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être sans effet, mais ce n'est pas là une règle fixe; ce serait, en tout cas, une source précieuse de revenus pour l'Etat. Une partie des recettes ainsi réalisées permettrait le dégrèvement des droits sur la bière, la consommation de celle-ci augmenterait, tandis que celle des alcools diminuerait proportionnellement,

La bière est une boisson stimulante. Les bières belges sont pour la plupart légères et peu alcoolisées. Le dégrèvement des lourdes taxes qui frappent sa fabrication, permettrait aux familles peu aisées d'user plus largement de cette boisson alimentaire et d'augmenter leur bien-être.

Quant à l'alcool, à toutes ces boissons toxiques vendues à vil prix sur nos marchés, on ne pourrait assez les imposer, surtout depuis que l'on est parvenu à distiller des matières amylacées, et à livrer à bas prix des alcools impurs, non débarrassés des sous-produits toxiques.

Un troisième système a pour base la majoration du droit de patente.

Les cabaretiers payent une patente trop faible. Si, pour pouvoir établir un débit de boissons, on était tenu de verser au trésor une somme suffisamment élevée, les grands établissements seuls pourraient subsister; les petits cabarets, ceux dont la clientèle est par conséquent presque nulle, et qui doivent retrouver leur bénéfice sur la qualité de la marchandise, ne pourraient subsister. Nous reviendrons sur ce point dans le chapitre suivant.

M. Dauby est d'avis d'exiger un cautionnement de la part des cabaretiers. Le système produirait des résultats excellents; il viendrait heureusement compléter ceux obtenus par l'augmentation de la patente.

Certains débitants donnent du crédit à leurs bons clients. On sait comment se tient leur comptabilité; de simples lignes à la craie faites sur une planche ou sur une porte servent à désigner le nombre de verres consommés. C'est là une déplorable coutume, bien faite pour pousser à la consommation. La loi sur l'ivresse l'a fortement entamée, en déclarant non recevable en justice l'action en payement de boissons enivrantes consommées dans les cabarets.

Il est triste de devoir constater que l'instruction n'a aucun effet sur l'alcoolisme. Cette funeste passion fait beaucoup moins de progrès dans les pays où elle est arriérée que dans ceux où elle est florissante et obligatoire.

Létat misérable de la plupart des maisons ouvrières contribue beaucoup à l'augmentation du nombre des alcooliques. L'ouvrier n'est pas retenu chez lui; s'il va passer des journées entières au cabaret, c'est parce que sa maison est lugubre, et que tout ce qui l'entoure lui rappelle constamment sa triste condition.

On ne saurait assez encourager les sociétés dramatiques, musicales, etc.; elles développent les sentiments esthétiques de l'homme, l'instruisent et lui procurent un délassement utile pendant les journées de repos.

Certains auteurs ont fait remarquer que lorsque l'ouvrier est directement intéressé dans les bénéfices, il est beaucoup moins porté à se livrer à l'abus des boissons fortes; il cherche à travailler, à produire le plus possible, son propre intérêt étant en jeu.

Il existe en Angleterre de nombreuses sociétés de tempérance, elles comptent un nombre considérable de membres. On vient de tenter l'essai de semblables sociétés dans notre pays; elles donnent d'assez bons résultats. Il convient de citer en première ligne la « Société Saint-Jean-Baptiste de Saint-Trond, créée sur le modèle de celles instituées en Angleterre par le père Mathews. Les membres s'engagent à s'abstenir complètement de toute boisson forte et font un usage modéré de bière et de vin.

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La question de l'alcoolisme est de la plus haute importance, et l'on peut même dire que sa solution entraînerait presque celle de la question sociale entière. De nombreux pays ont essayé d'enrayer les progrès de ce fléau; parmi ceux-ci nous citerons la Hollande (1), l'Angleterre (2), l'Autriche (3) et les Etats-Unis (4). On y a voté des lois fort sévères.

(1) Loi du 26 juin 1881. .

(2) Loi de 1871.

(3) Loi du 19 juillet 1877. (4) Loi du 13 mars 1881.

La nécessité d'une loi sur l'ivresse publique se faisait vivement sentir dans notre pays. Il n'existait en cette matière qu'une circulaire ministérielle du 12 août 1867, prescrivant de colloquer dans les établissements d'aliénés les individus atteints du delirium tremens et de ne les remettre en liberté, que lorsque le besoin maladif de boire aurait cessé. Elle n'a guère servi à grand'chose.

Aussitôt remis en liberté, l'individu reprend sa vieille habitude; ce n'est pas en quelques jours qu'une maladie aussi grave se guérit.

Grâce à l'initiative du cabinet présidé par M. le ministre Beernaert, un projet de loi fut déposé le 18 janvier 1887, sur le bureau de la Chambre des représentants par M. De volder, ministre de la justice. Il fut longuement discuté et fut voté par la Chambre des représentants dans la séance du 22 juillet 1887. Le Sénat ratifia ce vote. Le 16 août, la loi fut promulguée.

