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de ce fiècle, ouvert le tréfor public à d'énormes déprédations.

Par l'édit de 1663, il fut ordonné à tous ceux qui fe prétendroient créanciers de l'état, de produire leurs titres devant la chambre de liquidation établie par Colbert. Les déprédations avoient été fcandaleufes; l'examen fut févère : enfin l'édit de 1669 fixa le tableau de la dette, & frappa d'une jufte profcription tout ce qui n'y étoit pas compris.

Pour démontrer, Meffieurs, à quel point cette profcription, contre laquelle on a élevé des réclamations peu réfléchies, fut cependant légitime, il fuffiroit de rappeler les malverfations du feul Mazarin. Le trafic honteux qu'il avoit fait de toute forte de créances publiques; les mandats prodigués fur toutes les caiffes, fans la raifon d'aucune avance; les revenus publics vendus à des ufuriers, & à de fi vils prix, qu'ordinairement trois ou cinq années d'intérêt rembourfoient les capitaux avancés. Le comité de liqui~ dation doit appuyer fur ces détails. Il exifte encore beaucoup de ces titres antérieurs à la liquidation terminée par l'édit de 1669; les miniftres en ont admis. pour plufieurs millions dans le cours de ce fiècle; on en préfente même au comité de liquidation, & nommément des billets de l'épargne: or Colbert nous apprend que de toutes les prétendues créances qu'un examen équitable fit profcrire, ces billets de l'épargne étoient précisément les titres fur lefquels on avoit fait. le plus de brigandages.

Il est donc certain que, de tous les titres de créance, aux époques dont on parle, ceux qui étoient légitimes furent admis & convertis en titres nouveaux; que tous ceux qui n'étoient pas légitimes, furent profcrits & non convertis, & que c'eft de cette dernière Rapport fur la dette ancienne. A 3

claffe de titres illégitimes que font les titres non liquidés antérieurs à l'année 1669.

Colbert, après avoir achevé fa mémorable liquidation, avoit, avant fa mort, libéré le tréfor pub~; mais fon habileté ne fut l'héritage ni de fon fils, ni de. fes fucceffeurs, & la dette énorme dont ils grevèrent l'état, devint l'objet d'une nouvelle liquidation. Il eft très-important d'en rendre compte, parce que c'eft le point für lequel les erreurs font le plus accumulées,& qu'en peu de mots il eft facile de les faire difparoître.

Dans les cinq années qui fuivirent la mort de Louis XIV, c'est-à-dire, de 1715 à 1720, la prefque totalité de la dette publique fut convertie en billets d'état, billets de banque, actions de banque & de la compagnie des Indes, &c. De cette converfion furent exceptés les contrats dont les propriétaires préférèrent la réduction aux effets créés par le fyftême de Law.

De cette converfion furent encore exceptées toutes les affaires contentieufes alors en inftance devant les tribunaux ordinaires. De cette converfion furent enfin exceptés les titres de quelques comptables qui, pendant les liquidations de 1716 à 1725, reftèrent foumis à la vérification du confeil & de la chambre des comp-. tes. C'eft ainfi que pendant la liquidation actuelle, les comptables du tréfor public refteront foumis aux liquidations des tribunaux encore exiftans, ou de celui qui leur fera fubrogé par l'Affemblée nationale.

Ainfi donc, Meffieurs, la prefque totalité des titres de la dette publique fut convertie en titres nouveaux de 1715 à 1720, fur-tout de 1718 à 1720, c'est-àdire, pendant l'effervefcence d'un funefte engoûment que l'Europe entière fut fur le point de partager avec la France. Mais l'évanouiffement rapide des illufions du fyftême donna lieu à une feconde converfion. L'Administration voulut effacer les traces d'une hon

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teufe surprise mais forcée de compofer avec les circonftances, elle dût revoir les titres de la dette ; & en ies renouvent tous, elle s'appliqua à faire porter fur chacun une portion du défaftre général. C'eft cette révision & cette uvelle converfion qui furent confiées à la commiffion dont le travail, connu fous le nom du vifa de 1721, fut terminé par l'édit de 1725. Aujourd'hui, Meffieurs, ceux qui s'attacheroient à fuivre, dans leur innumérabilité & dans leur incertitude les mouvemens violens ou rétrogrades de l'administration, fous les deux époques de 1715 à 1720, & de 1721 à 1725, fe perdroient néceffairement dans le dédale où elle-même s'égara. Mais ceux qui voudront réunir dans une idée fimple le résultat exact de ces reviremens, & l'état légal de la dette publique au fortir de ces bouleverfemens mémorables, ceux-là ne perdront jamais de vue, que dans les dix années qui fuivirent la mort de Louis XIV, deux grands mouve→ mens changèrent la nature & la forme de la prefque totalité de la dette publique.

