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Baptifte de Morfy, fils, ont auffi fubi le dernier fupplice pour avoir inventé & dénoncé des complots déteftables. (a)

Le Parlement de Paris (b) a condamné Jean Moriceau de la Motte, Huiffier aux Requêtes de l'Hôtel, à faire amende honorable, & à être pendu, pour avoir tenu des propos féditieux contre le Roi, le Parlement & des perfonnes en place. Et Paul-René du Truche de la Chaux, Ecuyer, ci-devant Garde du Roi, à faire amende honorable, au-devant de la principale porte de l'Eglife de Notre-Dame, devant celle du Palais des Thuilleries, & devant celle de l'Hôtel de Ville, & à être pendu en place de Grêve, pour avoir fabriqué des impoftures contre la fureté du Roi & la fidélité de la Nation. (c)

Le Crime de lefe-Majefté emporte dans toute l'Europe la confiscation de corps & de biens. Les enfans fouffrent par conféquent la perte des biens aufquels ils auroient fuccédé. C'est une fage inftitution des Loix, pour faire fervir l'amour même que nous avons pour nos enfans, à nous rendre plus affectionnés & plus fideles à la patrie.

Dans nos mœurs, le Crime de lefe-Majefté eft imprescriptible. Les hommes naiffent à leurs familles qui elles-mêmes naiffent à l'Etat; & comme chaque famille a son chef, de même toutes les familles ensemble reconnoiffent un chef commun dans la perfonne du Souverain qui eft le pere de tous: ainfi, quiconque ofe attenter à la perfonne du Souverain, commet celui des Crimes qui a le plus d'étendue dans fes effets, & qui par conféquent doit être le plus févérement puni. D'un côté, comme le coupable jette le trouble dans tout l'Etat, il eft jufte que jamais l'Etat ne lui ferve d'afile; c'eft un monftre qui n'a plus de patrie, contre qui tous les Souverains doivent s'armer, & pour qui l'Univers entier ne doit plus être qu'un précipice. D'un autre côté, comme le Souverain en tant que Souverain, ne meurt jamais & qu'il n'y a point de prescription contre lui, il eft naturel que les coupables du Crime de lefe-Majefté trouvent en lui un éternel vengeur. Telles font les caufes de l'imprescriptibilité de ce Crime.

» Si un Prince du Sang (dit Dumoulin) commet un Crime de lefeMajefté contre la Couronne Royale, il peut être, même avec toute fa » poftérité, privé en tout temps du droit de fuccéder à la Couronne. (d) Par le Code Victorien, le Crime de lefe-Majefté au premier chef, &

(a) Arrêt du 2 Août 1757.

(b) Arrêt du 6 Septembre 1758.

(c) Arrêt du premier Février 1762.

(d) Propter crimen lafa Majeftatis in regiam Coronam & Rempublicam Regni per aliquem de fanguine regio poffet ille perduellis, etiam cum futurá fuâ pofleritate privari, omni tempore & jure futuro in fucceffione regni, Car. Molin. in Tractatu de Confuet. Parif.

celui de félonie, emportent la confifcation tant des biens allodiaux que des fiefs, & généralement de tous les biens du délinquant, au préjudice de fes enfans & de fes collatéraux, en quelque dégré qu'ils foient, nonobftant les anciennes & les nouvelles inveftitures & tous fidéi-commis directs ou collatéraux, quand même ils auroient été autorisés par le Souverain. (a)

Les Loix de France déploient toute leur févérité contre les criminels d'Etat; & il eft parmi nous plufieurs grandes différences entre les regles impofées pour ce Crime, & celles qui font établies pour les Crimes ordinaires.

Quoique les volontés ne foient pas punies, à moins qu'elles n'aient eu un commencement d'exécution, nos loix veulent qu'en matiere de Crime de lefe-Majefté, la mauvaise intention foit punie comme le mauvais effet. Nous avons pris cette regle des Romains, (b) & elle a été fuivie en France en deux occafions, I. Un Gentilhomme malade à l'extrémité, s'étant confeffé d'avoir eu la pensée de tuer le Roi (c'étoit Henri III) & le Confeffeur en ayant donné avis au Procureur-Général, ce Gentilhomme revenu de cette maladie, fut, fur cette confeffion, condamné à être décapité aux Halles, & cela fut exécuté. II. Un Vicaire de St. Nicolas-des-Champs à Paris, fut pendu en exécution d'un Arrêt du 11 de Janvier 1590, (c) pour avoir dit qu'il fe trouveroit encore quelque homme de bien, comme Jacques Clément, pour tuer le Roi Henri IV, ne fût-ce que lui.

