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Les sociétés de secours mutuels.

(Loi du 3 avril 1851 (1).)

La Caisse d'épargne assure l'ouvrier prévoyant contre les revers, les maladies momentanées; mais il ne faut pas oublier que les petites économies fondent rapidement, que la convalescence est souvent fort longue. L'épargne individuelle est alors insuffisante. Pour subvenir à cette nécessité il faut que les travailleurs aient recours à l'association, à la solidarité, qu'ils concentrent leurs forces et leurs ressources. Il faut que les amis de l'ouvrier malade, malheureux, puissent venir à son aide, comme lui-même est venu à leur secours lorsque les circonstances l'exigeaient.

La création des sociétés de secours mutuels a donné satisfaction à ces exigences. Depuis, les ouvriers ont vu leur situation s'améliorer considérablement. Le succès de l'institution est, du reste, une preuve de son excellence.

Avant l'abolition des corporations, ces associations n'auraient eu aucune raison d'être. Car, à côté des nombreux abus qu'elles engendraient, elles présentaient un grand avantage : la solidarité. Les membres s'entr'aidaient; grâce à une caisse commune, ils ne devaient pas, en cas de maladie ou de manque de travail, avoir recours à la charité publique.

(1) Moniteur du 10 avril 1858.

Il semblerait que des associations répondant à un but aussi utile que les sociétés de secours mutuels eussent dû s'organiser dès le début du nouveau régime. Deux causes venaient s'y opposer les ouvriers se rappelaient les corporations devenues odieuses et craignaient de retomber dans une situation identique; les gouvernements prétendaient que ces sociétés devaient forcément se transformer en clubs politiques.

Aussi, n'est-ce qu'après 1830, en Belgique, et 1848, en France, époque à laquelle la liberté d'association fut proclamée dans ces deux pays, que les premiers essais furent

tentés.

Les sociétés de secours mutuels présentent, sous tous les rapports, d'immenses avantages pour les classes laborieuses. Elles forment une vaste famille où l'ouvrier apprend à épargner, à se bien conduire, où il reçoit, dans les moments difficiles de la vie, des conseils sages et désintéressés.

Les résultats de la mutualité sont surtout remarquables, lorsque les patrons font partie de la société. Les rapports continuels entre les chefs et leurs subordonnés créent entre eux des liens d'amitié; le chef d'industrie cesse d'être considéré par l'ouvrier comme un ennemi.

Si l'on envisage les sociétés de secours mutuels au point de vue de l'amélioration qu'elles apportent à la situation matérielle des humbles, leur utilité saute encore davantage aux yeux. L'ouvrier y assure son avenir ainsi que celui de sa femme et de ses enfants; s'il est malade, il est certain de recevoir des secours; s'il meurt, il assure à sa veuve de quoi se nourrir, elle et ses enfants.

Le travail peut occasionner à chaque instant des accidents graves, dont presque toujours la conséquence est la misère à bref délai pour toute la famille; ici encore la société intervient en donnant l'équivalent du salaire, ou à peu près, en fournissant gratuitement les soins du médecin et les médicaments. En cas de mort de l'affilié, elle lui fait de dignes funérailles.

On pourrait objecter que les hôpitaux peuvent remplir une partie de ces obligations, que l'on peut s'y faire soigner gratuitement.

Mais n'est-il pas bien plus doux pour l'ouvrier d'être

soigné chez lui, entouré de sa famille! Et puis, l'hôpital, n'est-ce pas l'aumône déguisée, n'est-ce pas un épouvantail pour bien des gens? L'ouvrier a horreur de ces vastes salles communes; il n'y entre qu'à son corps défendant, à la toute dernière extrémité.

Dans certaines villes, les ressources des bureaux de bienfaisance sont tellement considérables, qu'elles permettent de servir à des personnes qui ne sont pas réllement indigentes de véritables pensions; c'est un déplorable système on encourage la paresse. Il serait bien préférable d'employer une partie de cet argent à la création de sociétés de secours mutuels, de les amorcer par une première mise de fonds.

La politique doit être soigneusement écartée; le seul but que l'on doit poursuivre, c'est la fraternité. Les sociétés qui ont été constituées dans l'intention de favoriser telle ou telle opinion n'ont pas tardé à disparaître. La politique est une source de divisions; elle détruit la solidarité et ne tarde pas à faire des ennemis d'hommes qui devraient n'avoir qu'un seul idéal l'amélioration de leur sort.

Les formes que peuvent revêtir les sociétés de secours mutuels sont multiples; nous n'envisagerons ici que les principales.

Le type que l'on rencontre le plus, c'est la société créée par les ouvriers eux-mêmes; c'est aussi, nous semble-t-il, celle qui réalise de la manière la plus avantageuse l'idée poursuivie. Il est à remarquer que ce sont elles qui obtiennent le plus de succès. Les travailleurs sont fiers de leur œuvre et cherchent par tous les moyens à la faire prospérer. Elles sont bien administrées, les affaires n'étant jamais mieux faites que par les intéressés.

