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un fentiment réfléchi & habituel qui rend fon ame tranquille, qui fait qu'il goûte ce qu'il poffede & ce dont il jouit, qu'il approuve fon état fans former de défirs inquiets, capables de troubler fon repos.

La joie, fouvent paffagere, n'eft qu'une démonftration extérieure, qui exprime l'état agréable, mais momentané du cœur, qui agite quelquefois l'efprit. Une paffion fatisfaite produit auffi un retour fur le fuccès, dans lequel on s'applaudit; le plaifir eft encore une fenfation agréable, mais jamais durable, & dont les fuites font fouvent déplaifantes, quelquefois même ameres. Joie, fatisfaction, plaisirs, aucun de ces fentimens ne produit donc le vrai Contentement. Après s'être livré à la joie, après avoir fatisfait une paffion, après avoir goûté un plaifir, l'ame n'en eft pas plus tranquille, & d'ordinaire moins contente.

Tout ce qui eft extérieur à notre ame, richeffes, honneurs, peut contribuer au bonheur de celui qui fait jouir de ces avantages, mais ne fait pas encore le Contentement de l'efprit: il faut pour cela quelque chofe de plus; une difpofition à goûter cet état, un fentiment d'approbation de foi-même, une aptitude à trouver ce bonheur dans ce que l'on eft & ce que l'on poffede. Voyez BONHEUR. Souvent même on peut être dans un état de bonheur, fans être dans un état de Contentement, qui eft celui de la félicité. Biens, honneurs, amis, fanté, tout cela peut contribuer au bonheur de l'homme; mais ce qui en fait la félicité, & qui produit le Contentement, c'eft l'ufage de ces biens, c'eft la jouiffance, c'eft le sentiment & le goût de toutes ces chofes c'eft l'état d'une ame tranquille, qui fe connoît, fe fent, & s'approuve. Ainfi les chofes étrangeres peuvent fervir au bonheur des humains, mais l'homme fage fe fait à foi-même fa félicité, en fe procurant & confervant le contentement d'efprit.

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L'homme content eft donc celui qui fe plaît affez dans fon état intérieur & extérieur, pour défirer d'y perfévérer, & qui, s'il forme en certaines occafions quelques autres défírs, les proportionne à fon pouvoir, fans perdre la tranquillité de fon ame. La fource de nos défirs dépend de notre fenfibilité naturelle & de la liaison de nos idées; la fource de notre pouvoir dépend des loix phyfiques & de la volonté des êtres penfans, avec lefquels nous vivons. Avec un efprit jufte, on apprend à régler, à modérer ses défirs, à les proportionner à fon pouvoir, à les combiner, à les foumettre même aux volontés des autres, à y renoncer, fi les circonftances extérieures ou intérieures viennent à changer: ainfi pour parvenir au Contentement d'efprit, il faut avoir l'efprit jufte, une logique naturelle; voir les chofes telles qu'elles font dans leur relation, favoir juger, comparer & agir en conféquence.

La préfomption, l'orgueil, l'ambition, toutes les paffions violentes, font par-là même des obftacles au véritable Contentement, parce qu'elles font une fource intariffable de défirs immodérés, qui banniffent la tranquillité

de l'ame.

Appellés d'ailleurs à vivre avec nos femblables dans diverses relations; connoître distinctement les devoirs qui résultent de ces relations, & les remplir exactement, eft un autre moyen d'être content de foi-même & toujours tranquille. Ces hommes inquiets ou présomptueux, qui exigent tout des autres, & méconnoiffent fans ceffe ce qu'ils leur doivent, ne fauroient jouir de ce Contentement auquel leur caractere & les plaintes des autres, mettent continuellement obstacle. Pour être content de foi, il faut pouvoir s'affurer que les autres font contens de nous. Sans cette perfuaLion éclairée, l'homme ne fauroit s'approuver ni jouir de la tranquillité.

