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Nous avons découvert jufqu'ici fix inclinations dans l'homme considéré comme fenfible, ou comme penfant: l'humanité, la reconnoiffance & l'amitié, la haine, la colere & le défir de corriger celui qui nous a fait du mal trois le portent à s'unir à fes femblables, & à procurer leur bonheur : trois tendent à l'empêcher de s'en féparer & de leur faire du mal; elles font toutes dans le cœur de chacun des hommes pour les porter tous à la bienfaifance, & pour les foulever contre la méchanceté : les trois premiers produifent dans le cœur de chaque homme un poids, une force intérieure qui le conduit à la paix & le rend bienfaifant par l'attrait du plaisir : les trois dernieres produifent hors de chaque homme une puiffance redoutable qui l'éloigne de la méchanceté par la terreur, par les défagrémens & par le malheur.

CORRESPONDANCE, f. f.

De la Correspondance d'un Miniftre avec d'autres Miniftres de fon Maître.

LA Correfpondance qu'un Négociateur entretient avec les autres Minif

tres de fon maître répandus dans les différentes Cours de l'Europe, lui fert à connoître le tableau général des affaires publiques, &, par la combinaifon du tour qu'elles prennent, à faire des applications judicieuses, & à prendre des mesures juftes pour les objets particuliers qu'il a entre les mains. Il peut, par le même moyen, donner ou recevoir beaucoup d'avis falutaires, découvrir des projets dangereux, parer ceux qui font prêts à éclore, & concourir efficacement à la réuffite des deffeins de fon Prince. Mais il ne doit jamais, fans ordre exprès, communiquer à aucun de fes collegues le fecret de la négociation dont il eft chargé. C'eft à fa Cour à informer chacun de fes Miniftres de cet objet, & de lui lever, autant qu'elle le juge à propos, le voile qui couvre fon fyftême politique, & les moyens qu'elle emploie pour le faire réuffir. Il ne faut pas non plus que cette Correfpondance, trop étendue, occupe le Miniftre ou fon Secrétaire d'Ambaffade, au point, qu'ils y perdent un temps confacré à leur propre négociation. En Hollande, le département des affaires étrangeres fait imprimer, toutes les femaines, quelques exemplaires d'un extrait des nouvelles politiques, qui font contenues dans les relations que la République reçoit de tous fes Miniftres dans les pays étrangers. Ces imprimés, ou bulletins, qui forment la gazette la plus authentique, la plus curieufe, & la plus utile qu'on puiffe imaginer, font envoyés à tous les Miniftres, & Réfidens Hollandois répandus dans toute l'Europe, qui s'épargnent par-là beaucoup de Correspondances particulieres, & reftent toujours au fait de la connexion des affaires générales.

CORRESPONDANCE

d'un Marchand avec un autre

Marchand, ou d'un Banquier avec un autre Banquier, &c.

C'EST un talent très-rare & très-précieux dans toutes fortes d'affaires, fur-tout dans le commerce, que celui de favoir bien tenir une Correfpondance. L'ordre eft déjà beaucoup. Mais il ne fuffit pas. La Correspondance exige une étude réfléchie & profonde, non-feulement fur de bons modeles, qui en ce genre ne fe trouvent que dans les livres de copies de lettres des premiers négocians; mais encore une connoiffance exacte de la nature de chaque affaire particuliere qu'on veut traiter, & des ufages du pays où l'on veut traiter. Nous ne craignons point de dire que la Correfpondance demande, pour ne rien laiffer à défirer, une expérience confommée dans les affaires de commerce. C'eft ici que le négociant déploie un grand fens, un grand fonds de lumieres & une grande connoiffance des hommes, & en même temps des affaires du commerce, de celles fur-tout de tous les pays où il écrit & où il étend fes opérations.