Si quelques-unes d'entre elles n'ont pas réussi et n'ont pu subsister, il ne faut s'en prendre qu'à leur organisation défectueuse et non au principe. Lorsque les statuts sont bons, lorsque la base est solide, le succès est certain.

Elles comprennent soit des ouvriers employés dans diverses industries, ce qui doit nécessairement arriver dans les petits centres, soit des ouvriers d'une seule et même industrie. Lorsqu'il est permis de réaliser cette dernière combinaison, il est préférable de le faire; tous les besoins des

membres étant les mêmes, il leur est plus aisé de poursuivre le but commun.

La cotisation se règle également de différentes manières : on prend une somme fixe ou une somme proportionnelle au salaire. Le second système est évidemment préférable; on retient à l'ouvrier suivant ses ressources, tandis que dans le premier on frappe également celui qui gagne un salaire élevé, et le jeune apprenti dont les ressources sont minimes. Certains patrons, dans une intention fort louable, ont créé dans leurs établissements des sociétés de secours mutuels ne comprenant que leurs propres ouvriers. Elles sont alimentées par des contributions prélevées sur les salaires.

La plupart d'entre elles ont réussi, et les ouvriers en ont si bien compris les avantages, qu'ils en sont venus à aider les patrons dans leur œuvre en forçant les ouvriers nouveaux à s'affilier.

Les associations mutuelles dont la marche est le mieux assurée sont celles dont l'organisation est conçue dans des vues larges. Il est à remarquer, en effet, que lorsque les ouvriers sont exclus du conseil d'administration et que la société est uniquement dirigée par les patrons, elle végète. L'ouvrier se méfie, il n'a pas de contrôle. Il importe donc que le travailleur puisse participer à la direction, vérifier les opérations. Ses conseils sont, au surplus, fort utiles; nul mieux que lui ne pourrait formuler les aspirations, et puis, n'est-ce pas dans son seul intérêt que la société existe?

Dans certaines communes où la petite industrie seule est exercée, les patrons, les ouvriers travaillant à demeure, soit pour leur compte personnel, soit pour le compte de tiers, se sont réunis et ont fondé des associations mutuelles. Elles ont prospéré, car elles répondaient à un véritable besoin.

Il ne sera pas inutile de citer quelques chiffres à l'appui de ce que nous avons dit quant au succès remporté par la mutualité. En 1882, le nombre des sociétés de secours mutuels s'élevait à 191; au 31 mai 1886, il était déjà de 212, comptant 31,736 membres et possédant un capital de 1 million 513,208 francs.

Depuis 1851, époque à laquelle les premières sociétés ont été reconnues par la loi, jusqu'en 1882, on constate la dis

solution de dix sociétés. C'est là un chiffre fort peu élevé, et de plus, pour chacune d'elles, on s'aperçoit aisément que l'insuccès dépend de leur organisation fautive.

Après les événements de 1848, le législateur, comprenant les immenses bienfaits que les sociétés de secours mutuels devaient procurer aux ouvriers, s'occupa de la question. M. Charles Rogier présenta, en 1850, un projet de loi. L'année suivante, il fut discuté et adopté; c'est notre loi du 3 avril 1851.

Cette loi a donné d'excellents résultats; elle est conçue dans un sens fort large, et ne contient aucun esprit politique. Le principe fondamental est l'intervention de l'Etat, la reconnaissance des associations moyennant certaines formalités. Est-ce à dire que cette intervention soit si accentuée? Ainsi que nous le verrons plus loin, à propos des différents articles de la loi, elle est bien peu rigoureuse; si peu même, qu'elle laisse aux sociétés le pouvoir, la liberté presque complète, de se créer, de s'administrer et de se dissoudre.

L'intervention de l'Etat devait être limitée. Eclairer, guider ces sociétés, empêcher qu'elles ne tombent dans certaines erreurs économiques, et leur procurer des avantages assez grands pour qu'elles réclament son intervention, devait être le seul but du gouvernement.

Le 9 avril 1862, le législateur, afin de favoriser la création de sociétés nouvelles, décida qu'un concours aurait lieu tous les trois ans. Les questions proposées doivent avoir pour objet le développement de la mutualité.

Des décorations spéciales sont décernées aux propagateurs de l'œuvre.

Un arrêté royal du 12 mai 1851 a créé une commission spéciale chargée de l'application de la loi.

La procédure gratuite a été accordée à ces associations par arrêté royal du 5 octobre 1851; elles sont, à cet effet, tenues de se conformer aux prescriptions requises pour les établissements de bienfaisance.

Un arrêté du 2 décembre 1874 règle les conditions requises pour l'adoption des statuts des sociétés qui désirent se faire reconnaître, ainsi que la forme de leur dissolution et liquidation. Nous aurons à y revenir.

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