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La construction de maisons ouvrières (1), larges, spacieuses, bien aérées, s'impose. Il faut que des habitations construites selon les règles de l'hygiène viennent remplacer ces taudis étroits et malpropres où logent la plupart des ménages ouvriers, dans une promiscuité aussi dangereuse pour les mœurs que pour la santé. Mais encore faut-il que l'on procède d'une manière intelligente et rationnelle. Ce qu'il faut adopter, c'est la maison isolée; aucun autre système n'a réussi et ne pouvait réussir. Les cités ouvrières, ces immenses casernes d'un aspect triste et repoussant, que l'on a tenté d'établir il y a quelques années, ont fait leur temps. Les travailleurs honnêtes et intelligents ont fui ces demeures.

L'alimentation du travailleur n'est pas ce qu'elle devrait être; le prix des denrées est si élevé, que beaucoup d'entre elles sont inaccessibles aux petites bourses.

C'est là encore une des causes de l'alcoolisme; la statistique prouve que plus la qualité et la quantité des aliments. laissent à désirer, plus l'usage des boissons enivrantes devient excessif.

A ce point de vue, certaines sociétés, les Fourneaux économiques, donnent de bons résultats. L'ouvrier peut s'y procurer, pour une somme fort minime, une nourriture saine et réparatrice. Elles ne sauraient être trop multipliées; les institutions charitables, les administrations des hospices notamment, devraient les soutenir; elles ne tarderaient guère à voir décroître le nombre des clients des hôpitaux.

La chimie a fait d'immenses progrès pendant ces dernières années; des industriels peu scrupuleux se sont emparés de ses découvertes, et l'art de frelater les denrées a été poussé à ses dernières limites. Malgré un contrôle actif, beaucoup de

(1) Loi du 9 août 1889.

falsifications échappent encore aux mesures préventives. La viande provenant d'animaux malades, les farines avariées, les poissons gâtés, sont vendus communément dans les quartiers excentriques, peuplés surtout par la classe ouvrière.

On frémit en songeant que, pour la plus grande partie, la nourriture du travailleur se compose de ces produits, qu'il achète de préférence à cause de la modicité du prix.

A propos de l'alimentation, il convient de citer les « sociétés pour l'achat de provisions d'hiver (1)", telles qu'elles existent en Allemagne depuis de nombreuses années.

L'hiver est, pour beaucoup de travailleurs, une période difficile; les salaires diminuent, sont nuls même pour certains d'entre eux, alors que les besoins se multiplient.

Les sociétés dont il s'agit recueillent pendant l'été les épargnes des travailleurs; l'hiver venu, elles achètent en gros des denrées, que l'on répartit entre les affiliés proportionnellement à leur participation. L'ouvrier se trouve ainsi à l'abri de la disette; par suite des achats en gros, il reçoit des denrées de bonne qualité au prix le moins élevé possible.

Il est inutile d'insister sur les avantages qui résulteraient de la création de pareilles associations en Belgique.

En général, l'ouvrier est imprévoyant et ne songe pas à l'avenir, cependant si rempli d'imprévu pour lui, aux maladies, aux infirmités, aux accidents, aux jours de chômage. Ce sont ces éventualités qu'il doit prévoir, au moment où il jouit de toutes ses facultés, s'il veut s'assurer une vieillesse heureuse, s'il ne veut, après sa mort, laisser les siens dans la misère.

Il existe dans ce but de belles institutions, qui, moyennant

(1) Circulaire du ministre de l'intérieur, Ch. Rogier, du 2 juillet 1848.

un versement minime de quelques centimes par semaine, mettent l'ouvrier à l'abri de ces calamités.

Nous voulons parler des sociétés de secours mutuels, de la Caisse d'épargne et de la Caisse de retraite.

Sous le régime des corporations, la fraternité régnait entre les membres de ces vastes associations. Lorsque l'un d'eux, frappé par un revers de fortune, ne pouvait momentanément faire face à ses engagements, ou se trouvait même entièrement ruiné, les affiliés le soutenaient et, par des ressources communes, le mettaient à même de satisfaire ses créanciers et de vivre sans avoir recours à l'aumône, qui répugne à l'homme honnête et laborieux.

Les sociétés de secours mutuels remplissent aujourd'hui le même office. Beaucoup de travailleurs ont compris leur utilité et se sont affiliés à celles existantes ou en ont créé de nouvelles dans presque toutes les localités du pays. Ce n'est pas en Belgique seulement que leur succès est grand, elles prospèrent dans tous les pays où l'industrie est puissante.

