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la Commune sur les autorités constituées : « L'idée de la souveraineté du peuple, disait Roland, rappelée avec affectation par les hommes qui ont intérét à persuader au peuple qu'il peut tout pour lui faire faire ce qu'ils veulent; cette idée, mal appliquée, détachée de la suite des principes dont elle fait partie, a familiarisé avec l'insurrection, et en a inspiré l'habitude comme si l'usage devait en être journalier; on a perdu de vue qu'elle est un devoir sacré contre l'oppression, mais une révolte condamnable dans l'état de liberté. » Roland termine son rapport en donnant lecture d'une lettre adressée au ministre de la justice, qui indique le dessein de renouveler contre certains membres de la Convention les massacres de septembre. Il était dit à ce sujet dans cette lettre : « Buzot, Vergniaud, Lasource, etc., voilà ceux que l'on nomme pour être de la cabale Roland; ils ne veulent entendre parler que de Robespierre. » On demande l'impression du rapport et son envoi aux départements. Robespierre s'y oppose en soutenant que ce rapport n'est qu'un roman diffamatoire contre la Commune de Paris. Les murmures couvrent sa voix; il s'élève contre le président qui ne veut lui conserver ni la parole, ni le silence. Il parvient à obtenir un peu de calme. Il porte à tous ses collègues le défi de l'accuser en face, en articulant des faits positifs contre lui. A ces mots, Louvet s'écrie: « Je demande la parole pour accuser Robespierre.»-Et nous aussi, s'écrièrent Barbaroux et Rebecqui. Voici comment Robespierre rend compte lui-même de cet incident: « Robespierre s'écrie qu'il est temps d'arrêter enfin un système de calomnie dont le ministre Roland est un des principaux artisans, et dont le but est de favoriser les projets d'une coalition qui cherche à démembrer la république. La coalition déploie toutes ses forces pour étouffer sa voix. Il somme tous les complices de la diffamation de monter à la tribune pour articuler des faits précis. Louvet se présente et tire de sa poche un discours volumineux; il parle deux heures

contre les Jacobins, contre la Commune, contre toutes les autorités constituées de Paris, contre la députation de ce département, et surtout contre Robespierre qu'il accuse formellement d'avoir aspiré à la dictature. Robespierre demande qu'il lui soit fixé un jour pour répondre. L'Assemblée ajourne la discussion au lundi suivant... »Il résulte du Moniteur que c'est lui-même qui, après avoir demandé la parole, redoutant sans doute la disposition où se trouvait l'Assemblée, réclama un ajournement à huitaine.

Robespierre répondit à Louvet dans la séance du 5 novembre. Les accusations dirigées contre lui étaient vagues: il lui fut facile de les repousser. On l'accuse d'avoir conspiré pour parvenir au pouvoir suprême. Mais n'avait-il pas le premier, avant le 10 août, appelé la Convention comme le seul remède des maux de la patrie. Cette accusation d'ailleurs est invraisemblable. Où étaient ses trésors? où étaient ses armées? où était la force qui l'eût rendu capable d'exécuter un pareil projet? On lui reproche ses rapports avec Marat; mais ils n'ont eu ensemble qu'une unique entrevue, au mois de janvier 1792, et ils furent si loin de s'entendre, que Marat écrivit en toutes lettres dans son journal, « qu'il l'avait quitté, parfaitement convaincu qu'il n'avait ni les vues, ni l'audace d'un homme d'État. » On lui reproche d'avoir exercé aux Jacobins un despotisme d'opinion qui ne pouvait être regardé que comme l'avant-coureur de la dictature. Mais qu'est-ce que le despotisme de l'opinion, à moins que ce ne soit l'empire naturel des principes! Or cet empire n'est point personnel à tel homme qui les énonce; il appartient à la raison universelle et à tous les hommes

(1) Voici en quels termes Marat s'exprimait à ce sujet : « Cette entrevue me confirma dans l'opinion que j'avais toujours eue de lui, qu'il réunissait aux lumières d'un sage sénateur l'intégrité d'un véritable homme de bien et le zèle d'un vrai patriote, mais qu'il manquait également et des vues et de l'audace d'un homme d'État.

