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Séance du 14 juillet. - Discours sur l'inviolabilité royale. Robespierre se prononce formellement contre l'inviolabilité, qui ne lui paraît pas être autre chose que la consécration d'une impunité monstrueuse : « Le crime légalement impuni est en soi une monstruosité révoltante dans l'ordre social, ou plutôt il est le renversement absolu de l'ordre social. Si le crime est commis par le premier fonctionnaire public, par le magistrat suprême, je ne vois là que deux raisons de plus de sévir: la première, que le coupable était lié à la patrie par un devoir plus saint; la seconde,

quand Antoine fut venu camper à côté de Lépidus, et parla aussi de se réunir, il n'y eut bientôt plus que le camp d'Antoine, et il ne resta plus à Brutus et à Cassius qu'à se donner la mort.

« Ce que je viens de dire, je jure que c'est dans tous les points l'exacte vérité. Vous pensez bien qu'on ne l'eût pas entendue dans l'Assemblée nationale. Ici même, parmi vous, je sens que ces vérités ne sauveront point la nation, sans un miracle de la Providence, qui daigne veiller mieux que vos chefs sur les gages de la liberté. Mais j'ai voulu du moins déposer dans votre procès-verbal un monument de tout ce qui va vous arriver. Du moins, je vous aurai tout prédit; je vous aurai tracé la marche de vos ennemis, et on n'aura rien à me reprocher. Je sais que par une dénonciation, pour moi dangereuse à faire, mais non dangereuse pour la chose publique; je sais qu'en accusant, dis-je, ainsi la presqu'universalité de mes confrères, les membres de l'Assemblée, d'être contre-révolutionnaires, les uns par ignorance, les autres par terreur, d'autres par ressentiment, par un orgueil blessé, d'autres par une confiance aveugle, beaucoup parce qu'ils sont corrompus, je soulève contre moi tous les amours-propres, j'aiguise mille poignards, et je me dévoue à toutes les haines; je sais le sort qu'on me garde; mais si dans les commencements de la révolution, et lorsque j'étais à peine aperçu dans l'Assemblée nationale, si lorsque je n'étais vu que de ma conscience, j'ai fait le sacrifice de ma vie à la vérité, à la liberté, à la patrie; aujourd'hui, que les suffrages de mes concitoyens, qu'une bienveillance universelle, que trop d'indulgence, de reconnaissance, d'attachement, m'ont bien payé de ce sacrifice, je recevrai presque comme un bienfait, une mort

que comme il est armé d'un grand pouvoir, il est bien plus dangereux de ne pas réprimer ses attentats. Le roi est inviolable, dites-vous : il ne peut pas être puni: telle est la loi... Vous vous calomniez vous-mêmes! Non, jamais vous n'avez décrété qu'il y eût un homme au-dessus des lois, un homme qui pourrait impunément attenter à la liberté, à l'existence de la nation, et insulter paisiblement, dans l'opulence et dans la gloire, au désespoir d'un peuple malheureux et dégradé! Non, vous ne l'avez pas fait : si vous aviez osé porter une pareille loi, le peuple français n'y aurait

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qui m'empêchera d'être témoin des maux que je vois inévitables. » Camille Desmoulins, qui rapporte ce discours dans les Révolutions de France et de Brabant, ajoute qu'alors il se leva les yeux pleins de larmes, en s'écriant: « Nous inourrons tous avant toi, et toute l'assemblée entraînée comme lui par un mouvement involontaire fit un serment de se rallier autour de Robespierre. A partir du 21 juin se dessine vraiment le rôle politique de Robespierre: il se sépare des constitutionnels, il s'identifie dans la cause du peuple mais on peut dire aussi qu'il identifie à la cause du peuple, ses propres sentiments. « Dans ces journées, dit M. Edgar Quinet dans son livre la Révolution, je crois surprendre le fond de la nature de Robespierre. Il fit alors ce qu'il a fait dans toutes les occasions où il fallait agir: il vit partout des traîtres. Ses discours, encore contenus dans l'Assembléc, sont d'autant plus effarés au dehors. Il dénonce, aux clubs, tous ses collègues de la Constituante. S'il eut pu le 22 juin 1791, mettre ses paroles en pratique, en sortant des Jacobins il aurait dû faire arrêter tous les membres de l'Assemblé et les mener à l'échafaud, puisqu'il les tenait pour complices. Ainsi le principe de terreur qu'il contenait en lui se manifeste à ce moment. Terreur sans motif, sans fondement, sans raison comme l'événement le montra le lendemain. Mais cette même crise de panique que Robespierre a subie par l'évasion du roi, il la subira plus tard en d'autres circonstances; et, devenu alor splus puissant, il pourra alors réaliser ses paroles et ses menaces, sans qu'il soit mieux démontré que l'établissement de la Terreur ait eu sa nécessité ailleurs que dans l'esprit ébranlé et les imaginations ombrageuses de celui qui lui a donné son nom. »