Loi du 16 août 1887 concernant l'ivresse publique.

ARTICLE PREMIER. Seront punis:

A. D'une amende de 1 à 15 francs, ceux qui serort trouvés dans les rues, places, chemins, cabarets, débits de boissons et autres lieux publics, dans un état d'ivresse occasionnant du désordre, du scandale ou du danger pour eux-mêmes ou pour autrui ;

B. D'un emprisonnement d'un à quatre jours, et d'une amende de 6 à 15 francs, ou d'une de ces peines seulement, ceux qui, dans les conditions de publicité prévues au litt. A, étant ivres, se livreront à des occupations qui exigent une prudence ou des précautions spéciales afin d'éviter des dangers pour leur vie ou sécurité propre ou celle d'autrui, ainsi que les fonctionnaires publics trouvés ivres dans l'exercice de leurs fonctions.

Si, lors de l'infraction, l'inculpé était porteur d'une ou de plusieurs armes, le jugement de condamnation pourra lui interdire l'usage de son permis de port

d'armes pour un terme qui ne dépassera pas douze mois.

Ces armes pourront être saisies sur l'inculpé par tout agent de la force publique et la confiscation pourra en être prononcée par le jugement de condamnation. L'inculpé est tenu de les remettre immédiatement entre les mains de l'agent verbalisant. A défaut d'avoir opéré cette remise, il encourt une amende spéciale de 100 francs.

L'article 1er détermine d'abord quelle espèce d'ivresse la loi entend frapper. C'est l'ivresse manifeste, celle qui trouble le sentiment public, celle qui se manifeste au dehors par des actes, une attitude contraire au respect que l'homme se doit à lui-même et à ses semblables. Ce sont les termes dont les divers orateurs se sont servis lors de la discussion de la loi.

Les mots occasionnant du désordre ne laissent aucun doute sur le sens de l'expression « ivresse manifeste ».

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Dans le projet de loi, l'article 1er était loin d'être aussi complet. Il ne se composait que du paragraphe 1er de l'article actuel. Il fut complété par la section centrale, qui augmenta les peines, dans le cas où l'individu en état d'ivresse se livre à des occupations dangereuses. Cette addition est fort rationnelle; c'est à ces personnes surtout qu'il faut faire sentir les dangers de l'ivresse; elles exposent non seulement leur propre vie, mais encore celle de leurs semblables. Un ouvrier qui, par suite d'ivresse, tombe du haut d'un échafaudage, peut entraîner ses compagnons et tuer nombre d'autres personnes.

Les deux paragraphes compris sub litt. B formaient la seconde partie de l'article 2 dans le projet de la section centrale. Sur l'avis de M. de Mérode, ils furent ajoutés à l'article 1er, qu'ils venaient ainsi compléter d'une manière fort heureuse. Leur maintien à la place primitive aurait présenté un inconvénient grave; l'article 2 s'occupant spécialement de la récidive, il aurait fallu cette circonstance aggravante pour que leur application fût possible.

Il ne faut pas que les armes soient chargées, il suffit que

le porteur soit en état de se servir de son fusil, de son revolver, qu'il soit muni de cartouches, par exemple. On sait avec quelle rapidité se chargent aujourd'hui les armes perfectionnées.

La loi ne contient pas de disposition spéciale pour le cas où l'individu en état d'ivresse trouble l'ordre public. On entend donc laisser subsister les règlements communaux, qui presque tous prévoient le cas. Cette infraction tombe, du reste, sous l'application de l'article 561 du code pénal, lorsqu'elle se produit la nuit.

ART. 2. En cas de récidive, dans le délai de six mois après la date de la condamnation, de l'infraction prévue à l'article 1, litt. A, l'inculpé sera condamné à une amende de 5 à 25 francs.

En cas de récidive dans le même délai de l'infraction prévue à l'article 1er, litt. B, l'inculpé sera condamné à un emprisonnement de sept jours au plus et à une amende de 11 à 25 francs, ou à l'une de ces peines seulement.

Cette disposition ne nécessite aucun commentaire, elle ne fait que prévoir la récidive des infractions dont nous avons parlé à l'article 1er.

ART. 3. En cas de nouvelle récidive dans le délai de six mois après la date de la seconde condamnation de l'infraction prévue à l'article 1er, litt. A, l'inculpé sera condamné à un emprisonnement de huit jours à trois semaines et à une amende de 26 à 75 francs, ou à l'une de ces peines seulement.

En cas de nouvelle récidive, dans le même délai de l'infraction prévue à l'article 1er, litt. B, l'inculpé sera condamné à un emprisonnement de huit jours à un mois et à une amende de 26 à 100 francs, ou à l'une de ces peines seulement.

L'article prévoit le cas où, malgré deux condamnations, l'individu s'est, pour la troisième fois, trouvé en contravention. Les peines augmentent sensiblement. Cette rigueur se

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