Un homme eft même puni de mort lorfqu'il eft convaincu d'avoir fû une conjuration contre le Souverain ou contre l'Etat, & de ne l'avoir pas révélée. Les plus fameux Jurifconfultes le reconnoiffent. (d) Il ne lui ferviroit de rien de dire qu'il n'a pas trempé dans la conjuration.

Bernard del-Nero fut condamné à mort, pour n'avoir pas révélé une conjuration contre le Gouvernement de Florence, alors populaire (e).

(a) Art. 3. du chap. 7. du liv. 4. du Code Victorien.

(b) Eadem feveritate voluntatem fceleris, quá effectum in reos lafa Majeftatis jura puniri voluerunt. Leg. 5. Cod. ad leg. Jul. Majeft.

(c) Rapporté par Bouchel dans fa Bibliotheque du Droit François.

(d) Qui nudam faflionis notitiam habent citra participate factionis crimen (de quo aliæ funt Leges) certè in proprio perduellionis crimine capitali, & hunc confcium pæna puniri frequentior fchola rectè fcifcit. Jacobus Gothofredus, ad Legem Quifquis, Cod. ad Leg. Majeftatis; profper Farinacius, célébre Jurifconfulte Italien, Tom. 1. Operum, Quæft. 51, N. 69 & 72, dit auffi: Quod ex folâ fcientiâ, in crimine laæfæ majeftatis qui tenetur & punitur; & Proptereà fciens tractatum, confpirationem, feu rebellionem contra fuum Principem & Rempu blicam, & non revelans, illius criminis reus eft, ut ficut principalis delinquens & confpirans contra fuum Principem paná mortis puniendus eft, ita etiam eâdem pœná puniendus fit, non revelans talem confpirationem. Bartole penfe auffi, que la feule connoiffance non révélée mérite la mort. Voyez ce qu'il dit fur la Loi 6. Digeft. de Leg. Pompeïâ, de parricidiis, N. 3.

(e) Hift, des guerres d'Italie par Guichardin, fous l'an 1497.

Yyy a

Le Code Victorien veut que celui qui a connoiffance d'un Crime d'Etat & qui ne le révéle point, foit réputé coupable & encoure la même peine que le coupable principal (a).

Nous avons en France une loi expreffe à ce fujet. L'Ordonnance de l'un de nos Rois (b) porte, que dorénavant ceux qui fauront ou auront » connoiffance de quelque confpiration contre le Roi, la Reine, le Dau>phin, & l'Etat, feront tenus & réputés criminels de lefe-Majefté & pu» nis de semblables peines que les principaux auteurs, confpirateurs & >> conducteurs des Crimes, s'ils ne le révélent ou envoient révéler au Roi ou » à fes principaux Juges & Officiers des Pays où ils font, le plutôt que » poffible leur femblera, après qu'ils en auront eu connoiffance, auquel » cas, & quand ainfi le révéleront, ils ne feront en aucun danger de pu>nition des Crimes, mais feront dignes de rémunération. «

C'eft fur cette Ordonnance qu'un Potagier de Henri IV, avec lequel un Gentilhomme de Dauphiné avoit parlé de lui faire gagner quelque argent, pour empoisonner le Roi, fut condamné à être pendu, parce qu'il ne l'avoit pas révélé au Roi ou à la Justice (c).

