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de violence dont plusieurs provinces avaient été le théâtre, proposait d'adresser au peuple une proclamation pour lui rappeler les bienfaits du roi, et l'inviter à ne plus troubler la paix publique. Robespierre se leva pour combattre cette motion :

« Il faut aimer la paix, » dit-il, « mais aussi il faut aimer la liberté! On parle d'émeute! mais, avant tout, examinons la motion de M. Lally. Je la trouve déplacée, parce qu'elle est dans le cas de faire sonner le tocsin. Déclarer d'avance que des hommes sont coupables, qu'ils sont rebelles, est une injustice. Elle présente des dispositions facilement applicables à ceux qui ont servi la liberté et qui se sont soulevés pour repousser une terrible conjuration de la cour. »

Son opinion fut soutenue par Buzot, et l'Assembée ne vota la motion de Lally-Tollendal qu'avec de profondes modifications'.

1. Dans ce même mois de juillet, tombèrent sous les coups du peuple, les murs de l'ancienne Bastille. On peut penser que la nouvelle en fut accueillie avec satisfaction par Robespierre. Cependant, à cette époque, il ne désespérait pas de pouvoir concilier la cause populaire avec celle de la vieille monarchie. Quand le roi, accompagné de ses deux frères, vint sans escorte déclarer à l'Assemblée nationale, qu'il se fiait à elle, Robespierre ne fut pas un des moins enthousiastes à l'acclamer.« Nous le reçumes avec des applaudissements incroyables, écrit-il à un de ses amis dans une lettre que cite M. Hamel; et le monarque fut reconduit de la salle nationale à son château, avec des démonstrations d'enthousiasme et d'ivresse qu'il est impossible d'imaginer. Le 17 juillet, Louis XVI s'étant décidé à se rendre au désir des Parisiens, et à aller visiter sa bonne ville de Paris, il fut au nombre des députés chargés d'accompagner le roi et y entra avec lui à l'hôtel de ville, où, raconte-t-il dans la même cor respondance, le président du corps électoral, Moreau de Saint-Méry, lui adressa ces paroles libres dans un discours flatteur : << Vous deviez votre couronne à votre naissance, vous ne la devez plus qu'à vos vertus et à la fidélité de vos sujets. » Il déclare aussi, avec complaisance, qu'on prodigua au monarque les démonstrations de joie

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ANNÉE 1789.

Séance du 25 juillet. Des dépêches du comte d'Artois saisies sur le baron de Castelnau, ministre de France à Genève, avaient été envoyées par le maire de Paris, Bailly, au président de l'Assemblée. L'inviolabilité du secret des lettres, défendue par Mirabeau, est combattue par Robespierre. « Sans doute, dit-il, les lettres sont inviolables; mais lorsque toute une nation est en danger, lorsqu'on trame contre sa liberté, ce qui est un crime dans un autre temps devient une action louable... Les ménagements pour les conspirateurs sont une trahison envers le peuple '.>>

et de tendresse les plus expressives. Robespierre ne retourna pas à Versailles avec le roi il resta à Paris, et voulut aller visiter la Bastille qu'on venait de livrer à la pioche des démolisseurs : « J'ai vu la Bastille, écrit-il; j'y ai été conduit par un détachement de cette bonne milice bourgeoise qui l'avoit prise; car après que l'on fut sorti de l'hôtel de ville, le jour du voiage du roi, les citoiens armés se fesoient un plaisir d'escorter par honneur les députés qu'ils rencontroient, et ils ne pouvoient marcher qu'aux acclamations du peuple. Que la Bastille est un séjour délicieux, depuis qu'elle est au pouvoir du peuple, que ses cachots sont vuides, et qu'une multitude d'ouvriers travaillent sans relâche à démolir ce monument odieux de la tirannie! Je ne pouvois m'arracher de ce lieu, dont la vue ne donne plus que des sensations de plaisir, et des idées de liberté à tous les citoyens. ›

1. Il est juste d'observer qu'en une autre circonstance, le 28 janvier 1791, Robespierre se fit le défenseur du secret des lettres. Il s'agissait de papiers destinés à divers départements, et renvoyés au président de l'Assemblée, comme contenant des attaques contre la représentation nationale. « Comment sait-on, s'écria Robespierre, que ce sont des écrits contre l'Assemblée nationale? on a donc violé le sceau des cachets ? c'est un attentat contre la foi publique. A ce propos M. Hamel, dans son Histoire de Robespierre, s'élève très amè

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Séance du 31 juillet. - Il s'oppose à l'amnistie de Bézenval.

