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L'armée d'Orient a, jusqu'à ce jour, tout souffert, tout surmonté : l'épidémie, l'incendie, la tempête, les privations; une place sans cesse ravitaillée, défendue par une artillerie formidable de terre et de mer, deux armées ennemies supérieures en nombre, rien n'a pu affaiblir son courage ni arrêter son élan. Chacun a noblement fait son devoir, depuis le maréchal qui a semblé forcer la mort à attendre qu'il eût vaincu, jusqu'au soldat et au matelot dont le dernier cri en expirant était un von pour la France, une acclamation pour l'élu du pays. Déclarons-le donc ensemble, l'armée et la flotte ont bien mérité de la patrie.

«La guerre, il est vrai, entraîne de cruels sacrifices; cependant, tout me commande de la pousser avec vigueur, et, dans ce but, je compte sur votre concours.

«L'armée de terre se compose aujourd'hui de 581,000 soldats et de 113,000 chevaux; la marine à 62,000 matelots embarqués. Maintenir cet effectif est indispensable. Or, pour remplir les vides occasionnés par les libérations annuelles et par la guerre, je vous demanderai, comme l'année dernière, une levée de 140,000 hommes. Il vous sera présenté ane loi qui a pour but d'améliorer, sans augmenter les charges du Trésor, la position des soldats qui se rengagent. Elle procurera l'immense avantage d'accroître dans l'armée le nombre des anciens soldats et de permettre de diminuer plus tard le poids de la conscription. Cette loi, je l'espère, aura bientôt votre approbation.

« Je vous demanderai l'autorisation de conclure un nouvel emprunt national. Sans doute cette mesure accroîtra la dette publique ; n'oublions pas néanmoins que, par la conversion de la rente, l'intérêt de cette dette a été réduit de 21 millions et demi. Mes efforts ont eu pour but de mettre les dépenses au niveau des recettes, et le bu lget ordinaire vous sera présenté en équilibre; les ressources de l'emprunt seules feront face aux besoins de la guerre.

« Vous verrez avec plaisir que nos revenus n'ont pas diminué. L'activité industrielle se soutient, tous les grands travaux d'utilité publique se continuent, et la Providence a bien voulu nous donner une récolte qui satisfait à nos besoins. Le gouvernement, néanmoins, ne ferme pas les yeux sur le malaise occasionné par la cherté des subsistances; il a pris toutes les mesures en son pouvoir pour prévenir ce malaise, et, pour le soulager, il a créé dans beaucoup de localités de nouveaux éléments de travail.

«La lutte qui se poursuit, circonscrite par la modération et la justice, tout en faisant palpiter les cœurs, effraie si peu les intérêts, que bientôt les diverses parties du globe réuniront ici tous les produits de la paix. Les étrangers ne pourront manquer d'être frappés du saisissant spectacle d'un pays qui, comptant sur la protection divine, soutient avec énergie une guerre à six cents lieues de ses frontières, et qui développe avec la même ardeur ses richesses intérieures; un pays où la guerre n'empêche pas l'agriculture et l'industrie de prospérer, les arts de fleurir, et où le génie de la nation se révèle dans tout ce qui peut faire la gloire de la France. >>

Après le discours impérial, ont prêté serment:

MM. les sénateurs: Le général comte Randon, Daviel, de Sivry, le gé

néral vicomte de Pernety, le général marquis de Cramayel, le baron de Chassiron, le comte lector de Béarn, Billault, le comte Jules de Grossolle Flamarens, le prince Poniatowsky, le général Prevost, Tourangin, Vaïsse. MM. les députés : Le marquis de Chaumont-Quitry, le général Boullé, Busson, Robert, Beauchamp, Cazelles, Creuzet.

N'ont pas répondu à l'appel de leur nom :

Sénateurs, MM. le comte Hector de Béarn, Vaïsse.

Le Sénat se réunira aujourd'hui mercredi, à 2 heures. Les sénateurs nommés depuis la dernière session seront admis.

Il y aura séance également au Corps législatif. Après l'installation de MM. les secrétaires et le tirage des bureaux, on entendra une communication du Gouvernement.

