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9726

JUL
21
1884

UN MOT A MES LECTEURS.

Depuis la publication de notre quatrième volume, il est intervenu contre cet ouvrage un jugement de la Congrégation de l'Index. Curieux de savoir ce qui avait amené la condamnation d'un livre où l'on ne fait en général qu'exposer les faits qui se passaient en France et les opinions qui y avaient cours, nous avons cherché à connaître les causes de la décision de ce tribunal. Les démarches faites à Rome ont été vaines. Le cardinal de Luca a répondu qu'il n'était pas dans les usages de renseigner les auteurs sur les motifs de leur condamnation, à moins que le décret ne portât la clause Donec corrigatur. Il a ajouté que cette clause n'étant pas mentionnée dans la décision qui concernait La France sous Louis XV, il n'avait rien à dire.

La conclusion à tirer de ce silence, c'est que l'ouvrage a été condamné pour sa tendance générale plutôt que pour quelques assertions particulières. Le respect profond que nous avons pour la liberté des cultes nous aurait interdit toute discussion sur des questions de dogme qui n'ont qu'un rapport très-accidentel et très

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indirect avec le sujet que nous traitons; à plus forte raison n'avons-nous aucun désir de nous défendre contre une proscription générale.

Si, par hasard, la Congrégation de l'Index, d'accord une fois avec Voltaire, eût écrit comme lui : « Cicéron a beau enseigner qu'un historien doit dire tout ce qui est vrai, je ne pense pas ainsi. Tout ce qu'on rapporte doit être vrai, sans doute; mais je crois qu'on doit supprimer beaucoup de détails inutiles et odieux; » nous aurions répondu, nous sommes de l'avis de Cicéron : nous avons tout dit, nous avons parlé avec détail de la persécution exercée contre les Jansénistes et nous défendons les Jésuites avec Voltaire, lorsque les parlements les chassent de France pour des crimes imaginaires. Nous signalons l'injustice et l'oppression partout où nous la rencontrons, et si, par exemple, nous eussions écrit l'histoire de l'Irlande, nous aurions condamné les persécutions dirigées contre les catholiques, sans pour cela nous placer à un point de vue catholique.

Quelques lecteurs nous ont reproché de nous être trop étendu sur ce qui concerne la religion réformée, attribuant à une sorte de partialité les détails nombreux et circonstanciés que nous avons donnés sur les protestants. Cette critique, si elle était fondée, serait, à nos yeux, bien plus grave que le blâme qu'on nous aurait infligé pour avoir mis certains actes en lumière. La vérité historique ne consiste pas, en effet, seulement dans l'exposé des faits, mais aussi dans le plus ou moins d'importance relative qui leur est donnée. Il serait trop facile, en s'étendant avec complaisance sur certains événements, de changer leur portée et d'altérer par cela même la nature de certains autres qui auraient exercé une influence plus grande et plus décisive sur les destinées d'une nation. Nous pensons n'avoir pas dépassé la véritable mesure et nous être renfermé strictement dans

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les limites que nous traçaient les documents les plus irrécusables de l'histoire. Oublions un instant nos habitudes de tolérance religieuse qui, au premier abord, nous rendent incrédules à l'annonce de la moindre oppression. Rappelons-nous le bruit causé par l'enlèvement du jeune Mortara à Rome, par les condamnations de Suédois convertis au catholicisme et d'Espagnols convertis au protestantisme, et, après ce retour rétrospectif sur des événements bien récents, demandons-nous ce qui arriverait dans notre société, si l'on nommait, comme sous Louis XIV et Louis XV, un ministre spécial avec mission d'exercer une persécution permanente contre plus de cinq cent mille Français. Pour juger le trouble apporté dans notre pays et nous rendre un compte exact de ce qui devait se passer au sein de plus de cent mille familles, reportons-nous au temps où Saint-Florentin avait cette charge; représentons-nous les angoisses éprouvées par les amis, les voisins d'infortunés que pourchassaient des fonctionnaires empressés de faire du zèle et des prêtres quelquefois aussi fanatiques que peu éclairés.

Les souffrances, les humiliations de la France, rien n'arrêta cette guerre déclarée par l'administration française à des familles françaises. Lorsque Choiseul, traitant de la paix avec une puissance protestante, cède, dans les épanchements de l'intimité, aux sollicitations de l'ambassadeur anglais et obtient du roi le pardon de quelques malheureux, Saint-Florentin s'indigne et écrit aussitôt à son collègue, le 16 janvier 1763: « Le feu roi, par son édit de 1685 et par ses déclarations de 1686 et 1698, a défendu à tous ses sujets de faire aucun exercice de la religion prétendue réformée et de s'assembler pour cet effet, à peine, contre les hommes, des galères perpétuelles, et contre les femmes d'être rasées et enfermées pour toujours; et le roi (Louis XV) a renouvelé les mêmes défenses, sous les mêmes peines, par sa déclara

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tion du 24 juin 1724. Le feu roi avait si fort à cœur l'exécution de celles qu'il avait données sur le fait de la religion, que, par un règlement particulier concernant le détail des galères, et qui est dans vos bureaux, il décida qu'aucun homme condamné par cause de religion ne pourrait jamais sortir des galères. »

Nous terminerons notre justification par l'extrait de cette lettre que nous donnons en entier dans le cours de notre récit. Elle est une preuve nouvelle et incontestable de l'importance extrême qu'occupe et doit occuper la question protestante dans toute histoire sérieuse et impartiale de la France, sous les règnes de Louis XIV et de Louis XV.

Aux forges de Siam (Jura), 15 décembre 1868.

ERRATUM DE LA PAGE 252.

Lisez dans la note mise au bas de cette page :

La première édition de l'Esprit des lois a été imprimée à Genève, au lieu de a été imprimée en Hollande.

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