« Je réclame dans toute leur rigueur les principes qui doivent soumettre les hommes suspects à la nation, à des jugements exemplaires. Voulez-vous calmer le peuple? par.. lez-lui le langage de la justice et de la raison, qu'il soit sûr que ses ennemis n'échapperont pas à la vengeance des lois, et les sentiments de la justice succéderont à ceux de la haine. »

Séance du 24 août. Dans les discussions sur la déclaration des droits, il revendique vigoureusement la liberté de la presse « Vous ne devez pas balancer à déclarer franchement la liberté de la presse. Il n'est jamais permis à des hommes libres de prononcer leurs droits d'une manière ambiguë... La liberté de la presse est une partie inséparable de celle de communiquer ses pensées. »

Séance du 26 août.— « M. Robert-Pierre 1, dit le Point du jour, (journal rédigée par Barère), en rendant compte de cette séance, a représenté avec énergie des principes trèsvrais sur le droit qu'à la nation de faire seule la loi de l'impôt. »

«La nation, avait dit Robespierre, n'a pas seulement le droit de consentir l'impôt; elle a encore celui de le répartir, de veiller à son emploi et de s'en faire rendre compte; › et il avait proposé la rédaction suivante de l'article constitution

rement contre les affirmations de quelques historiens, que Robespierre aurait conseillé dès 1789 la violation du secret des lettres. Des deux opinions contradictoires que nous venons de citer, il résulte du moins qu'il n'avait pas à cet égard des principes fort arrêtés, et qu'il était disposé à passer outre toutes les fois que cela pouvait paraître utile. C'est bien là l'esprit de la jurisprudence qui est encore suivie aujourd'hui.

1. Le nom de Robespierre est assez communément défiguré dans les journaux du temps: les uns l'appellent Robert-Pierre, les autres Robertspierre, d'autres Robetz-Pierre.

sur ce point: « Toute contribution publique étant une portion des biens des citoyens mise en commun pour subvenir aux dépenses de la sûreté publique, la nation seule a le droit d'établir l'impôt, d'en régler la nature, la quotité, l'emploi et la durée. »

Séance du 11 septembre. Robespierre appuie, « avec beaucoup de force et d'éloquence, » dit le Moniteur, la motion de Lepelletier de Saint-Fargeau, que les pouvoirs des représentants du peuple n'excèdent pas une année : « Dans une grande monarchie, le peuple ne peut exercer sa toutepuissance qu'en nommant ses représentants; il est juste que le peuple les change souvent; rien n'est plus naturel que ce désir d'exercer ses droits, de faire connaître ses sentiments, de recommander souvent son vou. Ce sont là les bases de la liberté. »

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Octobre. La discussion sur le veto ayant été close avant que son tour de parole fût venu, Robespierre fit imprimer le discours qu'il avait préparé à cette occasion. Il s'y prononce contre toute espèce de veto soit absolu, soit suspensif :

<< Celui qui dit qu'un homme a le droit de s'opposer à la loi dit que la volonté d'un seul est au-dessus de la volonté de tous. Il dit que la nation n'est rien, et qu'un seul homme est tout. S'il ajoute que ce droit appartient à celui qui est revêtu du pouvoir exécutif, il dit que l'homme établi par la nation pour faire exécuter les volontés de la nation a le droit de contrarier et d'enchaîner les volontés de la nation; il a créé un monstre inconcevable en morale et en politique, et ce monstre n'est autre chose que le veto royal. » Nous remarquons dans ce discours cette définition de la monarchie « Le mot monarchie, dans sa véritable signification, exprime uniquement un État où le pouvoir exécutif est confié à un seul. Il faut se rappeler que les gouvernements, quels qu'ils soient, sont établis par le peuple et pour le peuple; que tous ceux qui gouvernent, et par conséquent

les rois eux-mêmes, ne sont que les mandataires et les dé

légués du peuple. »

Séance du 21 octobre.

Il s'oppose à la loi martiale, et il demande la création d'un tribunal national, dont les membres seront pris dans le sein même de l'Assemblée, pour juger les crimes commis envers la nation.

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Séance du 22 octobre. Il s'oppose au décret du marc d'argent qui fait dépendre la qualité de citoyen actif, c'està-dire d'électeur et d'éligible, du payement d'une contribution directe de la valeur de trois journées de travail, et il réclame le suffrage universel: « Tous les citoyens, quels qu'ils soient, ont droit de prétendre à tous les degrés de représentation... La constitution établit que la souveraineté réside dans le peuple, dans tous les individus du peuple, chaque individu a donc droit de concourir à la loi par laquelle il est obligé, et à l'administration de la chose publique qui est la sienne. Sinon il n'est pas vrai que les hommes sont égaux en droits, que tout homme est citoyen. »>

Séance du 18 novembre. Il demande que le nombre des membres de l'Assemblée administrative de chaque départe ment soit porté à quatre-vingts au lieu de trente-six, chiffre proposé par le comité de constitution. « Un peuple qui veut se régénérer, » disait-il, « et qui veut fonder sa liberté sur les ruines de toutes les aristocraties, doit avoir des assemblées nombreuses pour que ses représentants soient plus impartiaux, »

En vertu du même principe, il voulait que l'on portât à mille le nombre des députés aux Assemblées nationales. Séance du 19 novembre. Les états du Cambrésis avaient pris un arrêté séditieux par lequel ils revoquaient les députés de la province. Quelques députés voulaient qu'on déférât les auteurs de cet acte à la justice. Robespierre est d'avis que les états se sont montrés plus ignorants que coupables: <«< Ils n'ont pu se dépouiller encore des préjugés gothiques dans lesquels ils ont vécu; les sentiments de

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