Ce n'eft pas tout encore, l'homme inftruit par l'expérience & le fentiment intérieur fent qu'il manque toujours quelque chofe à fa félicité fur cette terre, qu'elle eft troublée par des obftacles qu'il ne fauroit furmonter fon cœur ne fauroit être fatisfait dans l'étroite enceinte des biens dont il jouit ici-bas; fes défirs le portent à fouhaiter une existence après cette vie. Il cherche un être capable de lui procurer, dans une autre économie, une félicité dont il fe fent capable. Son cœur ne peut être content, que lorfque fon efprit eft perfuadé qu'il y a en effet, un Etre qui peut & qui veut le conduire à la félicité dont il eft fufceptible. Alors, & alors feulement, fon ame eft tranquille & contente; s'il manquoit à fon état ici-bas quelque chofe pour fa félicité, il se soutient, il se console, il fe tranquillife par l'efpérance d'une compenfation qu'il attend.

CONTRADICTION, I. f.

Des Contradictions que l'on éprouve dans le commerce de la vie. Plier fon humeur & fupporter celle des autres. Diverfité d'humeurs, même parmi les gens de bien: fujets qui donnent le plus ordinairement matiere à des vivacités. Supporter avec patience les génies méme les plus défec

tueux.

AUTANT

UTANT la nature a répandu de variété fur les visages, autant elle en a femé dans les goûts & les caracteres : & comme il feroit déraifonnable d'exiger, dans tous les vifages, la reffemblance du fien, il ne l'eft pas moins de prétendre, que l'humeur de tous les hommes se plie au gré de la nôtre.

Chacun penfe & agit felon le fiecle & le climat où il vit, felon fon âge, fon fexe, fon inftinct particulier, & l'éducation qu'il a eue; & ne fonge guere à examiner s'il penfe ou agit bien ou mal.

On n'imagineroit pas combien il y a peu d'hommes fur la terre, qui s'étudient eux-mêmes, & travaillent à fe rendre meilleurs. On fe pardonne

tout, & l'on ne paffe rien aux autres on voudroit réformer le genre-humain; & l'on s'excepte tout feul de la réforme.

Commencez par rendre votre humeur fouple, & vous éprouverez bien moins de contrariétés.

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Rofine avoue qu'elle eft vive, & le public moins ménagé dans fes expreffions, appelle fa vivacité, rage, fureur, frénéfie. Jamais il ne lui est venu à l'efprit que l'univers entier n'eft pas fait pour lui complaire : ce qu'elle fouhaite, elle fe le croit dû, & prend pour autant d'outrages, tout ce qui la contrarie. Un enfant crie, voilà Rofine excédée : „, La fotte en» geance qu'un enfant! vite, vite, qu'on me l'emporte. " Un valet caffe un verre : Le mal-adroit, le balourd! retirez-vous, voilà vos gages. Le hafard fait qu'elle fe trouve feule, & la folitude l'ennuie auffi-tôt fes amis abfens font durement apoftrophés : Où donc eft l'ingrate Doris? » Qu'eft devenue la nonchalante Agathe? Où s'amufe le traître Euphorbe? > Que fait le perfide Silvandre? Quels froids amis? Dans quel abandon » ils me laiffent, je ne les veux plus jamais voir. " Capricieuse, changeante, ne voulant jamais aujourd'hui ce qu'elle vouloit hier; tout ce qu'elle veut conftamment, c'eft feulement qu'on la devine. On s'y effaie, mais en vain prefque jamais on ne rencontre jufte; encore moins arrivet-il, lorfqu'on fait ce qu'elle défire, qu'on s'en acquitte à fon gré. On s'eft toujours mépris en quelque chofe; on a été ou trop prompt ou trop lent; on l'a fait de mauvaise grace. Qu'on la careffe, on eft trop libre; qu'on la refpecte, on la dédaigne : qu'on la voie rarement, elle s'en plaint avec aigreur qu'on la vifite affiduement, on la fatigue, on l'importune : & lorfqu'on l'a mécontentée, on en eft inftruit fans délai; un torrent d'invectives, de reproches & de cris aigus annoncent à l'inftant fon dépir. Laiffez-la exhaler fa rage: vouloir la calmer, c'est l'aigrir. Dans les momens où elle eft de fang-froid, vous rifquerez un peu moins à lui faire des remontrances : mais vous n'y gagnerez pas plus.,, Au fond, avois-je tort, vous dira-t-elle ? Que ne s'y prend-on mieux? J'avoue que je » fuis un peu prompte: mais ce n'eft pas-là un grand mal; il faut me. » prendre comme je fuis.

