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teste. Voilà, mes chers compatriotes, l'homme qui va vous parler. Voici ce qu'il a à vous dire Vous allez avoir à nommer des représentants, et sûrement vous y avez déjà pensé. Vous allez confier à un petit nombre d'entre vous vos libertés, vos droits, vos intérêts les plus précieux; sans doute vous vous proposez de les remettre en des mains pures; mais quels soins, quelle vigilance vous devez apporter pour apercevoir la plus légère tache qui aurait pu les flétrir! Prenez-y garde, le choix est difficile; il m'épouvante lorsque j'entreprends l'énumération des vertus que doit avoir un représentant du tiers état. » Suit alors la longue énumération des qualités requises: la plus scrupuleuse probité; une élévation d'àme peu commune et n'ayant pas attendu les circonstances présentes pour se développer tout à coup; une inébranlable fermeté; une indépendance absolue; de grandes vues; un coup d'oeil pénétrant, sachant découvrir dans le lointain les vérités utiles; le talent nécessaire pour défendre et faire triompher ces vérités; l'éloquence du cœur, sans laquelle on n'arrive pas à persuader. Il faut enfin que l'élu de la nation soit incapable de rétrograder, se montre inabordable à toutes les séductions, soit incorruptible, en un mot. « Incorruptible! c'est le nom dont lui-même il sera bientôt universellement baptisé; et, il faut bien le reconnaître, ces qualités exquises dont il exige qu'un représentant du peuple soit pourvu, il les posséda toutes au plus haut degré.» (HAMEL, Histoire de Robespierre.)

« Défiez-vous, » ajoutait-il, « du patriotisme de fraîche date, de ceux qui vont partout prônant leur dévouement intéressé, et des hypocrites qui vous méprisaient hier et qui vous flattent aujourd'hui pour vous trahir demain. Interrogez la conduite passée des candidats: elle doit être le garant de leur conduite future. Pour servir dignement son pays, il faut être pur de tout reproche. » Quant à lui, s'il n'était besoin que d'être animé du sincère amour du peuple et de la ferme volonté de le défendre, il pourrait aussi

aspirer en secret à la gloire de représenter ses concitoyens. mais son insuffisance lui commande la modestie; il se borne donc à former des vœux pour le bonheur de la France. Ces vœux, dit-il en terminant par un mot où l'on peut déjà deviner le Robespierre de la Convention, ces vœux, « l'Être suprême les entendra; il en connaît la ferveur et la sincérité; je dois espérer qu'il les exaucera. »

La première réunion électorale du tiers état de la ville d'Arras eut lieu le lundi 27 mars. Elle fut très-orageuse. Les officiers municipaux qui étaient présents, et dont les pouvoirs avaient été vivement contestés, donnèrent leur démission dans la soirée. On s'était plaint surtout de ce que quelques-uns d'entre eux avaient pénétré dans l'assemblée, quoique appartenant à l'ordre de la noblesse. Le duc de Guines, gouverneur de la province, arrêta, afin de calmer l'effervescence des esprits, que les seuls membres de l'échevinage, faisant partie du tiers état, auraient droit d'assister aux réunions suivantes. La séance du lendemain fut plus paisible; mais, sur la motion d'un membre, on décida qu'on demanderait une loi aux états généraux, afin que les officiers municipaux fussent désormais nommés directement par les communes. L'assemblée électorale du tiers état de la ville d'Arras termina ses opérations le 30 mars, fort avant dans la nuit, par la nomination de vingt-quatre députés ou plutôt électeurs du second degré, au nombre desquels figurait Robespierre qui avait pris une part active aux discussions de ces quatre jours '.

Il a raconté lui-même toutes les scènes dont cette assembléé fut le théâtre, dans une brochure intitulée : Les Ennemis de la patrie, démasqués par le récit de ce qui s'est passé dans les assemblées du tiers état de la ville d'Arras, in-8° de 58 pages. C'est le récit de toutes les intrigues dont

1. Au scrutin pour l'élection des députés du tiers-état aux états généraux, ouvert le 24 avril, Robespierre fut élu le cinquième.

usèrent les gens de la noblesse pour exclure les candidats démocratiques. On y lit entre autres choses qui caractérisent bien l'homme.« O citoyens ! la patrie est en danger; des ennemis domestiques plus redoutables que les armées étrangères trament en secret sa ruine. Volons à son secours, et rallions tous ses défenseurs au cri de l'honneur, de la raison et de l'humanité... Que m'importe que, fondant sur leur multitude ou sur leurs intrigues l'espoir de nous replonger dans tous les maux dont nous voulons nous délivrer, ils méditent déjà de changer en martyrs tous les défenseurs du peuple! Fussent-ils assez puissants pour m'enlever tous les biens qu'on envie, me raviront-ils mon âme et la conscience du bien que j'aurai voulu faire 1?..... »

