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blir le Crédit général par la multiplication actuelle des fignes d'où réfultoit une double,caufe d'augmentation dans le prix de toutes chofes, l'une naturelle & falutaire, l'autre forcée & dangereufe. L'inconvénient de cette derniere fe corrige en partie relativement à la concurrence des autres peuples par la diminution des intérêts.

De ces divers raifonnemens on peut donc conclure, que par-tout où la circulation & le Crédit jouiffent d'une certaine activité, les banques font inutiles, & mêmes dangereufes. Nous avons remarqué, en parlant de la circulation de l'argent, que fes principes font néceflairement ceux du Crédit même, qui n'en eft que l'image: la niême méthode les conferve & les anime. Elle confifte, 1°. dans les bonnes loix bien exécutées contre l'abus de la confiance d'autrui. 2o. Dans la fureté des divers intérêts qui lient l'Etat avec les particuliers comme fujets ou comme créanciers. 3°. A employer tous les moyens naturels, artificiels, & politiques qui peuvent favorifer l'induftrie & le commerce étranger; ce qui emporte avec foi une finance fubordonnée au commerce.

Si quelqu'une de ces regles eft négligée, nulle banque, nulle puiffance humaine n'établira parmi les hommes une confiance parfaite & réciproque dans leurs engagemens elle dépend de l'opinion, c'est-à-dire, de la perfuafion ou de la conviction.

Si ces regles font fuivies dans toute leur étendue, le Crédit général s'établira fûrement.

L'augmentation des prix au renouvellement du Crédit, ne fera qu'en proportion de la maffe actuelle de l'argent, & de la confommation des étrangers. L'augmentation des prix par l'introduction continuelle d'une nouvelle quantité de métaux, & la concurrence des négocians, par l'extension du commerce, conduiront à la diminution des bénéfices: cette diminution des bénéfices & l'accroiffement de l'aifance générale feront baisser les intérêts comme dans l'hypothese d'une banque : mais la réduction des intérêts fera bien plus avantageufe dans le cas préfent que dans l'autre, en ce que la valeur premiere des denrées ne fera pas également augmentée. Pour concevoir cette différence, il faut fe rappeller trois principes déjà répétés plufieurs fois, fur-tout en parlant de la circulation de l'argent.

L'aifance du peuple dépend de l'activité de la circulation des denrées: cette circulation eft active en raifon de la répartition proportionnelle de la maffe quelconque des métaux ou des fignes, & non en raifon de la répartition proportionnelle d'une grande maffe de métaux ou de fignes: la diminution des intérêts est toujours en raifon compofée du nombre des prê teurs & des emprunteurs.

Ainfi à égalité de répartition proportionnelle d'une maffe inégale de fignes, l'aifance du peuple fera relativement la même; il y aura relativement même proportion entre le nombre des emprunteurs & des prêteurs, l'intérêt de l'argent fera le même.

Cependant la valeur premiere des denrées sera en raison de l'inégalité réciproque de la maffe des fignes.

Malgré les inconvéniens d'une banque, fi l'Etat fe trouve dans ces momens terribles, & qui ne doivent jamais être oubliés, d'une crife qui ne lui permet aucune action; il paroît évident que cet établissement est la resfource la plus prompte & la plus efficace, fi on lui prefcrit des bornes. Leur mefure fera la portion d'activité néceffaire à l'Etat pour rétablir la confiance publique par degrés : & il femble que des caiffes d'efcompte rendroient les mêmes fervices d'une maniere irréprochable. Une banque peut encore être utile dans de petits pays, qui ont plus de befoins que de fuperflu, ou qui poffedent des denrées uniques.

Nous n'avons parlé jufqu'à préfent que des banques folides, c'eft-à-dire, dont toutes les obligations font balancées par un gage mercantil. Les Etats. qui les ont regardées comme une facilité de dépenfer, n'ont joui de leur profpérité que jufqu'au moment où leur Crédit a été attaqué dans fon principe. Dans tous les temps & dans tous les pays, la ruine d'un pareil Crédit entraînera pour long-temps celle du corps politique : mais avant que le jour en foit arrivé, il en aura toujours réfulté un ravage intérieur, comme nous l'avons expliqué plus haut en parlant des dettes publiques.

S. I V.

Du Crédit particulier.

LE Crédit du négociant confifte dans la faculté d'acheter à terme, de payer en fon papier dans le commerce, c'eft-à-dire, dans toutes les places de l'Europe, comme papier-monnoie. Les limites de cette faculté font celles du Crédit, & conféquemment de la fortune qu'un négociant peut faire dans le commerce. Le Crédit du négociant monte au décuple de fon fonds, & quelquefois au-delà, ainsi que la somme de tous les Crédits particuliers réunis dans le commerce.

