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Nous lisons à ce sujet dans le rapport fait à la Chambre des représentants au nom de la section centrale, par M. Mélot (1):

"Dans les chartes des corporations de métiers, fréquemment renouvelées par les princes, non seulement la fabrication, la vente, les moindres fraudes, mais encore les fêtes, les enterrements, la conduite privée des membres du métier, étaient l'objet de longues et minutieuses dispositions : rien ne se rapporte à la salubrité ou au confort du logement des compagnons, ouvriers ou apprentis.

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Quand une épidémie venait décimer les habitants, le magistrat multipliait les mesures de salubrité, mais il se bornait généralement aux choses extérieures. Celui qui laissait sortir des animaux de sa demeure; celui qui, ayant chez lui des malades, se mêlait au reste du peuple; celui qui n'arborait pas un signe distinctif sur la maison infectée, celui-là était accusé de propager le fléau et puni sévèrement. Cependant des ordonnances, telles que celles prises, le 20 février 1707, pour Namur, et le 2 octobre 1708, pour Mons, exigèrent que chaque année dix maisons de bois fussent démolies et reconstruites en pierre. De tels édits avaient surtout pour but d'éviter la propagation du feu, ils faisaient disparaître les habitations les plus dangereuses. Et pour arriver à ce résultat, "Sa Majesté autorisait le mayeur et les échevins de la dite ville (Namur) de secourir les propriétaires de telles sommes qu'ils trouveraient « convenir et d'employer, à cet effet, jusqu'à 1,000 florins "par an ".

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« Ces documents s'appliquent surtout aux maisons de peu de valeur, à celles qui étaient habitées par les pauvres. Parfois des édits ne s'appliquaient qu'à elles. Ainsi celui du 8 juillet 1707, « le roi, en son conseil, Sa Majesté étant informée qu'il y a plusieurs maisons délabrées et du ter"rain vague à Charleroi, et de la nécessité d'y construire « des habitations, tant pour le peuple que pour les garni«sons, ordonne par la présente, à tous bourgeois et pro

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(1) Documents parl., 1888-1889, p. 154, séance du 28 mai 1889.

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priétaires des maisons qui sont délabrées ou pas encore entièrement achevées, d'y faire travailler incessamment, pour les mettre en état de perfection, et, à ceux qui ont « du terrain propre à y bâtir, de le faire pareillement, sans « aucun délai ».

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Le même rapport nous apprend que, dans un grand nombre d'octrois donnés aux industriels d'ouvrir des fabriques de papier, verre, porcelaine, etc., se trouvait une clause accordant aux ouvriers employés dans ces usines l'exemption de charges personnelles, de loger des soldats, de payer certains impôts.

On ne pouvait guère citer parmi les dispositions encore en vigueur que les lois du 14 décembre 1789 (1), ainsi que celles des 16-24 août 1790 et 19-22 juillet 1791 (2), d'où il résulte que les conseils communaux sont tenus de faire jouir les habitants d'une bonne police, de la propreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics; qu'ils doivent, en outre, faire cesser, par la distribution des secours nécessaires, les fléaux calamiteux, les épidémies.

(1) Le pouvoir municipal devra faire jouir les habitants des avantages d'une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics. (Art. 50.)

(2) L'article 46 du titre Ier de cette loi conçu comme suit donne aux corps municipaux le droit de prendre des arrêtés : 1o Lorsqu'il s'agira d'ordonner les précautions locales sur les objets confiés à sa vigilance et à son autorité, par les articls 3 et 4 du titre XI du décret du 16 août sur l'organisation judiciaire;

2o De publier de nouveau les lois et règlements de police, ou de rappeler les citoyens à leur observation.

L'article 3, titre XI, porte que le conseil doit surveiller: 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques; ce qui comprend le nettoiement, l'illumination, l'enlèvement des encombrements, la démolition ou la réparation des bâtiments menaçant ruine, l'interdiction de rien exposer aux fenêtres ou autres parties des bâtiments qui puisse nuire par sa chute; et celle de rien jeter qui puisse blesser ou endommager les passants, ou causer des exhalaisons nuisibles...;

2o Le soin de prévenir par les précautions convenables, et celui de faire cesser par la distribution des secours nécessaires, les accidents et les fléaux calamiteux, tels que les incendies. les épidémies, les épizooties, en provoquant aussi, dans ces deux derniers cas, l'autorité des administrations de département et de district.

La loi communale n'avait rien modifié à ces dispositions.. Le gouvernement ne possédait donc aucun moyen d'action; il ne pouvait forcer les communes récalcitrantes à remplir leurs obligations. Seul, le bourgmestre avait le pouvoir de faire évacuer les logements insalubres. Ce pouvoir était absolu, arbitraire, exercé sans recours possible, l'autorité judiciaire n'étant pas compétente pour en contrôler l'utilité et l'opportunité.

Citons encore la loi de 1822 sur la contribution personnelle, celle de 1862 accordant aux sociétés de construction de maisons ouvrières des réductions de droits de muta-tion, etc., celle du 20 juin 1867 relative à l'anonymat de ces sociétés, et enfin la loi du 2 juillet 1875 concernant les droits de timbre et de greffe.