Leur organisation est celle d'une grande famille; l'ouvrier embarrassé y reçoit des conseils sages et désintéressés, y contracte des habitudes d'ordre et d'économie. Lorsqu'il est dans la détresse, il reçoit des secours. En cas d'accidents, si fréquents dans certaines industries, il est soigné par des médecins attachés à la société; s'il meurt, la société soutient sa famille.

Le travailleur non affilié à une société de secours mutuels tombe inévitablement dans une profonde misère; lorsque la maladie fond sur lui, ses petites économies disparaissent avec rapidité. Il est vrai qu'il peut se faire soigner gratuitement dans les hôpitaux; mais on connaît la répulsion de l'ouvrier pour ces établissements, où il ne rencontre pas l'affection que lui témoigneraient les siens, ce dévouement qu'une femme, que des enfants seuls peuvent donner. Il faut

bien avouer que l'aspect de ces grandes salles d'hôpital, où sont réunis de nombreux malades, où, malgré toutes les mesures d'hygiène, l'air est vicié, où l'on n'entend que des plaintes et des gémissements, est triste, lugubre, et que ce milieu doit avoir une influence considérable sur le moral de ceux que le malheur y conduit.

Les patrons ne font pas assez connaître à leurs ouvriers les avantages qui résultent de l'affiliation aux associations de secours mutuels. L'État devrait augmenter encore leur propagation et s'efforcer, par tous les moyens possibles, d'initier la classe laborieuse à la forme, au fonctionnement, 'à l'organisation si simple de ces sociétés.

L'éloge des caisses d'épargne n'est plus à faire; le succès est venu couronner ces entreprises depuis l'intervention du législateur en cette matière.

Avant que l'État leur eût accordé sa garantie, l'ouvrier se méfiait, il préferait laisser ses économies improductives plutôt que de les confier à des caisses privées n'offrant point de sécurité.

Les sommes actuellement déposées à la Caisse d'épargne sont considérables; capital immense soustrait au néant, obtenu sou à sou, impôt prélevé sans contrainte au profit de la fortune publique et de l'ordre social.

L'épargne a pris depuis quelque temps une grande extension dans les écoles par suite de l'adoption de livrets spéciaux; c'est à la jeunesse surtout qu'il importe d'en faire connaître les avantages, tout en ayant soin de ne pas dépasser les limites qui séparent une sage économie de l'avarice et de l'égoïsme.

Lorsque l'habitude de l'épargne aura pénétré plus profondément encore dans les classes laborieuses, l'alcoolisme aura perdu la plus grande partie de sa funeste puissance; on remarque, en effet, que l'ouvrier qui possède un livret

cherche sans cesse à en augmenter l'importance. Pourrait-il trouver un moyen plus simple d'arriver à cette augmentation que de diminuer ses dépenses de cabaret!

La possession d'un capital, aussi minime qu'il soit, procure à l'ouvrier une certaine indépendance. Il n'est plus forcé d'accepter sans discussions les conditions du patron, souvent exagérées et vexatoires; il peut traverser les crises, les périodes de chômage, il peut même s'élever un jour à la qualité de chef d'industrie.

La Caisse d'épargne est réunie, depuis 1865, à la Caisse de retraite Cette dernière n'a pas obtenu au même degré la faveur du public, malgré son incontestable utilité.

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M. Paul Matrat (1) définit ainsi la Caisse de retraite :

C'est une sorte de caisse d'épargne féconde par excellence, qui rend, non pas ce qu'on lui a donné, mais dix

fois, vingt fois plus, cent fois plus même, dans certains «cas. Elle reçoit la plus faible obole ainsi que le plus riche versement et garde tous les dépôts avec un soin

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jaloux, comme un trésor sacré mis en réserve pour une échéance inévitable; enfin, cette Caisse est la plus sûre que l'on puisse trouver, elle est garantie par la France " entière.

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Le gouvernement belge assure également la bonne gestion de la Caisse de retraite, elle se trouve donc sous la protection de la nation.

Ces trois institutions : les sociétés de secours mutuels, la Caisse d'épargne et la Caisse de retraite peuvent, soit qu'elles agissent séparément, soit qu'elles se combinent, rendre les plus grands services à la classe ouvrière. Elles

(1) PAUL MATRAT, La Caisse des retraites de l'État et les Sociétés de secours mutuels, p. 8, Paris, Guillaumin, éditeur.

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