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voir des successions, celles de leurs esclaves; ils ont la faculté de demander la bonorum possessio, de recevoir des legs et des fidéicommis. Capables de s'obliger par contrat, ils ont le droit de figurer en justice comme les particuliers dont ils se rapprochent sans cesse.

Faut-il pousser plus loin cette assimilation et décider que les municipes peuvent être tenus d'obligations ex delicto ou quasi ex delicto? C'est la question que nous allons examiner.

L'homme n'est responsable, au point de vue pénal, comme au point de vue civil, que du fait illicite qu'il a matériellement commis et qui peut lui être imputé. Cette règle fondamentale a toujours été respectée par les Romains: « Peccata suos teneant auctores: nec ulterius progrediatur metus, quam reperiatur delictum (1). » Cependant, quelques exceptions y ont été apportées; les Institutes de Justinien (liv. IV, tit. V, §§ 1 et 3) les énumèrent d'une manière précise. Ces dérogations confirment le principe que nous énoncions précédemment, à savoir que les faits illicites obligent seulement ceux qui les ont commis. S'il en est ainsi, de quelle responsabilité les municipes peuvent-ils être tenus, puisqu'ils ne constituent que des personnes morales, c'est-à-dire des êtres fictifs qui n'ont pas de vie naturelle. Les personnes civiles n'ont ni volonté propre, ni activité personnelle; une abstraction n'agit pas, et

(1) Loi 22, C., De pœnis, 9, 47.

pour qu'elle manifeste sa vie, le concours d'une ou de plusieurs personnes réelles lui est nécessaire. Il semble donc impossible qu'un municipe puisse encourir une responsabilité qui suppose un fait personnel. Cependant, lorsqu'on examine les exceptions que les Institutes de Justinien apportent au principe de l'imputabilité des fautes, on peut remarquer qu'elles se ramènent presque toutes à une idée de propriété ou de mandat; or, en raison même de sa personnalité qui lui confère le droit de devenir propriétaire, le municipe doit supporter les charges qui sont inhérentes à ce droit, il doit aussi être obligé par les actes de ses représentants. Nous allons examiner les cas dans lesquels un municipe est responsable et l'étendue de son obligation, en nous plaçant successivement au point de vue du droit pénal et au point de vue du droit civil.

CHAPITRE II

RESPONSABILITÉ PÉNALE DES MUNICIPES

Pour qu'un fait soit imputable à une personne, qu'elle en soit pénalement responsable, il faut qu'elle l'ait accompli elle-même, et qu'elle ait une intelligence suffisante pour discerner le bien du mal, le juste de l'injuste; il faut encore que cette personne soit libre, c'est-à-dire capable de préférer le bien au mal, le juste à l'injuste. Or, quand il s'agit des personnes morales, notamment des municipes, on ne rencontre pas ces caractères qui sont les conditions indispensables de la responsabilité; ils n'ont pas de volonté propre, ils n'agissent pas eux-mêmes, comment les déclarer responsables d'infractions qu'ils ne peuvent pas commettre? « Tous les délits sont personnels, a dit Loysel, en crimes il n'y a pas de garants. »

Cependant, des auteurs soutiennent que les municipes peuvent encourir une certaine responsabilité pénale. Ils partent de ce principe qu'une personne juridique a une capacité absolue de droit et d'action, et

que cette liberté ne reçoit aucune restriction; cette personne morale agit par l'intermédiaire de ses représentants, et ce qui est fait par eux est considéré comme émanant d'elle-même; elle doit donc répondre des crimes et délits qu'ils commettent. Ces auteurs reconnaissent qu'il y a des délits dont les municipes ne peuvent pas être responsables, des peines qu'ils ne doivent pas encourir; ainsi, personne ne songera à accuser un municipe d'adultère ou de bigamie, on ne lui infligera pas la peine du bannissement ou de l'emprisonnement. Mais ces exceptions ne laissent pas moins subsister le principe de responsabilité et l'application des règles du droit pénal.

La question est générale; elle se ramène au point de savoir si la création d'une personne civile a pour but de lui donner une aptitude restreinte à certains droits, limitativement déterminés par l'acte constitutif de la personnalité, ou, si, en créant cet être fictif, la loi, le sénatus-consulte ou la constitution impériale a donné naissance à une personne capable d'acquérir tous les droits, susceptible de toutes obligations, et assimilée, au point de vue juridique, aux personnes réelles.

Il n'est pas douteux que les municipes aient eu la personnalité civile, les textes l'affirment : personæ vice fungitur municipium, dit Florentinus (L. 22, D., De fidejus., 46, 1). Cependant, il n'est pas moins vrai qu'il y a eu à l'origine une grande incertitude sur leur ca

pacité juridique; leurs droits étaient mal définis, ils ne l'étaient peut-être pas. Nous nous proposons d'exposer en quelques mots les progrès que fit successivement l'idée de représentation et de prouver que les municipes ne se sont pas contentés de restreindre leur action dans les limites qui leur avaient été tracées, si toutefois des bornes avaient été fixées à leur activité. Nous montrerons par quelques exemples que leurs efforts constants ont eu pour résultat de les rapprocher des personnes réelles, et que cette prétention de certains auteurs de pousser l'idée de personnalité jusqu'à la culpabilité et la pénalité n'a rien d'exagéré.

Toutes les fois que le droit de cité était concédé à une ville, une lex municipalis déterminait la condition qui lui était faite, l'étendue de ses droits, ses devoirs vis-à-vis de Rome, sa patrie d'adoption. Il nous serait difficile d'indiquer avec précision quels ont été, à l'origine, ces droits et ces obligations; l'étude dans laquelle nous allons nous engager suffira à prouver la témérité d'une affirmation sur ce point. A l'époque du Bas-Empire, les municipes étaient capables d'acquérir des droits réels, de recevoir une hérédité, de demander et d'obtenir la bonorum possessio, d'accepter des legs et des fidéicommis. Mais, dans les premières années de leur création, ces droits leur étaient contestés.

En ce qui concerne la possession, le jurisconsulte Paul (L. 1, § 22, D., De adquir. poss., 41, 2) nous apprend que les municipes ne pouvaient pas l'acqué

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