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n'ont qu'à parler: la guillotine les attends (1) ». On sent bien qu'il fallut obéir à ces douces paroles. Ce que les quatre artistes avoient prévu, ne manqua pas d'arriver: «Les dépenses triplèrent les recettes, disent-ils, dans un mémoire très-bien fait ; ils demeurèrent huit mois sans prendre un sol pour leurs appointemens, ne s'attachant qu'à - payer, autant qu'il leur étoit possible, les artistes qu'ils employoient. Ils vécurent, eux et leurs familles, d'emprunt et de la vente de leurs effets. En vain ils sollicitèrent leur retraite. Pendant ces tems difficiles, ajoutent-ils, nul n'envioit l'exploitation du grand théâtre. Mais quelques mois après la révolution de thermidor, lorsque les citoyens reconquirent le droit de respirer, de parler, d'exister en paix; les délassemens devinrent un besoin; le spectacle fut fréquenté; les recettes couvrirent bientôt les dépenses et comblèrent le déficit. Dès-lors, cette entreprise fut convoitée, plusieurs partis se la disputoient.... On fit agir les ressorts secrets de l'intrigue.»-Les nouveaux administrateurs du grand théâtre en furent évincés par arrêté du représentant du peuple

(2) Ce Lequinio est l'indigne représentant du peuple désigné ci-dessus, page 252, qui, armé de deux pistolets, eut la férocité d'aller brûler la cervelle à un détenu. Nous pourront détailler ce trait, par la suite.

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Treillard, le 30 pluviôse, ( troisième année).

Ils attendoient avec sécurité l'époque de la elôture (le 15 germinal); ils étoient prêts à rendre compte de leur conduite politique et administrative; lorsqu'un orage imprévu s'éleva contre eux. -Les mânes de nos concitoyens, disent-ils, dans le mémoire déjà cité, appelloient la vengeance; les cris des tombeaux rassemblèrent dans nos murs les descendans des victimes de la plus affreuse tyrannie; les défensents de la patrie vinrent demander justice de l'assassinat de leur père, et les débris du colosse de la terreur alloient être détruits...... Nous fûmes désignés comme agens ou partisans du systêm de terreur; et l'enthousiasme de la vertu fat em ployé par le crime avec un tel succès, que des citoyens, armés au cri de la nature, deviurent partie active dans une intrigue purement théâ trale. »

Observez que les quarre artistes dont il s'agit ici, n'avoient jamais été d'aucun club, d'aucune société dite fraternelle, et qu'ils ne s'étoient occupés qu'à se distinguer dans l'ho norable carrière où les engagea leur goût, pour les talens qu'exige le théâtre. Ils n'ont jamais dénoncé personne; c'est ce que prouva solemnellement le relevé des registres des autorités constituées de Bordeaux.

Mais les jeunes gens de cette ville, qui n'avoient point encore vu ces preuves victorieuses > appellèrent, à grand cri au spectacle, les administrateurs objets innocens de leur haîne. Le citoyen Labenette, fort de la tranquillité de sa conscience, eut le courage de paroître. On lui cria de se mettre à genoux; il se retiroit sans vouloir s'assujettir à cette posture humiliante; il est saisi, traîné par les cheveux sur le théâtre, et on veut le contraindre à demander pardon de crimes qu'il étoit incapable d'avoir commis. Un officier municipal vint l'arracher des mains de ses persécuteurs, ou prévenus, ou agens de l'intrigue.

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L'innocence, l'exacte probité de cet artiste, ne tarda pas à éclater dans tout son jour ainsi que celle de ses trois associés, dont l'un d'eux, Laméry, est encore à Bordeaux, comblé de l'estime et de la considération du public.

Les jeunes gens de cette grande ville, qu'on a toujours vu prêts à revenir de leur erreur, et qui n'ont à se reprocher que d'avoir prévenu la justice à l'égard de deux terroristes, dont même ils avoient été provoqués; honteux de leur procédé à l'égard de Labenette, le sollicitèrent, à diverses reprises, de reprendre son emploi au théâtre. Mais cet acteur déclara avec fermeté,

de bouche, et par un imprimé, qu'il ne se rendroit qu'au bout de dix jours aux instances dont on l'honoroit; afin qu'on eut le tems de s'assurer s'il étoit réellement coupable des délits dont on l'avoit accusé, et de l'en punir, s'il s'élevoit la moindre prévention contre lui. Il fallut lui accorder le tems qu'il demandoit ; et sa gloire n'en fut que plus complete.

Ce qui auroit dû ne laisser aucun doute sur leur façon de penser, c'étoient leurs démarches, leurs vives sollicitudes en faveur des artistes détenus; ils saisirent l'occasion de l'inauguration du temple populaire, pour solliciter, des représentans du peuple, la mise en liberté des artistes du grand théâtre; ils eurent la satisfaction de l'obtenir; il n'y en eut que deux d'excepté ; ils ne cessèrent de les réclamer avec les instances les plus pressantes, jusqu'à ce qu'ils eussent été rendus à leurs vœux, et à ceux de toute la ville.

Fin du Tome premier.

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