NOUVELLES DE LA GUERRE

Un nouveau bulletin russe nous est apporté par une dépêche télégraphique de Berlin. La voici :

Saint-Pétersbourg, 25.

Le prince Mentschikoff mande de Crimée, en date du 16 décembre, qu'à cette date rien d'important ne s'était passé devant Sébastopol.

Le prince Mentschikoff dit que le mauvais temps contrariait les travaux de l'ennemi et que le feu des batteries des armées alliées était faible, surtout celui des batteries anglaises.

Nous trouvons, en outre, ces dépêches dans le Times et le Globe:

Vienne, dimanche soir. La Correspondance autrichienne à des lettres d'Odessa du 12, dans lesquelles on dit qu'on craint tellement une attaque des troupes alliées, qu'on a élevé des batteries et construit des retranchements du côté de la terre. Le général Schabelsky, homme très-énergique, a succédé, en qualité de gouverneur, au général Annenkoff. Les pluies continuent et les routes sont si mauvaises, qu'il faut trois jours pour faire 50 milles anglais en Crimée.

La garnison d'Odessa est forte de 50,000 hommes.

Huit vapeurs ont fait des sondages en vue d'Ozchakoff, et on craint que les alliés ne fassent une descente à Kinburn avant d'attaquer Perekop. Odessa, 16 décembre. — 30,000 Turcs, une division française et de l'artillerie anglaise vont s'emparer de Perekop et y établir un camp retranché. La garnison russe n'est pas nombreuse et est mal pourvue.

Une lettre d'Odessa, 12 décembre, contient ces détails intéressants sur ce qui se passe en Bessarabie :

L'événement du jour est le rappel des grands-ducs Michel et Nicolas, qui est décidé. On les reverra probablement sur le théâtre de la guerre au printemps prochain avec le czar lui-même. On prétend que les princes ont été rappelés parce que le prince Mentschikoff s'est plaint à Saint-Pétersbourg d'influences qui contrariaient ses plans. Peut-être aussi qu'on veut ménager la santé des princes. On dit en outre que le prince Mentschikoff a reçu une lettre autographe de l'empereur dans laquelle celui-ci remercie l'armée de la fidélité et du dévouement qu'elle a montrés jusqu'ici, et exprime la conviction que la Russie, protégée par une si brave armée, n'au

rait pas à craindre le monde entier. Mais, à côté de ces félicitations, qui ont été rendues publiques par un ordre du jour, la lettre autographe contenait aussi des remontrances à l'effet d'empêcher des événements semblables à celui du 5. Le ton en est si sévère qu'on voit que cette journée a fait une profonde impression sur le czar.

Le général Osten-Sacken est arrivé le 7 au quartier général russe et a immédiatement annoncé par un ordre du jour qu'il prenait le commandement du 4o corps d'armée.

Conformément à une ordonnance relative à l'armée, on a formé les 7° et Se bataillons de réserve de l'armée active; par là, chaque division a été portée à 32,000 hommes, sans compter la cavalerie. On a reçu ici l'ordre, il y a quelques jours, de se tenir rigoureusement sur la défensive dans le cas d'une diversion d'Omer-Pacha sur la Bessarabie.

Selon la Gazette d'Augsbourg. Omer-Pacha aurait reçu du Sultan l'ordre formel de se rendre immédiatement à Constantinople. Il a quitté Bucharest le 11, et s'est mis en route pour la capitale avec ses aides-de-camp. Le Sultan désire qu'il parte pour la Crimée.

Il y a, en Allemagne, un grand mouvement diplomatique. L'ambassadeur russe près la cour de Berlin, M. le baron de Budberg, a eu, le 23, une longue conférence avec le président du conseil, M. de Manteuffel. On dit qu'il a donné l'assurance, au nom de son gouvernement, que le cabinet de Saint-Pétersbourg verrait avec joie la reprise des négociations, et qu'il a exprimé en même temps à la Prosse sa gratitude pour les efforts qu'elle vient de faire pour reprendre les négociations.

M. le maréchal Vaillant, ministre de la guerre, vient d'adresser une circulaire à MM. les préfets des départements, les géDéraux commandant les divisions et les intendants militaires, relativement aux dons en nature qui sont faits à l'intention de nos soldats d'Orient. Tous ces effets seront adressés à MM. les intendants des divisions militaires qui, après les avoir classés, les dirigeront sur Marseille, et de là sur Constantinople. Tous les dons seront enregistrés et contrôlés; ils seront centralisés par une commission qu'indique M. le ministre.

