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Contrainte par Corps qui foutient la grande machine du commerce, mais que c'eft l'honneur, le crédit, la fortune, en un mot, l'intérêt personnel du négociant, qui eft le véritable lien du commerce, & un lien bien plus folide que celui d'aucune loi s'il étoit permis de croire que pour peu qu'on donne atteinte à la loi de la Contrainte par Corps, l'édifice du commerce s'écroule néceffairement & ne laiffe voir par-tout que des ruines; il n'en feroit pas moins indifpenfable de profcrire l'ufage de la Contrainte par Corps, à l'égard de lettres tirées ou acceptées par d'autres, que par des négocians ou marchands, en les réduifant à de fimples obligations.

L'énormité de cet abus n'a point échappé aux lumieres de tous les Magiftrats qui rendent la juftice en France. On trouve des arrêts de différens Parlemens, qui fur des lettres de change tirées ou acceptées par des citoyens qui n'étoient pas négocians, ont déchargé les débiteurs de la contrainte par Corps. Les juges ont fouvent regardé ces lettres de change comme l'abus d'une loi pour éluder les difpofitions d'une autre loi, comme une fraude faite à la loi de 1667, qui a profcrit en général la contrainte par Corps pour dettes civiles. Ils n'ont vu dans ces fortes de lettres, que des titres artificieux, imaginés pour rendre inutiles les défenfes de l'ordonnance de 1667 de s'obliger par corps par aucune forte d'acte; ils n'ont vu, au lieu d'un titre formé par la bonne foi qui dirige la plume du négociant, qu'un titre fimulé, qu'une précaution frauduleufe, pour dérober I'ufure aux regards de la juftice, en affurer le fuccès & tromper le légiflateur.

Mais quelques exemples rares d'une jufte févérité dans des juges éclairés, laiffent fubfifter tous les inconvéniens de la loi. C'eft dans la loi même que réfide la cause permanente d'un défordre, qu'il n'eft pas poffible de diffimuler. De quel œil en effet peut-on envifager une lettre de change, tirée par un homme qui ne fait aucun commerce, fur un négociant de Lyon qu'il ne connoît point, donnée en paiement à un marchand qui a exigé ce titre pour une partie de marchandifes fur laquelle il fait bien que fon acheteur va perdre dans un moment deux ou trois cents pour cent; qui n'ignore pas que c'eft de la part de l'acheteur une maniere d'emprunter? Ce titre dicté par le dol, & par l'ufure, ce titre qui eft une fraude manifefte faite à la loi, conftitue cependant un débiteur, fur lequel le créancier exerce une ufure énorme, avec d'autant plus d'intrépidité, qu'à l'échéance le débiteur, de quelque état qu'il foit, eft traité comme marchand à la confervation de Lyon & dans le tribunal supérieur, & qu'à défaut de paiement, il n'y a point d'afyle pour lui dans le Royaume, pas même dans l'appartement du Roi. On ne peut s'empêcher de fentir, que cet excès dans un privilege, qui par lui-même eft déjà odieux, & ne peut fe foutenir qu'à la faveur d'un intérêt public, a été arraché de la fageffe du Légiflateur par des importunités, par des cris indifcrets d'un Corps de ville mal inftruit des vrais intérêts du commerce & de l'avan

tage général de l'État. La même fureté que la loi donne par la forme du titre au créancier de bonne foi contre le dol, ou la fuite d'un débiteur avec lequel fa qualité de marchand l'obligeoit de négocier, devroit-elle s'étendre en faveur d'un créancier de mauvaise foi, qui n'a point traité avec un marchand; qui au lieu d'une affaire de commerce, n'a fait qu'une affaire d'ufure, & qui n'a exigé ce titre que comme étant feul propre à affurer le fuccès & l'impunité de fon crime?

Le commerce feroit-il moins protégé les foires de Lyon qui lui font précieuses, feroient-elles moins favorifées, fi le privilege accordé à la confervation de Lyon étoit borné aux affaires qui font véritablement affaires de commerce; fi la loi regardoit comme une fimple obligation, les traités & les acceptations de tout homme qui n'eft ni négociant, ni marchand, ni fermier? Cette diftinction fi naturelle, fi jufte, fi fûre & fi facile, admife dans la loi, ne fauroit préfenter que des avantages fans inconvéniens, aux yeux des calculateurs les plus exacts du bien & du mal. Mais fi l'ufage de la Contrainte par Corps eft un abus qui révolte la raifon, il regne dans le monde commerçant un autre abus qui eft la cause du préjugé, qui fait regarder encore par beaucoup de gens la Contrainte par Corps comme un mal néceffaire pour en prévenir, ou en éviter un plus grand. On voit avec une forte d'indignation des gens, après une ou plufieurs banqueroutes, infulter le public par le fafte d'une richeffe acquife ou augmentée aux dépens de leurs créanciers, & l'on eft dans l'idée que la Contrainte par Corps eft un frein qui en retient beaucoup d'autres dans le devoir, & empêche que cette forte de voleurs publics ne fe répandent en plus grand nombre dans la fociété, & ne dévaftent le commerce. C'est une erreur : la Contrainte par Corps ne peut fervir ni à prévenir, ni à réprimer ce défordre. Ce n'eft point la loi qui a affujetti les engagemens de commerce à la Contrainte par Corps, que ces négocians qui ne craignent point de manquer, s'efforcent d'éluder. La loi de la Contrainte leur eft indifférente: ils ne font gênés que par celle qui punit la banqueroute frauduleufe, & l'on trouve malheureufement prefque par-tout des moyens trop faciles de rendre inutile, la rigueur de cette loi. D'autres loix mêmes combattent ici la fageffe du Légiflateur, & fourniffent des moyens fûrs à la fraude pour défarmer la juftice.

