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que dans fix mois la flotte fut préparée & envoyée; ce qui démontre combien l'exécution eft prompte dans une Monarchie bien gouvernée, & dont le chef habile fait employer à propos toutes fes reffources. Aucune nation n'a fait, en fi peu de temps, dans la marine, cet art fi compliqué, qui en fuppofe tant d'autres, des progrès fi rapides, & n'a eu des fuccès auffi glorieux. Jamais auffi l'empire de Conftantinople n'a effuyé de plus grandes pertes, & ne fut dans un plus grand danger. Catherine, feule, a exécuté ce que divers Princes de l'Europe, souvent réunis, ont tenté en vain plus d'une fois.

LE

CONSTITUTION POLITIQUE,

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CONSTITUTION DE L'ÉTA T.

E mot Conftitution fignifie en général l'établissement de quelque chofe. En Politique & dans le Droit des Gens, l'on entend par Conftitution de l'Etat, le réglement fondamental qui détermine la maniere dont l'autorité publique doit être exercée. En elle fe voit la forme fous laquelle la nation agit en qualité de corps politique; comment & par qui le peuple doit être gouverné, quels font les droits & les devoirs de ceux qui gouvernent. Cette Conftitution n'eft dans le fonds autre chofe que l'établiffement de l'ordre dans lequel une nation fe propofe de travailler en commun à obtenir les avantages, en vue defquels la fociété politique s'eft établie.

C'est donc la Conftitution de l'Etat, qui décide de sa perfection, de fon aptitude à remplir les fins de la fociété; & par conféquent le plus grand intérêt d'une nation qui forme une fociété politique; fon premier & plus important devoir envers elle-même eft de choifir la meilleure Conftitution poffible & la plus convenable aux circonftances. Lorfqu'elle fait ce choix, elle pofe les fondemens de fa conservation, de fon falut, de fa perfection & de fon bonheur : elle ne fauroit donner trop de foins à rendre ces fondemens folides.

Les loix font des regles établies par l'autorité publique pour être obfervées dans la fociété. Toutes doivent fe rapporter au bien de l'Etat & des Citoyens. Les loix qui font faites directement en vue du bien public font des loix politiques; & dans cette claffe, celles qui concernent le corps même & l'effence de la fociété, la forme du gouvernement, la maniere dont l'autorité publique doit être exercée; celles, en un mot, dont le concours forme la Conftitution de l'Etat, font les loix fondamentales.

Les loix civiles font celles qui reglent les droits & la conduite des particuliers entr'eux. Voyez LOIX, LOIX CIVILES, LOIX FONDAMENTALES, &c.

Toute

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Toute nation qui ne veut pas fe manquer à elle-même, doit apporter tous fes foins à établir ces loix, & principalement les loix fondamentales, à les établir, dis-je, avec fageffe, d'une maniere convenable au naturel des peuples & à toutes les circonftances dans lefquelles ils fe trouvent; elle doit les déterminer & les énoncer avec précifion & clarté afin qu'elles demeurent ftables, qu'elles ne puiffent être éludées, & qu'elles n'engendrent, s'il fe peut, aucune diffention; que d'un côté celui ou ceux, à qui l'exercice du fouverain pouvoir fera confié, & les Citoyens de l'autre, connoiffent également leurs devoirs & leurs droits. Ce n'eft point ici le lieu de confidérer en détail quelles doivent être cette Conftitution & ces loix; voyez les articles LOIX FONDAMENTALES, SOCIÉTÉ CIVILE, &c. -Les loix & la Conftitution des divers Etats doivent néceffairement varier fuivant le caractere des peuples & les autres circonstances. Il faut s'en tenir aux généralités dans cet article. Nous y confidérerons les devoirs d'une nation envers elle-même, principalement pour déterminer la conduite qu'elle doit tenir dans cette grande fociété que la nature a établie entre tous les peuples. Ces devoirs lui donnent des droits qui fervent à régler & à établir ce qu'elle peut exiger des autres nations, & réciproquement ce que les autres peuvent attendre d'elle.

La Conftitution de l'Etat & fes loix font la bafe de la tranquillité publi que, le plus ferme appui de l'autorité politique & le gage de la liberté des Citoyens. Mais la Conftitution eft un vain phantôme, & les meilleures loix font inutiles, fi on ne les obferve pas religieufement. La nation doit donc veiller fans relâche à les faire également refpecter & de ceux qui gouvernent, & du peuple deftiné à obéir. Attaquer la Conftitution de l'Etat. violer fes loix, eft un crime capital contre la fociété ; & fi ceux qui s'en rendent coupables font des perfonnes revêtues d'autorité, ils ajoutent au crime en lui même un perfide abus du pouvoir qui leur eft confié. La nation doit conftamment les réprimer avec toute la vigueur & la vigilance que demande l'importance du fujet. Il eft rare de voir heurter de front les loix & la Conftitution d'un Etat ; c'eft contre les attaques fourdes & lentes que la nation devroit être particuliérement en garde. Les révolutions fubites frappent l'imagination des hommes on en développe les refforts on néglige les changemens qui arrivent infenfiblement, par une longue fuite de degrés peu marqués. Ĉe feroit rendre aux nations un fervice important, que de montrer par l'hiftoire combien d'Etats ont ainfi changé totalement de nature, & perdu leur premiere Conftitution. On réveilleroit l'attention des peuples, & déformais remplis de cette excellente maxime, non moins effentielle en politique qu'en morale, principiis obfta, ils ne fermeroient plus les yeux fur des innovations peu confidérables en elles-mêmes, mais qui fervent de marches, pour arriver à des entreprises plus hautes & plus pernicieuses.