Quand tous les hommes feroient également attachés à la vertu, ils ne laifferoient pas de différer en bien des points. Le fond des principes de morale & des fentimens feroit le même dans tous: mais ils ne fe copieroient pas pour cela dans les chofes indifférentes aux bonnes mœurs; & rien en effet ne les y oblige. Dieu nous a donné fa Loi pour regle de conduite, & non pas nos femblables pour modeles. On peut fort bien être auffi vertueux qu'un autre, fans lui reffembler de caractere. Suppofons donc une fociété composée de tous gens de bien, on y rencontrera encore de quoi exercer fa patience. L'efprit fin & pénétrant ne fupportera qu'avec peine des génies lourds & pefans: un plaifant, un facétieux ne fympatifera pas avec un mélancolique. Que l'un foit pofé, l'autre vif; l'un grand parleur,

l'autre filentieux que de fujets de rupture pour des humeurs impatientes! Mais dans ma fuppofition tous font des hommes vertueux, qui tous par conféquent méritent quelques égards. Cherchez premiérement cette qualité effentielle, dans ceux avec qui vous vous liez: elle eft affez précieuse, affez rare, affez excellente, pour effacer ou couvrir quelques légers défauts. Paffez tout à un homme en qui vous connoiffez des mœurs & de la probité vous le devez ménager avec foin; vous perdriez un trésor, si jamais il vous échappoit. Rien ne reffemble plus à Dieu, qu'un homme jufte & vertueux donc ce feroit infulter Dieu, que d'outrager fon image. Tymon eft froid & taciturne : les ris & l'enjouement ne dérident jamais fon front pliffé; les affemblées où l'on fe les permet, font pour lui des pays perdus, où il porte un vifage fombre, un air trifte & déconcerté. Lorfque par des raifons de bienféance, il s'eft cru obligé d'y venir, on l'y trouve de trop, on voudroit bien qu'il s'en fût difpenfé. Mais en revanche, Tymon a le cœur droit, l'efprit bien fait & l'ame généreufe. Ayez befoin de fon fecours: ç'en eft affez, c'est un titre fuffifant auprès de lui, pour le mériter. Il eft grave & férieux mais il n'eft ni foupçonneux, ni cauftique. Il s'abftient des plaifirs permis mais il ne les condamne pas. Vous ne l'entendrez point ni cenfurer ni médire. Il parle peu mais il est véridique; fa bouche eft un organe pur, que n'ont jamais fouillé le menfonge ni l'équivoque. Traitez fans rien craindre avec lui vous n'aurez pas befoin, pour affurer l'exécution de fes engagemens, de témoins ni de garantie. Où pourriez-vous trouver des cautions plus fures que Tymon lui

même ?

Ceux qui donnent le plus fouvent matiere à des vivacités, font fur-tout les enfans, les domeftiques & le bas peuple. Ce n'eft pas que ces gens-là foient d'une espece plus vile en foi que le refte des hommes, ni qu'ils aient le cœur plus gâté : c'eft feulement, que n'ayant point appris par ce qu'on appelle l'ufage du monde, à fe voiler fous des apparences trompeufes, leurs défauts étant plus vifibles, en font auffi plus choquans.