Elles ont été toutes complétées et améliorées.

La loi belge a pour base le savant rapport de M. Meeus, membre de la Commission du travail, ainsi que celui du conseil supérieur d'hygiène, qui, aidé par les administrations communales et les commissions médicales, avait, parallèlement à la Commission du travail, été chargé d'une enquête sur les logements pauvres.

Le 28 mars 1888, M. Beernaert, ministre des finances, déposa le projet de loi. La discussion commença à la Chambre des représentants le 2 juillet 1889 et fut terminée le 18 du même mois. Le Sénat adopta la loi dans la séance du 8 août suivant.

La loi fut sanctionnée et promulguée par le roi, le lendemain 9 août. ·

Loi du 9 août 1889.

ARTICLE PREMIER. Il sera établi, dans chaque arrondissement administratif,un ou plusieurs comités chargés: A. De favoriser la construction et la location d'habitations ouvrières salubres et leur vente aux ouvriers, soit au comptant, soit par annuités;

B. D'étudier tout ce qui concerne la salubrité des mai

sons habitées par les classes laborieuses et l'hygiène des localités où elles sont tout spécialement établies;

C. D'encourager le développement de l'épargne et de l'assurance ainsi que des institutions de crédit ou de secours mutuels et de retraite.

Ces comités recevront le nom de comités de patronage et seront composés de cinq membres au moins et de dixhuit au plus, nommés pour trois ans, savoir : trois à dix par la députation permanente du conseil provincial, deux à huit par le gouvernement. Ils pourront être subdivisés en sections. Les comités et leurs sections auront un secrétaire nommé par la députation permanente. Le mode de fonctionnement de ces comités et leurs relations avec le gouvernement, les administrations provinciales et communales et les commissions médicales seront réglés par arrêté royal, sans qu'il puisse être porté atteinte aux attributions de ces administrations en matière d'hygiène et de salubrité publique.

L'article premier établit dans tous les arrondissements administratifs un ou plusieurs comités de patronage, chargés de seconder la construction de maisons destinées à être habitées par les travailleurs et de rechercher les moyens les plus propres à leur faciliter l'acquisition de leur demeure. Le développement de l'épargne, celui des sociétés de secours mutuels et des institutions de crédit, l'étude des questions sociales devront également faire l'objet de leurs recherches.

Le travailleur, nous l'avons déjà dit, ne peut améliorer sa situation que par l'épargne. Grâce à elle, il a l'espoir de devenir propriétaire de sa maison; quoi de plus logique, dès lors, que de réunir dans les mêmes mains la direction de tous ces grands problèmes, de ces questions qui s'enchaînent. Quel sera le rôle des comités de patronage?

Ni l'Etat, ni les communes ne pouvaient intervenir dans la construction des maisons ouvrières. Ainsi que le faisait remarquer M. Beernaert, l'Etat ni la commune n'ont pas plus à loger certains citoyens qu'à les nourrir. « La tâche des pouvoirs publics, en cette matière, toute de police, toute d'hygiène, est de faire la guerre aux logements malsains.

Tâche de surveillance, tâche de police, et rien de plus (1). En adoptant le système de l'intervention de l'autorité, il eût fallu créer une grande société ayant des ramifications dans le pays entier et entraînant des frais considérables, ou abandonner le soin de veiller à la salubrité et à l'hygiène aux autorités communales, ce qui était le maintien du statu quo.

En investissant de cette mission des comités spéciaux indépendants, le gouvernement a voulu écarter toute intervention de la politique dans une question où elle eût été des plus funestes.

La non-intervention de l'Etat est, du reste, admise par la plupart des auteurs qui ont traité cette question, notamment par MM. Leroy-Beaulieu, Frédéric Passy, Léon Say et Jules Simon.

Les Chambres françaises, issues du suffrage universel, repoussent l'ingérence directe des pouvoirs publics.

Le bourgmestre de Berlin, dans un rapport adressé au ministre du commerce et des travaux publics, abonde dans le même sens (2). « Il faut éviter à tout prix une intervention directe de l'autorité dans le mouvement économique; bien plus, il faut absolument laisser la spéculation privée satisfaire la demande de logement, car une participation immédiate de l'Etat ou des communes à l'activité des constructions amènerait les conséquences les plus funestes. "

L'institution n'était pas nouvelle. Depuis quelque temps, des comités de propagande pour la multiplication des sociétés de secours mutuels, constituées sur les mêmes bases, fonctionnaient dans notre pays et avaient rendu de grands services.

A Londres, le comité de « Mansion House », ainsi que d'autres associations indépendantes font l'inspection constante des maisons ouvrières; à New-York, depuis 1843, ainsi que nous l'avons déjà dit dans l'introduction au présent chapitre, un comité libre a, par ses soins, amélioré considérablement la condition des habitations pauvres.

(1) Annales parl., session 1888-1889, p. 1574.

(2) RAFFALOVICH, le Logement de l'ouvrier et du pauvre, p. 380.

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