Les fuites d'une bonne ou d'une mauvaife Conftitution étant d'une telle Tome XIV.

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importance, & la nation fe trouvant étroitement obligée à fe procurer autant qu'elle le peut, la meilleure & la plus convenable, elle à droit à toutes les chofes fans lefquelles elle ne peut remplir cette obligation. Il eft donc manifefte que la nation eft en plein droit de former elle-même fa Constitution, de la maintenir, de la perfectionner, & de régler à fa volonté tout ce qui concerne le gouvernement, fans que perfonne puiffe avec juftice l'en empêcher. Le gouvernement n'eft établi que pour la nation, en vue de fon falut & de fon bonheur.

S'il arrive donc qu'une nation foit mécontente de l'adminiftration publique, elle peut y mettre ordre & réformer le gouvernement. Mais prenez garde que je dis la nation; car je fuis bien éloigné de vouloir autorifer quelques mécontens ou quelques brouillons, à troubler ceux qui gouvernent, en excitant des murmures & des féditions. C'eft uniquement le corps de la nation, qui a le droit de réprimer des conducteurs qui abufent de leur pouvoir. Quand la nation fe tait & obéit, elle eft cenfée approuver la conduite des fupérieurs, ou au moins la trouver fupportable, & il n'appartient point à un petit nombre de Citoyens de mettre l'Etat en péril, fous prétexte de le réformer.

En vertu des mêmes principes, il eft certain que fi la nation fe trouve mal de fa Conftitution même, elle eft en droit de la changer.

Il n'y a nulle difficulté, au cas que la nation fe porte unanimement à ce changement on demande ce qui doit s'observer, en cas de partage? Dans la conduite ordinaire de l'Etat, le fentiment de la pluralité doit paffer fans contredit pour celui de la nation entiere; autrement il feroit comme impoffible que la fociété prît jamais aucune réfolution. Il paroît donc que, par la même raifon, une nation peut changer la Conftitution de l'Etat, à la pluralité des fuffrages; & toutes les fois qu'il n'y aura rien dans ce changement que l'on puiffe regarder comme contraire à l'acte même d'affociation civile, à l'intention de ceux qui fe font unis, tous feront tenus de fe conformer à la réfolution du plus grand nombre. Mais s'il étoit queftion de quitter une forme de gouvernement, à laquelle feule il paroîtroit que les Citoyens ont voulu fe foumettre, en fe liant par les nœuds de la fociété civile; fi la plus grande partie d'un peuple libre, à l'exemple des Juifs du temps de Samuel, s'ennuyoit de fa liberté & vouloit la foumettre à l'empire d'un Monarque; les Citoyens plus jaloux de cette prérogative, fi précieuse à ceux qui l'ont goûtée, obligés de laiffer faire le plus grand nombre, ne le feroient point du tout de fe foumettre au nouveau gouvernement : ils pourroient quitter une fociété, qui fembleroit fe diffoudre elle-même pour fe reproduire fous une autre forme; ils feroient en droit de fe retirer ailleurs, de vendre leurs terres, & d'emporter tous leurs biens.

Il fe préfente encore ici une queftion très-importante. Il appartient effentiellement à la fociété de faire des loix fur la maniere dont elle prétend

être gouvernée, & fur la conduite des citoyens ce pouvoir s'appelle Puiffance législative. La nation peut en confier l'exercice au Prince, ou à une affemblée, ou à cette affemblée & au Prince conjointement; lefquels font dès-lors en droit de faire des loix nouvelles & d'abroger les anciennes. On demande fi leur pouvoir s'étend jufques fur les loix fondamentales, s'ils peuvent changer la Conftitution de l'Etat? Les principes que nous avons pofés, nous conduifent certainement à décider, que l'autorité de ces légiflateurs ne va pas fi loin, & que les loix fondamentales doivent être facrées pour eux, fi la nation ne leur a pas donné très-expreffément le pouvoir de les changer. Car la Conftitution de l'Etat doit être ftable & puifque la nation l'a premiérement établie, & qu'elle a enfuite confié la puiffance législative à certaines perfonnes, les loix fondamentales font exceptées de leur commiffion. On voit que la fociété a feulement voulu pourvoir à ce que l'Etat fût toujours muni de loix convenables aux conjonctures, & donner pour cet effet aux légiflateurs le pouvoir d'abroger les anciennes loix civiles & les loix politiques non fondamentales, & d'en faire de nouvelles mais rien ne conduit à penfer qu'elle ait voulu foumettre fa Conftitution même à leur volonté. Enfin, c'eft de la Conftitution que ces législateurs tiennent leur pouvoir; comment pourroient-ils la changer, fans détruire le fondement de leur autorité? Par les loix fondamentales de l'Angleterre, les deux Chambres du Parlement, de concert avec le Roi, exercent la puiffance législative. S'il prenoit envie aux deux Chambres de fe fupprimer elles-mêmes & de revêtir le Roi de l'empire plein & abfolu; certainement la nation ne le fouffriroit pas. Et qui oferoit dire qu'elle n'auroit pas le droit de s'y oppofer? Mais fi le Parlement délibéroit de faire un changement fi confiderable, & que la nation entiere gardât volontairement le filence, elle feroit cenfée approuver le fait de fes représentans.

