiers, felon les diverfes » traces que les voyageurs avoient te»nues. Il paroiffoit alors peu fréquenté, » & quelques uns des endroits battus » commençoient à fe recouvrir de ver» dure. Ce site agréable l'engagea à s'ar»rêter pour en contempler les beautés. » Comme il portoit fes yeux de côté & » d'autre, fes regards, jufqu'alors penfifs & rêveurs, furent frappés d'un objet qui réveilla fon attention.

دو

[ocr errors]

"Un homme âgé, dont l'habit paroif» foit avoir été celui d'un foldat, dor moit profondément fur le gazon; il

avoit à fa droite un havre fac pofé fur » une pierre, & à fa gauche un sabre garni de cuivre, placé en travers fur »fon bâton. Harley le confidéra attenti» vement; c'étoit une figure dans le gen »re des deffins de Salvator. Les alentours

n

avoient je ne fais quoi d'agrefte & de » fauvage, qui cadroit avec le fond du #tableau. Les hauteurs étoient couron » nées, des deux côtés, d'arbuftes incul. »tes qui croiffoient irregulièrement; fur l'une de ces éminences on voyoit, à quelque diftance, un poteau destiné à indiquer la différente direction du che min, qui fe partageoit en deux en cet » endroit un roc, femé de quelques » fleurs champêtres, formoit un avance "ment au-deffus de la tête du foldat en» dormi. Elle étoit ombragée par la feule branche encore verte & touffue d'un vieux tronc enraciné fur le fommet du roc. Le vifage du voyageur avoit les traits » mâles d'une belle phyfronomie, altérée » par les années; fon front n'étoit pas » entièrement chauve, mais on auroit »pu compter fes cheveux; leur blancheur n faifoit, avec le bran foncé de fon cou

"

un contrafte vénérable qui faifit de refpect l'âme de Harley. Tu es vieux,

"

[ocr errors]
[ocr errors]

dit-il en lui même; & l'âge qui t'a ôté » les forces, ne t'a pas donné le repos. » Hélas! peut être ces cheveux blanchis » au fervice de ton pays n'ont pu y trou» ver un abri. Le foldat fe réveilla; il >> parut confus en voyant Harley; mais » Harley connoiffoit trop bien ce genre » d'embarras pour ne pas l'épargner à un » autre : il fe détourna & reprit fon che» min. Le vieux foldat rajusta son havre» fac & fuivit un des fentiers battus, de » l'autre côté de la route.

دو

» Lorfque Harley eut entendu derrière » lui le bruit des pas du vieux voyageur, il ne put s'empêcher de lui jeter des » regards à la dérobée. Ses reins paroif» foient courbés fous le poids de fon ha»vre fac. Il étoit eftropié d'une jambe » qui le faifoit boiter, & perclus d'un » bras qui pendoit en écharpe für fa poi»trine. Ses regards avoient l'expreffion » d'un homme aguerri contre les fouf» frances, qui avoit appris à envifager fes » malheurs avec des yeux fecs ».

Les deux voyageurs lient converfation enfemble; ils alloient tous deux au même endroit.

"Nous pouvons, dit Harley, nous abréger mutuellement la route en la

« PreviousContinue »