Le premier mouvement en précipita les titres dans le fyftême, s'il eft permis de s'exprimer ainfi. Le fecond les en retira, pour les convertir en contrats, foit viagers, foit perpétuels.

Ceux de ces contrats qui furent viagers, ont été éteints par la mort des propriétaires. Des autres contrats, beaucoup ont été ou rembourfés, ou dénaturés de diverfes manières; & ceux qui ne l'ont pas été. exiftent encore dans la dette actuelle, & leur légitimité n'eft ni ne peut être le fujet d'aucune liquidation, d'aucune difcuffion.

Maintenant, Meffieurs, fi cette double converfion eft bien faifie, une feule réflexion va fuffire pour porter la lumière & l'évidence légales fur toutes ces parties de la dette ancienne; & cette réflexion la voici :

De tous les titres qui compofèrent la dette publique aux époques dont on parle, ceux qui étoient légitimes furent convertis en contrats. L'illégitimité des autres fut reconnue, foit par les commiffaires nommés pour les vérifier, foit par le filence des prétendus propriétaires qui, connoiffant bien le peu de valeur de leurs titres, n'osèrent les produire, car les productions illégitimes encouroient des amendes. Il feroit donc fouverainement injuste d'admettre en liquidation ces titres alors condamnés ou non produits, & aujourd'hui fur-tout où tous les moyens & toutes les traces de vérification ont difparu.

Ces obfervations décifives fur cette partie de la dette ancienne, font d'une vérité littéralement at→ testée par une férie de monumens légaux, (Voyez, entre, autres les déclarations, édits & arrêts du 7 décembre 1715, des 18 juin & 3 avril, 15 novembre, 13 & 20 dé-: cembre 1716; 17 janvier, 13 février, 10 mars, septembre & décembre 1717; 26 février & premier juin 1718; feptembre, octobre & décembre 1719; 27 février, 20 mai &; 8 octobre 1720, 26 janvier, 23 novembre 1721 ; 4 janvier & 7 mars 1722; 22 mars & 22 mai 1723; juin 1725, & décembre 1728).

Ainfi, Meffieurs cette immenfité de prétendues créances non liquidées, ces milliers de titres épars, dans lefquels on voudroit vous montrer les malheureux débris des naufrages de l'administration, se claffent d'eux-mêmes; & loin de mériter votre intérêt, ils ne doivent attendre de votre juftice éclairée que l'éternelle réprobation, dont il eft temps enfin qu'une loi refpectée les frappe fans retour.

On dit une loi refpectée, parce qu'il faut bien répondre à ceux qui fe font obftinés à n'apercevoir qu'injuftice dans les déchéances ci-devant prononcées par l'administration; ils n'ont pu concevoir comment

le

le gouvernement s'étoit décidé à établir ce qu'ils ont appelé une odieufe inquifition fur les titres émanés de lui-même, & ils ont dit : » Le gouvernement a » voulu enfevelir avec fes fautes fes victimes, & le def>> potisme a impitoyablement étouffé les plus juftes

>> réclamations. »

Mais ceux-là, Meffieurs, qui ont accablé de tant de reproches les liquidations de 1716 à 1725, ignorentils donc, que dès le commencement du fiècle, la France ayant été inondée d'effets publics, auxquels fe mêlèrent enfuite ceux du fyftême, il en fut énormément falfifié ; qu'il en fut même dérobé pour des fommes immenfes à l'administration. Toujours ramenée à la détreffe par fon impéritie, elle confioit à toutes fortes de mandataires la négociation ou l'émiffion des effets qu'elle créoit. A la faveur du trouble général, ces mandataires, fréquemment infidèles, détournoient beaucoup de ces effets, & ils employoient enfuite mille manoeuvres criminelles, foit pour les abforber dans des comptes ténébreux, foit pour effacer les traces des dépôts conditionnels qu'ils avoient reçus.

On eft affurément bien éloigné de vouloir difculper l'administration qui créa les billets d'état, & qui adopta le fyftême : les délits dont on vient de parler en étoient les fuites inévitables; mais après ces fautes, la plus blamable fans contredit, au milieu des falfifications & des brigandages, n'auroit-elle pas été de tout admettre fans examen?

Ces faits éclaircis, à qui voudroit-on perfuader que l'adminiftration fût odieufe, quand elle chercha à préferver les peuples du fardeau de ces fauffes créances; ou plutôt, combien de reproches la nation n'a-t-elle pas droit d'élever contre l'administration, lorsqu'à diverfes reprises elle a admis pour beaucoup de milHons de ces effets fi juftement profcrits,

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