Le ftyle épiftolaire est la premiere partie de la Correspondance qui doit fixer l'attention du jeune homme. C'est dans la littérature le genre d'écrire qui préfente le moins de bons modeles. Nous ne pouvons citer parmi les anciens que les lettres de Cicéron & celles de Pline le jeune; & comme il s'agit ici d'un genre férieux, de traiter des affaires & de contracter fouvent par lettres des engagemens très-importans, nous devons peu d'attention aux lettres de compliment, de recommandation, aux lettres enjouées, badines; il faut s'attacher aux lettres férieuses, dans lesquelles il s'agit d'affaires importantes. Telles font celles de Cicéron à Quintus & à Caton, qui roulent fur des affaires d'Etat & de Politique. Nous n'avons pas un feul modele de ce genre dans notre langue. Nous pourrions citer les lettres de Madame de Sévigné, mais nous ne pourrions les citer que pour l'agrément, & nous n'avons point à traiter dans le commerce de fujets de pur agrément. Nous ne pouvons que propofer au jeune-homme quelques regles à étudier, & lui confeiller d'en faire enfuite l'application fur le livre de copies de lettres d'un bon négociant; & par cette étude jointe aux connoiffances des affaires de commerce & à l'expérience, il fe formera lui-même, & fe donnera les talens que demande la Correfpondance.

Il eft plus facile de fentir que de définir les qualités que doit avoir le ftyle épiffolaire. Ces qualités font la clarté, la précision, le choix des termes propres au fujet qu'on traite, & le ton fimple & naturet de la converfation, dont les lettres font l'image & tiennent la place. On peut fe donner ces qualités par une lecture un peu réfléchie, des ouvrages mêmes que nous avons fur le commerce, où l'on apprend, non-feulement à bien parler, mais à bien penfer; par l'attention à penfer avant que de parler,

& à rendre correctement & avec clarté ce qu'on penfe; & enfin à bien concevoir le fujet ou l'affaire dont on veut parler. Ce que l'on conçoit bien, dit Boileau, s'énonce clairement : ce qui exige cependant beaucoup d'ufage de la langue dans laquelle on écrit. Il est même fouvent néceffaire que le négociant écrive dans la langue de fon correfpondant. On peut obferver ici en paffant que tous les négocians d'Europe tiennent leur Correfpondance en François, avec la France, &, ce qui n'eft pas à la louange des François, peu de négocians de France favent les langues étrangeres.

La fcience du calcul, qui eft la premiere que le jeune négociant doit avoir acquife, doit contribuer à lui rendre l'efprit jufte, fur-tout s'il y a ajouté la connoiffance des premiers élémens de la géométrie. Il n'y a perfonne, dit le Pere Lami, dans fes Entretiens fur les fciences, qui raifonne, en général, avec autant de bon fens & de jufteffe, qu'un négociant fur les affaires de fon commerce; les réflexions & les calculs qu'il eft obligé de faire fans ceffe, l'accoutument à penfer.

Cette jufteffe d'efprit eft l'ame de la Correfpondance. Mais cette jufteffe d'efprit ne fuffit pas, fi on prend ici ce mot dans l'acception commune. Car on borneroit l'efprit jufte à cet efprit propre à tirer des conféquences juftes des principes ou des faits vrais ou faux qu'on lui préfente. Ĉet efprit jufte ceffe de l'être, ou du moins fon opération devient fauffe & entraîne dans l'erreur, lorfqu'il juge fans être affuré par des connoiffances exactes, de la vérité des principes & des faits qui lui font préfentés.

La jufteffe de l'efprit, que nous demandons ici, doit s'entendre dans un fens plus étendu. L'efprit jufte exige une connoiffance exacte de la vérité des principes & des faits fur lefquels on l'exerce. La vérité eft quelquefois le réfultat d'un grand nombre de combinaisons pour bien juger il faut bien voir, & pour bien voir il faut voir beaucoup. C'eft en ce fens qu'on dit que l'efprit n'eft jufte qu'à de certains égards, & qu'on n'a véritablement de jufteffe d'efprit que fur les matieres qu'on a méditées, & dont on connoît exactement les principes. On ne peut avoir l'efprit jufte fur ce qu'on ignore; & le bon efprit ne porte point de jugement fur ce qu'il ne connoît pas.

Ainfi il ne fuffiroit pas, pour exceller dans la Correfpondance, de pofféder le talent d'écrire dans ce genre, fi l'on n'y réuniffoit la jufteffe de l'efprit; & la jufteffe de l'efprit exige un détail de connoiffances exactes de toutes les affaires, qui peuvent être le fujet de la Correfpondance.

Delà on doit fentir la néceffité où eft le négociant de connoître à fonds toutes les branches de commerce qu'il fe propofe d'embraffer, & d'avoir affez de connoiffances générales pour favoir quelquefois fe procurer au befoin , par la Correfpondance, les connoiffances locales & de détail néceffaire, fuivant des circonftances que les révolutions du commerce amenent fans ceffe. Il doit fouvent auffi diriger des propofitions, des demandes, ou des réponses, fuivant des loix ou des ufages du commerce, qu'il ne lui

eft pas permis d'ignorer, & dont l'ignorance le précipiteroit quelquefois dans de grands embarras, ou cauferoit des pertes de conféquence.

