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S XI.

Le privilège doit exister pendant toute la vie de l'auteur, et pendant un certain temps après sa mort.

En matière d'inventions industrielles, nos lois fixent à cinq, dix ou quinze ans le privilège des inventeurs.

C'est avec raison que nos lois assurent une durée plus longue au privilège des auteurs sur les productions de la littérature, des sciences, des beaux-arts.

On en peut donner un premier motif qui n'est cependant pas assez universellement vrai pour être invoqué comme décisif; c'est qu'un livre, un tableau, donnant à leur auteur des profits moindres et plus lents qu'un grand nombre d'inventions industrielles, doivent lui profiter pendant plus long-temps.

Il faut reconnaître ensuite qu'une invention industrielle peut se rencontrer par plusieurs esprits à-la-fois. Elle n'est pas aussi individuelle qu'une création littéraire. L'état de la science, ses besoins, ses travaux antérieurs peuvent conduire presque inévitablement à des inventions sur lesquelles celui qui les découvre n'a souvent, en quelque sorte, qu'un droit de priorité.

Il est un motif qui, à lui seul, prouve que le privilège doit d'abord s'étendre à toute la durée de la vie de l'auteur.

L'œuvre littéraire engage au plus haut degré la personnalité, l'individualité de l'auteur. Une responsabilité morale, et même légale, s'attache à la publication d'un livre. La plus stricte justice commande de laisser l'auteur maître de l'émission de ses idées: rien ne doit faire obstacle à ce qu'il les reprenne, les complète, les retouche, les modifie. Il faut qu'il ménage et combine, ainsi qu'il le voudra, la publication des œuvres auxquelles sa renommée et sa conscience sont

attachées, et qu'il demeure l'arbitre absolu de ses communications intellectuelles avec le public.

La justice ne s'arrête pas là; et il ne serait pas équitable, même à l'égard de l'auteur, de borner la durée du privilège à celle de sa vie. Si le privilège était purement viager, et par conséquent d'une durée tout aléatoire, l'auteur conclurait difficilement les traités commerciaux nécessaires à la publication de son ouvrage. Dans tous les cas où une avance de fonds assez forte sera indispensable, il faudra que le spéculateur puisse compter sur une certaine durée de privilège, afin que, pendant ce temps, l'ouvrage se fabrique, se termine, s'écoule, et que les capitaux rentrent,

Ajoutons que, tout en maintenant au public une large part, il est nécessaire aussi de se montrer généreux envers la famille de l'auteur, et que des considérations fondées sur la plus rigoureuse justice exigent que le privilège appartienne à ses héritiers pendant un temps assez long pour leur être profitable. Il ne faut ni inféoder indéfiniment à une famille une propriété sans travail, ni interdire à l'écrivain dans ses veilles toute pensée d'avenir pour l'existence de ses enfans. Il faut qu'un chef de famille ne soit pas glacé au milieu de ses travaux par la pensée qu'ils demeureront inutiles à ceux dont le bonheur lui importe plus que le sien, et sur lesquels le plus impérieux devoir lui commande d'étendre une prévoyante protection après lui. La loi ne peut pas se montrer indifférente à l'accomplissement des obligations sur le respect desquelles l'esprit de famille repose.

En arrivant au terme de cette longue discussion, je suis heureux d'avoir à conclure par l'approbation du système șur lequel repose la législation de mon pays. Les esprits sont trop facilement enclins à blâmer les lois sous lesquelles nous vivons. Je me félicite d'être arrivé, même par trop de détours, à rendre hommage à l'une des parties de notre législation qu'il est aujourd'hui de mode d'attaquer avec le plus d'insistance et de légèreté.

Notre législation sur les droits d'auteurs est imparfaite, sans doute; elle est surtout fort incomplète dans ses détails et a besoin d'être coordonnée dans une loi générale.

Mais altérer son principe qui est sage, ébranler sa base qui est solide, pour améliorer ses détails, ce serait faire plus de mal que de bien. Mieux vaudrait, cent fois, garder nos lois actuelles avec leurs imperfections.

Des travaux pour une législation nouvelle ont été entrepris à plusieurs reprises, et sont aujourd'hui annoncés officiellement. A la fin du second volume de cet ouvrage, et après avoir parcouru toutes les questions pratiques de la matière, et les difficultés de sa jurisprudence, je rendrai compte de ces divers essais, et, à mon tour, j'essaierai de dire en quoi les améliorations législatives devraient consister. Je présenterai deux projets de loi, l'un pour régler la législation française, l'autre pour fonder un droit international, de l'établissement duquel les peuples placés à la tête de la civilisation se montrent, en ce moment, vivement préoccupés.

FIN DE LA TROISIÈME PARTIE ET DU

PREMIER VOLUME.

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