pas cru, ou un cri d'indignation universelle vous eût appris que le souverain reprenait ses droits! L'inviolabilité du roi décrétée dans la constitution est intimement liée à la responsabilité des ministres. Il en résulte que le roi ne peut commettre aucun mal en administration, puisque aucun acte du gouvernement ne peut émaner de lui. Mais il ne peut s'agir d'un acte personnel à un individu revêtu du titre de roi. La meilleure preuve qu'un système est absurde, c'est lorsque ceux qui le professent n'oseraient avouer les conséquences qui en résultent. Or, c'est à vous que je le demande... Législateurs, répondez vous-mêmes, sur vousmêmes: Si un roi égorgeait votre fils sous vos yeux (murmure), s'il outrageait votre femme et votre fille, lui diriezvous: Sire, vous usez de votre droit; nous vous avons tout permis!... Permettriez-vous au citoyen de se venger? Alors vous substituez la violence particulière, la justice privée de chaque individu à la justice calme et salutaire de la loi; et vous appelez cela établir l'ordre public, et vous osez dire que l'inviolabilité absolue est le soutien, la base immuable de l'ordre social!... Mais, messieurs, qu'est-ce que toutes ces hypothèses particulières, qu'est-ce que tous ces forfaits auprès de ceux qui menacent le salut et le bonheur du peuple?... Le roi est inviolable! Mais avez-vous étendu cette inviolabilité jusqu'à la faculté de commettre le crime? Et oserez-vous dire que les représentants du souverain ont des droits moins étendus pour leur sûreté individuelle que celui dont ils sont venus restreindre le pouvoir, celui à qui ils ont délégué, au nom de la nation, le pouvoir dont il est revêtu ? Le roi est inviolable! Mais les peuples ne le sont-ils pas aussi ? Le roi est inviolable par une fiction; les peuples le sont par le droit sacré de la nature; et que faites-vous en couvrant le roi de l'égide de l'inviolabilité, si vous n'immolez l'inviolabilité des peuples à celle des rois! (Applaudissements de la minorité du côté gauche.) Il faut en convenir, on ne raisonne de cette manière que dans la cause

des rois... Comment justifier d'ailleurs, dans le système du comité, l'accusation dirigée contre les trois gardes-du-corps et le gouvernement du dauphin, contre M. de Bouillé luimême? Si le roi n'est pas coupable, il n'y a point de délit; où il n'y a point de délit, il n'y a pas de complice: messieurs, si épargner un coupable est une faiblesse, immoler un coupable plus faible au coupable puissant, c'est une injustice. Vous ne pensez pas que le peuple français soit assez vil pour se repaître du spectacle du supplice de quelques victimes subalternes; ne pensez pas qu'il voie sans douleurs ses représentants suivre encore la marche ordinaire des esclaves, qui cherchent toujours à sacrifier le faible au fort, et ne cherchent qu'à tromper et à abuser le peuple pour prolonger impunément l'injustice et la tyrannie! (Applaudissements.) Non, messieurs, il faut ou prononcer sur tous les coupables, ou prononcer l'absolution générale de tous les coupables. »

Robespierre concluait donc à ce que l'Assemblée décrétât qu'elle consultera le vœu de la nation pour statuer sur le sort du roi. Il concluait aussi à ce que l'Assemblée convoquât promptement la nomination de ses successeurs : indépendamment des factions qui se coalisent contre le peuple la perpétuité du pouvoir dans les mêmes mains pourrait alarmer la liberté publique : « Il faut rassurer la nation contre la trop longue durée d'un gouvernement oligarchique '. »

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1. Robespierre, d'ailleurs, ne consentait pas encore à envisager le changement de la forme du gouvernement. « Qu'on m'accuse si l'on veut de républicanisme, disait-il dans ce discours, je déclare que j'aborrhe toute espèce de gouvernement où les factieux règnent. Il ne suffit pas de secouer le joug d'un despote, si l'on doit retomber sous le joug d'un autre despotisme : l'Angleterre ne s'affranchit du joug de l'un de ses rois, que pour retomber sous le joug plus avilissant encore d'un petit nombre de ses concitoyens. Je ne

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Séance du 15 juillet. Il demande la mise en accusation de Monsieur, frère du roi.

Séance du 10 août. Discussion sur la souveraineté. Le premier article du projet du comité était ainsi conçu : « La souveraineté est une, indivisible, et appartient à la nation; aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice. » Le mot inalienable, omis par le comité, fut ajouté sur la demande de Robespierre aux qualifications de la souveraineté. Il discute ensuite l'article par lequel il est dit que la nation ne peut exercer ses pouvoirs que par délégation: « Les pouvoirs doivent être bien distingués des fonctions les pouvoirs ne peuvent être ni aliénés ni délégués. Si l'on pouvait déléguer les pouvoirs en détail, il s'ensuivrait que la souveraineté pourrait être déléguée, puisque ces pouvoirs ne sont autre chose que des diverses parties essentielles et constitutives de la souveraineté; et alors remarquez que, contre vos propres intentions, vous

suis pas effrayé des mots de roi, de monarchie, disait-il encore; la liberté n'a rien à craindre pourvu que la loi règne et non les hommes. On lui faisait trop d'honneur, disait-il aux Jacobins, en le traitant de républicain. Le mot république pouvait, selon lui, s'appliquer à tout gouvernement d'hommes libres : « Qu'est-ce que la constitution actuelle? C'est une république, avec un monarque. Elle n'est ni monarchie, ni république, elle est l'une et l'autre. » Aussi fut-il opposé à la fameuse pétition rédigée par Laclos et Brissot pour demander la déchéance du roi et qui provoqua les déplorables massacres du champ de Mars. Il dit formellement le 15 juillet: « Quant à la pétition de M. Laclos; elle me paraît devoir être, si non rejetée, du moins modifiée. » Voici en quels termes, le 1er août, il s'exprimait sur ces événements : « Ah! citoyens, qui que vous soyez, hâtez-vous d'ensevelir dans l'oubli cet horrible jour... Veillez sur les ennemis de la patrie, sur ses faux amis; que les factieux soient partout confondus; que la paix et la justice l'emportent: que la liberté, brillant des charmes de la vertu, attire tous les cœurs, réunisse tous les partis, nos vœux seront remplis. » Néanmoins Robespierre que son attitude générale rendait suspect, craignit d'être compromis dan

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