1. M. Ernest Hamel rapporte que, quelque temps avant l'ouverture du scrutin, ayant à plaider la cause d'un malheureux qui avait été longtemps enfermé à la sollicitation de ses parents, il prit texte de cette affaire pour réclamer hautement la complète abolition des lettres de cachet. Puis, traçant par avance le tableau des bienfaits que, selon lui, la nation était en droit d'attendre des prochains étatsgénéraux, il s'écriait, en s'adressant au roi lui-même, et après avoir dicté en quelque sorte les principes fondamentaux du nouveau droit des Français: «Oh! quel jour brillant, sire, que celui où ces principes, gravés dans le cœur de Votre Majesté, proclamés par sa bouche auguste recevront la sanction inviolable de la plus belle nation de l'Europe; ce jour où, non content d'assurer ce bienfait à votre nation, vous lui sacrifierez encore tous les autres abus, source fatale de tant de crimes et de tant de maux... Conduire les hommes au bonheur par la vertu et à la vertu par une législation fondée sur les principes immuables de la morale universelle, et faite pour retablir la nature humaine dans tous ses droits et sa dignité première; renouer la chaine immortelle qui doit unir l'homme à Dieu et à ses semblables, en détruisant toutes les causes de l'oppression et de la tyrannie, qui sème sur la terre la crainte, l'orgueil, la défiance, la bassesse, l'égoïsme, la haine, la cupidité et tous les vices qui entraînent l'homme loin du but que le législateur éternel avait assigné à la société; voilà, sire, la glorieuse entreprise à laquelle il vous a appelé. »

C'est Étienne Dumont, de Genève, qui dans ses Souvenirs sur les deux premières Assemblées législatives, rapporte le début oratoire de Robespierre aux États généraux. Dans les débats qui s'élevèrent au sujet de la prétention de la noblesse et du clergé de vérifier isolément les pouvoirs, l'archevêque d'Aix, pour détourner l'attention publique, et pour obtenir par surprise une réunion des ordres, était venu dans la salle du tiers s'apitoyer sur les malheurs du peuple et il invita les communes à envoyer quelques députés pour conférer avec ceux du clergé et de la noblesse sur les moyens d'adoucir le sort des indigents.

>> Les communes qui voulaient garder leur immobilité, poursuit Étienne Dumont, sentirent le piége, et n'osaient pas rejeter ouvertement une proposition dont le refus pouvait les compromettre aux yeux de la multitude. Un député prit la parole et renchérit sur le sentiment du prélat en faveur de la classe indigente; mais il jeta un doute avec adresse sur les sentiments du clergé : « Allez, dit-il à l'ar

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Ce discours fut publié en brochure : Mémoire pour le sieur Louis-Marie-Hyacinthe Dupond, détenu pendant douze ans dans une prison, en vertu d'une lettre de cachet, interdit durant sa captivité, spolié par suite de vexations qui embrassent le cours de plus de vingt ans. Arras, 1789, in-4° de 93 pages. On a pareillement de Robespierre, avocat à Arras; Plaidoyers pour le sieur de Vissery de BoisValé, appelant d'un jugement des échevins de Saint-Omer, qui avait ordonné la destruction d'un paratonnerre élevé sur sa maison, imprimés en 1783, avec cette épigraphe, tirée de Lemierre :

L'usage appuyé sur le temps

Et les préjugés indociles
Ne se retire qu'à pas lents

Devant les vérités utiles.

Mémoire pour François Deteuf, demeurant au village de Marchiennes, contre les grand prieur et religieux de l'abbage d'Auchin, Arras, 1784, in-8° de 21 pages.

» chevêque, et dites à vos collègues que, s'ils ont tant d'impatience à soulager le peuple, ils viennent se » joindre dans cette salle aux amis du peuple, dites-leur » de ne plus retarder nos opérations par des délais affectés; » dites-leur de ne plus employer de petits moyens pour »> nous faire abandonner les résolutions que nous avons »prises; ou plutôt, ministres de la religion, dignes imita>>teurs de votre maître, renoncez à ce luxe qui vous » entoure, à cet éclat qui blesse l'indigence; reprenez la >> modestie de votre origine; renvoyez ces laquais orgueil>> leux qui vous escortent, vendez ces équipages superbes, >> et convertissez ce vil superflu en aliments pour les pau»vres. » A ce discours qui entrait si bien dans les passions du moment, il se fit, non pas un applaudissement qui aurait été une bravade, mais un murmure confus beaucoup plus flatteur. On demandait partout quel était l'orateur; il n'était pas connu, et ce ne fut qu'après quelques moments de recherche qu'on fit circuler dans la salle et les galeries un nom, qui trois ans après, faisait trembler toute la France c'était Robespierre » 1.

Dans le compte rendu de la séance du 20 juillet 1789, le Moniteur fait mention pour la première fois du nom de Robespierre. Lally-Tollendal, après avoir dénoncé les scènes

1. Étienne Dumont a laissé de Robespierrre, dans ses Souvenirs, un portrait qui n'est point flatté : « Il avait un aspect sinistre, il ne regardait point en face, il avait dans les yeux un clignotement continuel et pénible... Je le pressai de prendre la parole; il me dit qu'il avait une timidité d'enfant, qu'il tremblait toujours en s'approchant de la tribune. « On peut rapprocher de ce jugement celui de madame de Staël : « J'ai causé une fois avec lui chez mon père, en 1789, lorsqu'on ne le connaissait que comme un avocat de l'Artois, très-exagéré dans ses principes démocratiques. Ses traits étaient ignobles, son teint pâle, ses veines d'une couleur verte; il soutenait les thèses les plus absurdes avec un sang-froid qui avait l'air de la conviction.»

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