qui veulent écouter sa voix. Ça a été la force de la société des Jacobins d'avoir dénoncé les ennemis de la patrie, abattu le despotisme. Et s'il était vrai qu'il eût en effet obtenu aux Jacobins cette influence qu'on lui suppose gratuitement, que pourrait-on en induire contre lui? Élevant le débat à la véritable hauteur où il eût dû rester, il justifie le conseil, général révolutionnaire de la Commune de Paris, aux actes duquel il était fier de s'être associé. « Citoyens, voulez-vous une révolution sans révolution? quel est cet esprit de persécution qui est venu réviser pour ainsi dire celle qui a brisé nos fers? Mais comment peut-on soumettre à un jugement certain les effets que peuvent entraîner ces grandes commotions? Qui peut après coup marquer le point précis où devaient se briser les flots de l'insurrection populaire? A ce prix, quel peuple pourrait jamais secouer le joug du despotisme? Car s'il est vrai qu'une grande nation ne peut se lever par un mouvement simultané, et que la tyrannie ne peut être frappée que par la portion des citoyens qui est plus près d'elle, comment ceux-ci oseront-ils l'attaquer, si après la victoire les délégués, venant des parties éloignées de l'État, peuvent les rendre responsables de la durée ou de la violence de la tourmente politique qui a sauvé la patrie? Ils doivent être regardés comme fondés de procuration tacite pour la société tout entière. Les Français, amis de la liberté, réunis à Paris, au mois d'août dernier, ont agi à ce titre au nom de tous les départements; il faut les approuver ou les désavouer tout à fait. Leur faire un crime de quelques désordres apparents ou réels, inséparables d'une grande secousse, ce serait les punir de leur dévouement. Ils auraient droit de dire à leur juges si vous désavouez les moyens que nous avons employés pour vaincre, laissez-nous les fruits de la victoire. Reprenez votre constitution et toutes vos lois anciennes : mais restitueznous le prix de nos sacrifices et de nos combats. Rendeznous nos concitoyens, nos frères, nos enfants qui sont

morts pour la cause commune. Citoyens, le peuple qui vous a envoyés a tout ratifié. Votre présence ici en est la preuve; il ne vous pas chargés de porter l'œil sévère de l'inquisition sur les faits qui tiennent à l'insurrection, mais de cimenter par des lois justes la liberté qu'elle lui a rendue. L'univers, la postérité ne verra dans ces événe ments que leur cause sacrée et leur sublime résultat; vous devez les voir comme elle. Vous devez les juger, non en juges de paix, mais en hommes d'État et en législateurs du monde. Et ne pensez pas que j'aie invoqué ces principes éternels, parce que nous avons besoin de couvrir d'un voile quelques actions répréhensibles. Non, nous n'avons point failli, j'en jure par le trône renversé, et par la république qui s'élève. »

On lui reproche d'avoir eu part aux massacres de septembre: « Ceux qui ont dit qu'il avait eu la moindre part à ces événements sont des hommes ou excessivement modestes ou excessivement pervers. Quant à l'homme qui, comptant sur le succès de la diffamation dont il avait d'avance arrangé tout le plan, a cru pouvoir imprimer impunément que je les avais dirigés, je me contenterais de l'abandonner au remords, si le remords ne supposait une âme. Je dirai pour ceux que l'imposture a pu égarer, qu'avant l'époque où ces événements sont arrivés, j'avais omis de fréquenter le conseil général de la Commune; l'Assemblée électorale dont j'étais membre avait commencé ses séances; je n'ai appris ce qui se passait dans les prisons que par le bruit public, et plus tard que la plus grande partie des citoyens, car j'étais habituellement chez moi ou dans les lieux où mes fonctions publiques m'appelaient. » Mais ces événements aussi, tout déplorables qu'ils puissent paraître, il faut les envisager d'un point de vue plus élevé : « On assure qu'un innocent a péri, on s'est plu à en exagérer le nombre; mais un seul c'est beaucoup trop, sans doute; citoyens, pleurez cette méprise cruelle, nous l'avons pleurée dès longtemps; c'était

un bon citoyen; c'était donc l'un de nos amis. Pleurez même les victimes coupables réservées à la vengeance des lois, qui ont tombé sous le glaive de la justice populaire; mais que votre douleur ait un terme comme toutes les choses humaines. Gardons quelques larmes pour des calamités plus touchantes. Pleurez cent mille patriotes immolés par la tyrannie; pleurez nos citoyens expirants sous leurs toits embrasés; et les fils des citoyens massacrés au berceau ou dans les bras de leurs mères. N'avez-vous pas aussi des frères, des enfants, des épouses à venger? La famille des législateurs français, c'est la patrie, c'est le genre humain tout entier, moins les tyrans et leurs complices. Pleurez donc, pleurez l'humanité abattue sous leur joug odieux· Mais consolez-vous, si, imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez assurer le bonheur de votre pays et préparer celui du monde. Consolez-vous, si vous voulez rappeler sur la terre l'égalité et la justice exilées, et tarir, par des lois justes, la source des crimes et des malheurs de vos semblables. La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté m'est suspecte. Cessez d'agiter sous mes yeux la robe sanglante du tyran, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers. En voyant ces peintures pathétiques des Lamballe, des Montmorin, de la consternation des mauvais citoyens, et ces déclamations furieuses contre des hommes connus sous des rapports tout à fait opposés, n'avez-vous pas cru lire un manifeste de Brunswick ou de Condé? Calomniateurs éternels, voulez-vous donc venger le despotisme? voulez-vous flétrir le berceau de la république ? voulez-vous déshonorer aux yeux de l'Europe la révolution qui l'a enfantée, et fournir des armes à tous les ennemis de la liberté? Amour de l'humanité, vraiment admirable, qui tend à cimenter la misère et la servitude des peuples, et qui cache le désir barbare de se baigner dans le sang des patriotes! » D'accusé, Robespierre se fait accusateur à son tour. Il termine en ces

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