C'eft auffi en vertu de cette Ordonnance, que François-Augufte de Thou, Confeiller d'Etat, fut condamné à mort (d) pour n'avoir pas révélé la confpiration de Henri d'Effiat Marquis de Cinq-Mars, Grand Ecuyer de France, fon ami, qui lui en avoit fait confidence (e). Plufieurs écrivains François plaignent fon fort & quelques-uns même blâment fes Juges; mais à mon avis, c'eft fans raifon. De Thou étoit accufé d'avoir fu le Traité fait par Gafton de France Duc d'Orléans avec le Roi d'Efpagne; d'avoir négocié l'union du Duc de Bouillon & de Cinq-Mars; d'avoir été informé de la retraite que le Duc d'Orléans devoit faire en la Ville de Sedan, au cas que le Roi vint à mourir; enfin d'avoir été inftruit d'une conjuration contre l'Etat fans l'avoir révélée. Il fut chargé par les témoins, & il avoua d'avoir eu connoiffance de la confpiration de quelque nom qu'on veuille l'appeller. On ne peut donner à ce Magiftrat infortuné un Juge plus favorable que fon propre pere, le célébre Jacques-Augufte de Thou, Préfident à Mortier au Parlement de Paris. Or fon propre pere l'avoit condamné d'avance; car dans l'ouvrage que nous avons de lui, & qui eft en poffeffion de l'eftime publique, cet hiftorien qui joignoit une

(a) Code Victorien, Liv. 4. Ch. 7. art. 5.

(b) Elle eft du 22 de Décembre 1477; elle a été faite par Louis XI; & on la trouve dans le Code de Henri III.

(c) Bouchel, au mot lefe-Majesté.

(d) En 1642.

(e) Voyez l'hiftoire de ce procès à la fin du 15me vol. de la traduction Françoise de Phiftoire générale de Thou.

profonde connoiffance de la Jurifprudence aux lumieres hiftoriques, rapporte que Jean de Poitiers, Seigneur de Saint-Valier, s'étant accufé, dans le Tribunal de la Pénitence, d'avoir eu part à la conjuration de Charles Duc de Bourbon, fut dénoncé par fon confeffeur & condamné à mort; que comme on le conduifoit au fupplice, la peur lui caufa une fievre fi violente, qu'il fut impoffible de le foulager par plufieurs faignées, & qu'ainfi il ne put profiter de la grace que le Roi (a) lui accorda à la priere des Grands de fa Cour, dont les charmes de fa fille (b) avoient gagné les cœurs (c). Il rapporte encore que Julien Girolami fut condamné à une prifon perpétuelle, parce qu'il n'avoit pas révélé la confpiration de Pucci & de Cavalcanti contre le Duc de Florence Cofme de Medicis, quoiqu'il l'eut toujours défapprouvée (d). Il rapporte enfin un autre exemple d'un Gentilhomme du pays de Caux, nommé Lignebœuf, qui fut condamné à mort, pour avoir fû une conjuration pour furprendre Dieppe, ne l'avoir pas déclarée, & s'être contenté de la défapprouver (e). Il penfe qu'un Officier des troupes de Henri IV, étoit coupable du Crime de lefeMajefté, pour n'avoir pas découvert la confpiration que le Chartreux Pierre de Laval avoit tramée contre ce Prince (f), & il dit que Jean Garmet, Jefuite, confeffa au Roi Jacques premier d'Angleterre, qu'il étoit coupable pour n'avoir pas révélé la conspiration des poudres qui lui avoit été communiquée (g).

Ceux qui, dans les affaires ordinaires, ne feroient pas reçus à accufer qui que ce foit, parce qu'ils font notés d'infamie, peuvent parmi nous se porter accufateurs, quand il s'agit du Crime de lefe-Majefté. Ce Crime peut être dénoncé & poursuivi par toutes fortes de perfonnes; & c'est un ufage que nous avons encore pris des Romains (h). Le fils peut même accufer fon pere du Crime de lefe-Majefté, & le pere fon fils, quoiqu'une telle accufation foit capitale. On fait céder la piété paternelle & la tendreffe filiale à l'amour qu'on doit au Prince & à l'Etat.

(4) Henri II.

(b) Diane de Poitiers, qui fut dans la fuite femme de Brezé Grand-Sénéchal de Normandie, maîtreffe de Henri II, & Ducheffe de Valentinois.

(c) Hift. Thuan. lib. 3. On trouve l'histoire du procès de François-Augufte de Thou, à la fin du 15me. vol. de la traduction Françoise de l'hiftoire de fon pere.