C'est une loi prefque générale en Europe, que le plus grand nombre de créanciers en fommes fait la loi aux autres créanciers & dicte à fon gré le contrat du failli. Le banqueroutier frauduleux s'affure à l'avance d'un contrat tel qu'il le défire par des dettes fimulées, & trouve facilement le moyen de fouftraire impunément fes meilleurs effets, & de jouir ainfi de l'indulgence d'une loi dont il n'auroit dû éprouver que la jufte févérité. Les légiflateurs, fur-tout en France, femblent avoir pris les plus grandes précautions pour prévenir l'abus des dettes fimulées on a prévu & marqué par des loix prefque toutes les circonftances qui peuvent les caractéri

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fer & les faire connoître. Mais malheureufement l'exécution de ces loix eft abandonnée à l'intérêt des créanciers, qui les porte rarement à attaquer leur débiteur par la voie extraordinaire; parce que les formes & les frais de juftice les embarraffent, leur font craindre d'ajouter encore de nouvelles pertes à celles qu'ils fouffrent déjà, & les engagent à préférer un accommodement, ou même un entier abandon de leurs créances.

A cet abus des loix qui détruit fans ceffe l'empire d'une jufte févérité, on ajoute encore en beaucoup d'endroits l'abus des afyles. La France en a beaucoup; la Hollande en a, & Liége en a autant que de maifons; abus énorme, toujours en contradiction avec la raifon, la juftice & l'intérêt public. Ces retraites peut-être refpectables dans leur origine, parce que l'humanité fembloit les avoir inftituées pour le falut de l'innocence, ne fervent aujourd'hui qu'à affurer l'impunité du crime. C'est de-là qu'un banqueroutier frauduleux capitule à fon gré avec fes créanciers, & qu'il fe fait céder une partie de leur fortune: fouvent même il y jouit impunément du fruit de fon crime. Le prétexte d'humanité entretient ces afyles fi abufifs & fi funeftes à la fociété, comme fi l'humanité pouvoit jamais être contraire à la justice; & comme fi cette fauffe & féduifante équité, qui hafarde la vie de plufieurs innocens, en épargnant celle d'un coupable, ne devoit pas être regardée comme une compaffion cruelle & une indulgence inhumaine.

Ce font ces moyens trop faciles d'éluder l'autorité des loix, qui multiplient les banqueroutes frauduleufes à l'infini, fur-tout en Hollande & en Angleterre, & qui engagent les négocians à fe livrer à cette fraude comme à une branche de commerce. Les faillites de bonne-foi ne devroient pas avoir befoin de ces afyles: elles en devroient trouver un plus affuré, & plus honorable pour l'humanité, dans la protection & l'équité des loix, & il ne devroit y avoir aucun afyle pour la fraude.

Si on ajoutoit à la forme rigoureuse du journal des négocians, qui rendroit impraticable la reffource des dettes fimulées, & contiendroit toujours la preuve de la fraude ou de la bonne-foi, & à la fuppreffion des afyles, une loi qui confieroit au fifc le foin de pourfuivre la punition de la banqueroute frauduleufe, comme de l'un des délits publics qui caufe le plus de défordre dans la fociété, on parviendroit à mettre le commerce à l'abri de l'un des orages qu'il redoute le plus. C'eft la crainte de l'action de la partie publique en France & en Hollande, qui fait qu'on y voit peu de banqueroutes frauduleufes de la part des comptables. On peut en conclure que, fi la partie publique prenoit, par le feul devoir de fa charge, le même intérêt dans les banqueroutes étrangeres aux deniers publics, on préviendroit, on détruiroit prefqu'entiérement ce fléau qui répand tant d'inquiétudes fur les opérations des négocians, & qui refferre les limites du commerce.

Tome XIV.

N

UN

CONTRA T, f. m.

N Contrat eft une convention faite entre plufieurs perfonnes, par laquelle une des parties, ou chacune d'elles, s'oblige de donner ou de faire quelque chofe, ou confent qu'un tiers donne ou faffe quelque chofe. Ainfi Contrat en général & convention ne font qu'une même chose; & ce qui forme le Contrat, c'eft le confentement mutuel & réciproque des parties contractantes; d'où il fuit que ceux qui ne font pas en état de donner un confentement libre, ne peuvent pas faire de Contrats, tels que les mineurs, les fils de famille, les imbécilles. Ceux qui font détenus prifonniers ne peuvent pas non plus contracter, à moins qu'ils ne foient amenés entre deux guichets comme en lieu de liberté.