Alfred DES ESSARTS.

Nous avons parlé dans notre dernier numéro, de résolutions trèsgraves qui seraient à la veille d'être prises à Rome contre les coupables auteurs de la persécution religieuse en Piémont. L'Armonia s'exprime à ce sujet en termes plus explicites :

<< Entre les bruits qui courent, dit ce journal, nous devons mentionner celui qui a trait à un monitoire venu de Rome, mesure qui précéderait un interdit. On sait que les censures ecclésiastiques, n'étant lancées que contre les contumaces, sont toujours précédées d'avertisements paternels, de bienveillantes exhortations pour ramener à résipiscence ceux qui s'égarent; s'ils s'obstinent ensuite à marcher dans leurs voies perverses, c'est alors que l'Eglise les frappe de ses armes.

« Nous ne croyons pas tout à fait dénuée de fondement la nouvelle qui circule à Turin, et nous ferons remarquer que lorsqu'il fut question de la loi sur le mariage civil, on commença également par parler d'une lettre que le Pape aurait adressée à notre roi, lettre qui avait été réellement écrite et qui fut ensuite publiée avec grande utilité pour le Piémont et pour toute la chrétienté. »

M. l'abbé Dourif, vicaire à Saint-Louis-d'Antin à Paris, a obtenu le prix de 3,000 fr. du concours fondé par le directeur du Magasin utile. On sait que le sujet proposé était : la loi de charité.

La commission nommée par Mgr l'Archevêque de Paris pour décerner le prix, a eu à examiner plus de 200 manuscrits.

Les auteurs qui ont concouru et qui désireraient retirer leurs manuscrits, sont priés de s'adresser à M. Rion, directeur du Magasin utile, 9, rue Hautefeuille, à Paris. J. COGNAT.

VARIÉTÉS

Nous reproduisons les fragments que nous avons annoncés du discours prononcé par M. Guizot à l'Académie des sciences morales et politiques.

Deux hommes d'un grand esprit et d'un noble caractère, longtemps amis et faits pour l'être toujours, mais que le malheur des temps et l'incurable injustice des passions politiques, même les plus pures, avaient divisés, M. de Serre et M. Royer-Collard discutaient en 1821, à la Chambre des députés, une mesure de réforme dans nos lois criminelles. Celle-ci avait été proposée pour la défense de l'ordre et du pouvoir. M. de Serre, qui la soutenait.comme garde des sceaux, parla des dangers où l'orgueil de la théorie peut entraîner le législateur: « Je connais comme un autre. répondit M. Royer-Collard, l'orgueil et les dangers de la théorie; mais il y a aussi, à vouloir absolument s'en passer, la prétention, excessivemeat orgueilleuse, de n'être pas obligé de savoir ce qu'on dit quand on parle et ce qu'on fait quand on agit. » (1)

C'est là aussi, messieurs, la meilleure et la seule réponse qu'il convienne de faire aux personnes qui ne voient votre Académie qu'avec méfiance et déplaisir. Vous aussi, et mieux que personne peut-être, vous connaissez le péril des théories; mais vous n'en persistez pas moins à croire que, lorsqu'on a, n'importe à quel titre et à quel degré, l'honneur de gouverner les hommes, on est obligé de savoir ce qu'on dit quand on parle, et ce qu'on fait quand on agit. C'est là précisément le but que se proposent les sciences politiques et les sciences morales appliquées à la politique. Leur prétention ne va pas plus loin, mais elle va jusque-là. Qu'elles la maintiennent en s'y renfermant, et qu'elles laissent dire leurs détracteurs.