Damaris, ainfi que la plupart des meres, a des enfans badins, folâtres & inappliqués. Elle a beau s'épuifer en leçons, en réprimandes, on ne l'écoute pas; ou l'on oublie qu'elle a parlé, dès qu'elle a fermé la bouche. L'impatience enfin l'emporte, elle crie, tonne, menace, & frappe à coups redoublés. La tendreffe maternelle, fufpendue, fait place au courroux. Qui de vous, ou de vos enfans, Damaris, eft plus condamnable? La légéreté les entraîne la colere vous tranfporte. La prudence eft-elle plus de leur âge, que la modération du vôtre?,, Ils doivent au moins m'obéir ", ditesvous. Et vous, à la raison, qui vous interdifoit ces violences déplacées. Châtier par emportement, c'eft moins punir, que fe venger.

Quel démon agite Aphronie. Je l'entends gourmander fans ceffe fes femmes & fes valets. Se font-ils donc tous ligués pour aigrir fa bile amere? Non, ce font d'innocentes victimes de fes fureurs capricieufes. Qu'Aphro

nie rabatte un peu de fa fougueufe pétulance: tous leurs forfaits difparoiffent ils ne lui femblent coupables, que parce qu'elle eft emportée. Son humeur impatiente lui groffit tous les objets dont fa fantaisie eft bleffée, & transforme à fes yeux en crimes, les fautes les plus légeres.

Nos domeftiques font des hommes: c'eft une cause infaillible pour qu'ils ne foient pas fans défauts : & c'eft auffi une raison pour nous, d'ufer avec eux d'indulgence.

Vous méprisez le bas peuple : & vous avez raison, fi vos mépris ne tombent que fur fa groffiéreté, fon ignorance & la baffeffe de fes fentimens. A en juger par ces côtés hideux, ce n'eft qu'une vile fourmilliere, qui fe remue & fe trémouffe fans connoiffance & fans deffein; un corps fans yeux, qui marche fans voir où il va; ou qui n'eft guidé tout au plus yeux, que par l'appât d'un gain fordide, & ne connoît prefque jamais fes véritables intérêts ennemi de la fageffe & de la modération, turbulent, féditieux, féroce quand on le ménage, lâche & rampant quand on l'opprime; vain, inconftant & fuperftitieux, amateur des nouveautés, en proie à la prévention; s'arrogeant le droit de juger ceux qui l'inftruisent & le gouvernent, & les jugeant toujours mal.

Mais de cette claffe ignoble, tirez quelques fujets dociles, & d'un âge encore fufceptible de leçons & d'enseignemens : c'eft peut-être un diamant brut, qui, mis en œuvre par une main habile, vous furprendra par fon éclat éblouiffant; la fageffe & la vertu, fruits de l'éducation, le discerneront de la foule; les richeffes & les honneurs feuls n'auroient pas empêché qu'il n'y demeurât confondu. La plupart des Grands font peuple.

Dédaignez, tant qu'il vous plaira, la populace en général : mais dans chacun de ceux qui la compofent, envisagez des hommes comme vous: aimez-les à ce titre, & fupportez leurs défauts. Soyez fur-tout indulgent pour ceux que l'infortune humilie: vos hauteurs & vos duretés leur rendroient encore plus cuifant le fentiment de leurs malheurs. Comme on pardonne à un malade fes caprices & fes humeurs, on doit aufli paffer aux miférables tous les égaremens dont leur mifere eft la cause.

Vous n'êtes point parfait, fans doute traitez donc vos femblables, comme vous avez intérêt qu'ils vous traitent. N'euffiez-vous même aucuns défauts, vous n'auriez point acquis par-là le droit d'infulter ceux qui en ont; c'eft feulement une raifon pour les plaindre davantage. Adonis, quoique le plus beau des hommes, n'auroit pas été excufable, s'il eût outragé Therfite.

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