La plupart des Contrats tirent leur origine du droit des gens, c'est-àdire, qu'ils font de tous les temps & de tous les pays, ayant été introduits pour l'arrangement de ceux qui ont quelques intérêts à régler enfemble; tels font les Contrats de louage, d'échange, de vente, de prêt, & plufieurs autres femblables que l'on appelle Contrats du droit des gens, quant à leur origine, mais qui font devenus du droit civil quant à la forme & aux effets.

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Les Contrats qu'on appelle du droit civil, font ceux qui tirent leur origine du droit civil de chaque nation.

Chez les Juifs, dans les premiers fiecles, les Contrats fe paffoient devant des témoins & publiquement à la porte des villes, qui étoit le lieu où fe rendoit la juftice. L'Ecriture en fournit plufieurs exemples, entr'autres celui d'Abraham, qui acquit une piece de terre dans le territoire de Chanaan en présence de tous ceux qui entroient dans la ville d'Hebron. L'hiftoire de Ruth fait mention de quelque chofe de femblable. Moyfe n'avoit ordonné l'écriture que pour l'acte de divorce. Il y avoit cependant des Contrats que l'on rédigeoit par écrit, & la forme de ceux-ci y est marquée dans le Contrat de vente dont il eft parlé au ch. xxxij. de Jérem. v. 20. »J'achetai de Hanaméel fils de mon oncle, dit ce Prophete, le champ » qui est situé à Anathoth, & je lui donnai l'argent au poids fept ficles » & dix pieces d'argent ; j'en écrivis le Contrat & le cachetai en présence » des témoins, & lui pefai l'argent dans la balance, & je pris le Contrat » de l'acquifition cacheté, avec fes claufes, felon les ordonnances de la » loi, & les fceaux qu'on avoit mis au-dehors, & je donnai ce Contrat d'acquifition à Baruch, fils de Neri, fils de Manfias, en préfence d'Ha» naméel mon coufin germain, & des témoins dont les noms étoient écrits » dans le Contrat d'acquifition.

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Vatable, fur ce paffage, dit qu'il fut fait deux actes: l'un, l'un, qui fut plié & cacheté; l'autre, qui demeura ouvert; que dans le premier, qui tenoit

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lieu de minute ou original, outre le nom de la chofe vendue & le prix, on inféra les conditions de la vente & le temps du rachat ou réméré; que pour les tenir fecretes & éviter toute fraude, on cacheta cet acte d'un fceau public, & qu'après qu'il fut cacheté les parties & les témoins fignerent au dos; qu'à l'égard de l'autre double, on le préfenta ouvert aux témoins, qui le fignerent auffi avec les contractans, comme on avoit coutume de faire en pareille occafion.

Vatable ajoute qu'en juftice on n'avoit égard qu'au Contrat cacheté; que les contractans écrivoient eux-mêmes le Contrat & le fignoient avec les témoins; qu'on fe fervoit pourtant quelquefois d'écrivains ou tabellions publics fuivant ce paffage, lingua mea calamus fcriba velociter fcribentis. Les Grecs qui emprunterent leurs principales loix des Hébreux, ufoient auffi à-peu-près de même pour leurs Contrats; les Athéniens les paffoient devant des perfonnes publiques, que l'on appelloit comme à Rome Argentarii. Ces actes par écrit avoient leur exécution parée, & l'on n'admettoit point de preuve au contraire.

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Les Romains, qui emprunterent auffi beaucoup de chofes des Grecs, paffoient leurs Contrats devant des argentiers, qui étoient des efpeces de banquiers auxquels on donnoit encore d'autres noms différens, tels que Nummularii, Coactores, &c.

On divifoit d'abord les Contrats en Contrats du droit des gens & en Contrats du droit civil. Nous avons déjà expliqué ce qui concerne les premiers.

Les Contrats du droit civil, chez les Romains, étoient certains Contrats particuliers, qui tiroient leur forme & leurs effets du droit civil; tels étoient les Contrats appellés flipulations conventionnelles, qui fe formoient par l'interrogation d'une part & par la réponse de l'autre : Vifne folvere? Volo. C'étoit le plus efficace de tous les Contrats.

L'obligation qui provient de l'écriture & l'amphitéofe, étoient auffi confidérées comme des Contrats du droit civil, étant inconnus felon le droit des gens.

Toutes ces conventions, foit du droit des gens ou du droit civil, étoient divifées en Contrats proprement dits, & en fimples pactes.

Le Contrat étoit une convention qui avoit un nom ou une cause, en vertu de laquelle un des contractans, ou tous les deux, étoient obligés.

Le pacte au contraire, étoit une convention, qui n'avoit ni nom ni caufe, qui ne produifoit qu'une obligation naturelle, dont l'accompliffement ne dépendoit que de la bonne-foi de celui qui étoit obligé ; il ne produifoit point d'obligation civile jufqu'à ce que l'une des parties eût exécuté la convention.

On divifoit auffi les Contrats, chez les Romains, en Contrats nommés, c'eft-à-dire qui avoient un nom propre, comme le louage, la vente, & Contrats innommés, qui n'avoient point de nom particulier.

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