Pour comprendre jufques où le négociant peut étendre fon Crédit, il faut fe former une idée du Crédit général, qui circule dans le commerce, & qui en eft l'agent le plus actif & le plus important. Qu'on jette un coup-d'œil fur les reviremens qui fe font tous les jours à la banque d'Amfterdam; on les voit fe multiplier jufques à dix & douze millions de florins par jour; on connoît dans cette place un grand nombre de maisons, qui font jufques à foixante millions d'affaires par année. La bourfe de Londres préfente une affemblée plus nombreuse, une plus grande quantité de négocians & un ufage du Crédit infiniment plus étendu. Cependant fi on en écarte l'agiotage des fonds publics, certe bourfe réduite aux feules affaires de commerce, on trouvera dans celles d'Amfterdam une grande fupériorité. La raison en eft que les négocians d'Amfterdam font les banquiers

de toute l'Europe, des Anglois mêmes, & les feuls négocians qui travaillent directement avec toutes les places qui ont un change ouvert, ou quelque part dans le commerce. On pourroit mettre en doute fi la bourfe de Hambourg, qui acquiert tous les jours de nouvelles forces, n'égale pas aujourd'hui celle de Londres. Les négocians de Lyon foldent à chaque paiement pour plus de dix millions d'affaires, & fouvent n'emploient pas trois cents mille livres de comptant. C'est une circulation perpétuelle fur le Crédit d'un paiement à l'autre. Il en eft de même en proportion de l'usage du Crédit dans toutes les autres places de commerce.

Pour juger de la portion du Crédit qu'un négociant peut s'approprier de cette fomme immenfe du Crédit général, qu'on fuppofe que dix ou douze négocians d'Amfterdam de la premiere claffe fe réuniffent pour faire une opération de banque; ils peuvent dans un moment faire circuler dans toute l'Europe pour plus de deux cents millions de florins de papiers-monnoie préférés à l'argent comptant. Il n'y a point de fouverain qui puiffe en faire autant; &, ce qui eft encore bien digne de l'attention d'un jeune homme, ce Crédit eft une puiffance, que ces dix ou douze négocians exerceront dans tous les Etats de l'Europe avec une indépendance abfolue de toute autorité.

Pour achever enfin de donner une idée jufte & affez étendue du Crédit dans le commerce, nous ne faurions mieux faire que de rappeller ici les obfervations de M. de Gaftumeau, de l'Académie de la Rochelle & Syndic de la chambre de commerce de la même ville. Le délai ou le terme que prend le marchand pour payer ce qu'il achete, eft fondé fur la néceffité où il fera d'attendre lui-même le moment de la vente. La confommation du peuple eft l'unique objet du commerce or le peuple ne confomme pas tout dans un jour; il faut du temps pour faire renaître les befoins. Le marchand eft à l'égard du peuple ce qu'eft un pere de famille dans le fein de fa maison : l'un & l'autre font provifion de chofes néceffaires à la vie, & ils proportionnent la quantité au temps qu'ils ont penfé qu'en dureroit la confommation. Le marchand eft donc obligé d'attendre l'argent du peuple, & dès-là forcé lui-même de faire attendre fon vendeur. Qu'on change cet ordre, on rendra le commerce impraticable; on mettra le marchand hors d'état de s'approvifionner & de s'affortir à temps des différentes efpeces de marchandifes qu'il a coutume de vendre : fa maison, fes magasins, fes établissemens, fes talens deviendront inutiles: il fera ruiné & le peuple expofé à manquer de tout.

Cet argent du peuple, que fes besoins journaliers font paffer entre les mains du marchand, eft l'unique fonds du commerce, & il ne peut être remplacé par aucun autre. En effet, qu'on faffe attention à la maniere dont l'argent fe répand dans fes diverfes circulations, on verra qu'il n'existe jamais nulle part en fommes confidérables ramaffées tout-à-la-fois, même chez les perfonnes les plus riches; mais qu'il eft continuellement difperfé

dans mille & mille mains, où il ne s'arrête qu'un inftant, & feulement autant qu'il faut pour fubvenir aux dépenfes des familles, aux frais de la culture des terres, aux falaires des ouvriers des manufactures, &c. Plus ces objets auront d'étendue, plus fans doute il faudra de l'argent; mais ce ne fera que pour le répandre plus rapidement avec plus d'abondance: ce qu'un homme riche, à la tête d'une grande entreprife, aura de plus qu'un autre, ce feront des effets en plus grande quantité, un plus grand nombre de débiteurs, beaucoup plus de billets & de lettres de change dans fon porte-feuille, mais peu ou prefque point d'argent comptant.

La vivacité de cette circulation eft encore plus fenfible dans les recettes & les dépenfes d'un Etat. Les rois, les républiques levent chaque année des fommes immenfes fur leurs fujets, & ces fommes à peine reçues refluent chez les fujets par des millions de canaux, qui les reportent aux lieux mêmes d'où elles font forties.

Nul argent n'eft mis en réserve. Si l'économie en fait quelques amas, ce n'eft qu'en vue de le placer tout-à-la-fois dans des acquifitions de fonds: mais l'acquifition une fois faite, l'argent rentre dans la fociété, parce que le vendeur du fonds ne s'en défait que par prodigalité ou pour acquitter des dettes précédemment contractées.