(d) Julianus Hieronymianus, quòd conjurationem non revelaffet (quamvis rem averfarezur) in arce Volaterraná, vita quod fupererat, peragere. Hift. Thuan. lib. 23. ad ann. 1559. (e) Hift. Thuan. lib. 45. ad ann, 1569.

(f) Nihil ea de re Regi revelavit, quod crimen perduellis evitaturo neceffe erat. Hift. Thuan. lib. 118. ad ann. 1597.

(g) In reticendo erga Regem peccaffe, & dolores fibi veniamque à Regia majeflate fupplicia ter expofcere. Hift. Thuan. lib. 135. ad ann. 1606.

(h) L. 1, in princip. & §. 1, L, ad Leg, Jul, Majeft,

Enfin les domeftiques font reçus à dépofer contre leurs maîtres; & c'eft ainfi que l'efclave pouvoit autrefois dépofer contre fon maître; l'affranchi contre fon patron, dans une accufation de ce crime (a).

Quelques-uns des exemples que je viens de rapporter femblent fuppofer que les Confeffeurs font obligés de révéler les crimes d'Etat; mais cela n'eft ni ne peut être. J'indique les livres (b) où l'on trouve ce qui s'eft paffé à ce fujet, & les différentes opinions des Auteurs. Il eft des Canoniftes qui permettent en ce cas au Confeffeur de fe rendre le dénonciateur de fon Pénitent; mais les Théologiens les plus exacts ne font pas de cet avis. Il en eft d'autres qui ont crû trouver un adouciffement entre l'obfervation inviolable du fecret, & l'abus que font de la confeffion les Prêtres ignorans & indifcrets, qui fe rendent les délateurs de leurs Pénitens & les conduifent fur l'échaffaut. C'eft que, quand un péril imminent menace l'Etat ou le Prince, le Confeffeur peut & doit en avertir le Souverain, en se tenant dans les bornes d'une déclaration générale de la confpiration; fans nommer ni défigner perfonne, & avec toute la prudence requife pour fauver en même-temps l'Etat & les pénitens, découvrant le crime, fans rien dire, qui puiffe faire découvrir le criminel. Mais tous les tempéramens dans une pareille matiere font contraires à l'effence même du Sacrement de Pénitence. Ce n'eft point aux hommes qu'on fe confeffe, c'eft à Dieu en la perfonne de fes Miniftres. On veut bien confeffer les péchés devant Dieu qui eft tout miféricordieux, & non devant les hommes qui ne pardonnent rien. Le Prêtre ne doit point penfer comme homme à ce qu'on lui confie dans le Tribunal, s'en fouvenir comme homme, ni conféquemment en parler jamais, fût-il appellé en témoignage, parce qu'il n'y peut paroître que comme homme. Le fceau ou le fecret de la confeffion eft une fuite inféparable de l'obligation des pécheurs de ne rien cacher à leurs directeurs. Autrement la confeffion feroit un piege & un moyen frauduleux pour arracher le fecret des pénitens & pour les perdre enfuite, ou au moins pour les diffamer, en révélant des chofes dont ils rougiffent eux-mêmes, lorfqu'ils les confient à leurs directeurs. En établiffant un principe contraire, on ne feroit rien d'utile pour les Souverains, car qui est-ce qui fe confefferoit d'avoir formé un deffein de confpiration, s'il étoit permis de révéler fa confeffion! Ils y perdroient au contraire l'avantage qu'ils peuvent tirer des exhortations que le Confeffeur eft obligé de faire au pénitent, pour le détourner du crime de lefe-Majefté : exhortations qui doivent être d'autant plus efficaces, que ce n'eft que le remord du projet qui a conduit le pénitent aux pieds du Confeffeur. Ouvrir la voie à la révélation,

(a) Loi 1. au Code de Quaft,

(b) Bodin, Républ. liv. 2. ch. s ; & liv. 4. ch. 7; de Thou, liv. 43; Traité historique & dogmatique du fecret inviolable de la Confefion, par Lenglet du Frefnoy. Paris 1715, in-12.

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