Tous les temps ne sont pas également favorables à ces belles sciences et à leurs salutaires effets. Quand l'anarchie ou le despotisme possèdent l'Etat, la méditation pure sur les matières politiques obtient peu d'accès et de succès. Le despotisme la fait taire et l'anarchie la proscrit. Il lui faut ce qui fait toujours l'honneur, et à la longue le salut des sociétés humaines, la liberté au sein de l'ordre. Il peut cependant arriver, si la liberté politique est très-active et très-vive, que les sciences politiques en soient un peu éclipsées acteurs et spectateurs se laissent aisément attirer dans l'arène où les affaires du pays se débattent avec passion et puissance. La

(1) Moniteur universel, séance de la Chambre des députés du 8 mai 1821.

science n'a pas les mêmes séductions à leur offrir; elle ne se charge point, d'ailleurs, de résoudre spécialement et à heure fixe ces questions pratiques et pressantes dont les assemblées politiques sont saisies: la vérité scientifique veut du temps et de l'espace; c'est une lumière qui se lève et se répand sur les hauteurs de l'horizon, non un flambeau qui brille près de terre et devant les pas des hommes. Une longue expérience et une civilisation très-avancée enseignent seules aux peuples libres quels services ils ont à recevoir des sciences politiques et dans quelle mesure elles peuvent les leur rendre. Lorsqu'en 1832 j'eus l'honneur de proposer au roi LouisPhilippe le rétablissement de cette Académie, il l'accueillit sans la moindre objection, me disant seulement : « Elle sera très utile, pourvu qu'elle ne soit pas trop pressée de se faire écouter, et qu'ailleurs on ne fasse pas trop de bruit. »>

L'Académie n'a pas aujourd'hui, messieurs, ce péril à redouter; le bruit a cessé dans notre société fatiguée; la vie politique est devenue, parmi nous, calme et modeste; soit qu'elle en subisse la loi, soit à l'exemple de ces âmes touchées d'un pieux repentir qui, jadis, se retiraient du monde pour faire oublier leurs écarts. Je ne suis même pas sûr que nous usions de toute la liberté que nous pourrions prendre; et que la réserve ne dépasse pas quelquefois la nécessité. Quoi qu'il en soit, c'est maintenant dans les régions de l'étude et de la science pure qu'en matière politique la liberté réside. Grande et belle mission, messieurs, de maintenir la dignité intellectuelle de notre patrie, et de relever, en les appelant plus haut, les esprits abattus! Le simple énoncé des questions que vous avez proposées à - l'étude publique et des travaux que vous avez provoqués prouvera avec quelle clairvoyante sollicitude vous vous appliquez à la remplir.

Suit le rapport proprement dit, sur les concours déjà ouverts, et les sujets nouveaux proposés par les diverses Sections de l'Académie. Nous en avons précédemment donné la nomenclature avec les principales réflexion de M. Guizot.

Voici comment le discours se termine:

Tant de grandes questions offertes à la méditation des hommes sérieux, tant de récompenses promises à leurs travaux, deux prix décernés cette année, quinze à décerner dans les trois années qui vont suivre, c'est beaucoup, messieurs, dans l'intérêt des belles sciences que vous cultivez. Ce serait peut-être un danger si les voies dans lesquelles vous appelez les esprits n'étaient pas moralement dignes du zèle que vous mettez à les y pousser. Mais vos prescriptions comme vos intentions, les sujets que vous choisissez comme les programmes où vous les expliquez, défient en ce genre tous les regards et tous les scrupules. Ils portent un double et évident caractère d'une part, vous vous appliquez à faire rentrer la loi du devoir dans les âmes, les principes d'ordre dans les idées de liberté, la morale dans la politique et la religion dans la morale; d'autre part, vous pratiquez et vous soutenez cette liberté de la conscience et de la pensée humaine qui n'est point le droit de choisir, comme il leur plaît, entre la vérité et l'erreur, mais le droit de ne jamais tomber sous le joug de la force matérielle, et de ne relever que de ce grand pouvoir spirituel que Dieu a voulu laisser livré aux disputes des hommes quand il les a créés intelligents et libres. C'est l'un des traits de l'arrogance humaine que nous nous croyons, pour le mal, plus de puissance que nous n'en possédons réellement; nous pouvons agiter follement l'espace si étroit et le temps si court de notre passage sur la terre; nous pouvons, en passant, troubler l'ordre et décrier la liberté ; mais le monde est réglé de telle sorte que, dans nos égarements même, nous ne saurions méconnaître ni compromettre absolument, ni impunément, ses éternelles lois, et que ramenés par nos propres souf

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