Si ce mouvement continuel de l'argent étoit arrêté ou fufpendu, le corps de l'Etat tomberoit tout-à-coup dans une langueur mortelle. L'argent eft le reffort qui met en action tous les arts, tous les talens, toute l'induftrie du peuple.

Il eft donc certain que tout l'argent eft entre les mains du peuple; que c'est là où il eft vraiment utile; que plus il paffe rapidement d'une main à l'autre, plus l'Etat a de mouvement & de vie, & que comme la force & le bonheur de l'Etat dépendent de cette circulation, il doit faire tous les efforts pour l'entretenir & l'augmenter, ou la rétablir, fi quelque obftacle venoit à l'interrompre.

Ceux qui ne connoiffent pas affez le commerce & la néceffité de cette circulation, croient que les négocians ont un fonds particulier & indépen◄ dant de l'argent du peuple, & qu'avec ce fonds, qui leur eft propre, ils font leurs achats, & les paiemens de leurs entreprises: ils fe figurent des caiffes toutes pleines, qui ne s'ouvrent que pour les befoins du commerce. Rien n'eft plus chimérique : les négocians n'ont jamais d'argent en réferve; tout ce qu'ils en ont, eft difperfé chez les ouvriers, les artifans, les propriétaires des terres, les entrepreneurs des manufactures, tous ceux enfin qui fourniffent au commerce les divers objets qui le compofent. Cet argent, il eft vrai, reviendra au négociant, qui l'a diftribué, par les nouvelles ventes qu'il fera au peuple; mais toujours avec la lenteur des diverfes confommations auxquelles il faut néceffairement donner un temps fuffifant.

C'est ce temps, c'eft cette attention de la confommation qui établit la

néceffité indifpenfable des Crédits: il faut que le commerce reprenne des mains du peuple cet argent même qu'il y a mis. Or le peuple ne le rapporte que peu à peu & à proportion de fes befoins.

Qu'on jette les yeux fur le nombre & la valeur des objets qui entrent tout-à-la-fois dans le commerce; on verra de combien ils excedent la quan tité numéraire de l'argent du peuple, au moins de celui qui fe porte au commerce dans le temps précis des achats.

Car il faut obferver que l'argent ne fe répand dans le peuple que fucceffivement & par petites parties: depuis le citoyen le plus riche qui vit de fes rentes ou du produit de fes terres, jufqu'à l'artifan & au laboureur, perfonne ne reçoit dans un jour tout l'argent qu'il dépenfera dans le cours d'un an. Ainfi la maffe actuelle de l'argent du peuple, relativement au commerce, eft ordinairement très-modique : car on ne peut pas compter pour argent du peuple, celui qu'il n'a pas encore, ou celui qu'il ne rendra au commerce que long-temps après l'avoir reçu.

Cependant les négocians peuvent-ils s'arrêter & attendre des reffources fi lentes? Il faut que les achats fe faffent, que les magasins se rempliffent à temps, que les manufacturiers s'approvifionnent de matieres, que les vaiffeaux s'expédient. Où prendre tout l'argent comptant néceffaire à des entreprises fi fortes? Et s'il n'existe pas, ou ce qui revient au même, si la valeur des effets furpaffe de beaucoup les fommes que le peuple reporte au commerce dans le moment des achats, comment fuppléera-t-on le furplus, fi ce n'est par les termes, par les billets, les lettres de change & tous les autres papiers de commerce qui repréfentent l'argent?

Mais plus les entreprises demanderont de temps, plus l'exécution, plus la rentrée de l'argent deviendra lente & difficile. Les manufactures, les expéditions maritimes ne rendent fouvent les premieres mifes qu'au bout de deux ou trois ans ; encore mille accidens peuvent-ils prolonger ce délai, du moins pour une partie des fonds d'avance. Si la manufacture s'arrête, fi on ceffe de l'alimenter des matieres néceffaires, l'établissement tombe, les ouvriers fe diffipent, les correfpondances paffent ailleurs. Des entreprises fi longues, fi difpendieufes, & qui une fois commencées, exigent qu'on les fuive fans interruption, à peine de fe décréditer & de tout perdre, de pareilles entreprises peuvent-elles fe foutenir fans des achats à termes, fans le fecours de l'ufage continuel du Crédit?

Telle eft l'idée de la fomme du Crédit général qui circule dans le comde l'ufage & de la néceffité de l'exiftence de ce Crédit. Le négociant ne peut fe promettre d'étendre fon commerce, qu'en proportion de la portion qu'il peut s'approprier de cette fomme du Crédit général. Car un négociant qui reftreindroit toujours fon commerce à fon fonds réel, qui ne feroit des affaires qu'au comptant, ne fauroit faire qu'un commerce très-borné; & ne feroit qu'un négociant médiocre, fort peu utile à fa patrie, & au commerce en général.

Le

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