Au refte, en traitant ici du changement de la Conftitution, nous ne parlons que du droit; ce qui eft expédient, appartient à la politique. Contentons-nous d'observer en général, que les grands changemens dans l'Etat étant des opérations délicates, pleines de dangers, & la fréquence des changemens nuifible en elle-même, un peuple doit être très-circonfpect fur cette matiere, & ne fe porter jamais aux nouveautés, fans les raifons les plus preffantes, ou fans néceffité. L'efprit volage des Athéniens fut toujours contraire au bonheur de la République, & fatal enfin à une liberté, dont ils étoient fi jaloux fans favoir en jouir.

Concluons encore de ce que nous avons établi, que s'il s'éleve dans l'Etat des conteftations fur les loix fondamentales, fur l'adminiftration publique, fur les droits des différentes Puiffances qui y ont part, il appartient uniquement à la nation d'en juger & de les terminer conformément à fa Conftitution politique.

Enfin, toutes ces chofes n'intéreffant que la nation, aucune Puiffanee

étrangere n'eft en droit de s'en mêler, ni ne doit y intervenir autrement que par fes bons offices, à moins qu'elle n'en foit requife, ou que des raifons particulieres ne l'y appellent. Si quelqu'une s'ingere dans les affaires domestiques d'une autre, fi elle entreprend de la contraindre dans fes délibérations, elle lui fait injure.

Il n'y a peut-être point de mot en Anglois que l'on emploie auffi fouvent, & & que l'on entende auffi peu que le mot de Conftitution. Si l'on ne lui fait fignifier autre chofe que les différentes parties qui compofent le Gouvernement, ou, comme difent les Politiques, les différens ordres de l'Etat, la définition en eft affez connue, & affez univerfellement avouée. Mais fi l'on fait entrer dans l'idée de Constitution les pouvoirs dont ces ordres font revêtus, alors il fera affez difficile d'en établir la fignification avec quelque exactitude. En effet ces pouvoirs font fujets à varier par des circonftances accidentelles, ils augmentent ou diminuent de force felon les temps variation qui fait pencher la balance politique tantôt d'un côté & tantôt de l'autre; là Conftitution en fuit les mouvemens incertains, & il eft mal-aifé d'attacher à ce mot un temps précis & conftant.

Les Auteurs Anglois qui ont traité cette matiere, ont très-bien compris ces difficultés. Ils les ont habilement difcutées, & ont pofé des principes juftes & fenfibles. On les trouve dans Harrington, Locke & les

autres.

Ils obfervent tous judicieusement que tout Gouvernement eft ou tend à devenir defpotique, que tout chef eft ou deviendroit defpotique avec le temps.... L'homme qui aime naturellement à commander, voulant gouverner une nation quelconque, s'appliquera foigneusement à découvrir aux mains de qui réfide le pouvoir de la nation, & mettant cette découverte à profit, il ne manquera pas de prendre tous les moyens propres à leur perfuader de le nommer leur repréfentant. La connoiffance de ces pouvoirs conftituans mene à celle de la Conftitution d'un pays, & à la jufte application des maximes générales de Gouvernement, qui, quoique fages & bonnes en elles-mêmes, peuvent, fi elles font mal appliquées, produire tout le contraire de ce qu'on en attendoit.

Il n'y a point de maxime plus univerfellement reçue que celle-ci, favoir: Que le bien-être du peuple eft la Loi fupréme; & fi elle eft bien entendue, il n'y en a point de plus vraie, ni de plus propre à affermir l'ordre & le bonheur de l'Etat. Mais, il faut entendre par le peuple cette feule partie de la nation qui conftitue on établit le Magiftrat, & dont l'intérêt & le fentiment doivent être religieufement confultés. Observez encore que les avantages d'un bon Gouvernement, s'étendent fans aucun égard particulier pour ceux qui gouvernent, pour ceux qui gouvernent, à ceux qui font, comme à ceux qui ne font pas leurs conftituans,

L'application de ces principes à l'Hiftoire d'Angleterre prouve d'une maniere frappante que le peu d'égard qu'on y a eu en différens temps, a

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