On doit diftinguer la Correfpondance du négociant, qui a pour objet fes propres affaires, fes achats, fes ventes, fa propre circulation, qui peut être bornée à plus ou moins d'affaires; de la Correspondance qui a pour objet le commerce de commiffion. Savoir demander des avis, donner des ordres, prefcrire des limites à propos, demande beaucoup de circonspection & d'exactitude dans les lettres, & par conféquent, beaucoup de connoiffances.

La Correfpondance, qui a pour objet la commiffion, exige bien autant de prudence, autant de circonfpection, & une plus grande étendue de connoiffances. Le commerce de commiffion eft eftimé le plus folide; mais c'est une branche de commerce qu'on voudroit inutilement embraffer, fi on n'avoit d'autre fonds que de l'argent & de la volonté. On ne fe la donne point à fon gré cette branche de commerce; on l'acquiert par la confiance qu'on s'attire, par la réputation d'exactitude, de probité & de capacité; & on ne peut la conferver & l'étendre, qu'en foutenant bien ces grands principes de la confiance publique. Le négociant peut également perdre ou améliorer fans ceffe cette branche de commerce chez lui par fa Correfpondance, c'est-à-dire, par la maniere dont il tient fa Correfpondance.

Ce ne fera donc que dans le détail des connoiffances pratiques du commerce & de fes différentes branches, dans lequel nous nous propofons de conduire fucceffivement le jeune négociant, qu'il pourra perfectionner le talent d'écrire des lettres, acquis par la lecture, par l'usage, & la réflexion, & qu'il parviendra à fe donner celui de tenir une Correspondance telle que l'exige l'art de bien faire le commerce.

Nous revenons, avant que de finir cet article, fur la néceffité & l'utilité du livre de copies de lettres. La Correfpondance fe divife chez le négociant en autant de branches qu'il a de différentes affaires en mouvement. Chaque affaire a fa chaîne ou fon fyftême suivi d'opérations; quelques-uns même font d'un grand détail, dont il eft impoffible que la mémoire refte chargée; & quand la mémoire d'un négociant pourroit même fuffire, il ne feroit pas prudent de s'y fier; l'exactitude toujours très-importante en affaires, ne le permettroit pas. A mefure qu'il eft obligé de répondre aux lettres qu'il reçoit fur fes affaires, il doit fouvent revoir les lettres qu'il a écrites, pour rendre fes réponses relatives & exactes; il doit même quelquefois, par fes réponses, rectifier & régler fur la vue de fes lettres antérieures, la conduite d'un correfpondant, foit pour fon compte, foit pour celui de fon Correspondant lui-même. C'est enfin dans fes copies de lettres, qu'il trouve fouvent une bonne folution à des difficultés qui furviennent, qui feroient le principe d'une divifion, ou d'obftacles au fuccès d'une opération. Par cette attention fur les lettres écrites, rien n'eft négligé, & le négociant vigilant & fage y trouve fouvent la fource d'un heureux

confeil. Car toutes les lettres doivent contenir l'hiftoire exacte de chaque affaire de commerce; ce qui eft toujours d'une utilité très-étendue, & trèsimportante dans la maifon d'un négociant.

CORRESPONDANT, f. m. Perfonne domiciliée dans un lieu, avec laquelle une autre perfonne réfidante dans une autre ville ou pays, eft en relation de commerce.

PERSONNE n'agit feul dans aucune affaire; on a fans ceffe befoin du

du

fecours de fes femblables; & les affaires de commerce bien plus que toute autre affaire, étendent à l'infini les befoins des fecours d'autrui. Ainfi, à l'obfervation des diverfes qualités des denrées, des matieres premieres, des ouvrages de l'art & de leurs différens degrés de bonté, des mœurs, luxe, du goût, des caprices même des loix, des ufages mercantils de toutes les nations, il faut ajouter l'étude des hommes, & toutes les connoiffances qu'exige le choix à faire d'un grand nombre de Correfpondans, répandus dans les différentes places de commerce. La correfpondance eft l'ame du commerce du négociant; & une intelligence active jointe à la probité, à l'exactitude & à un crédit folide, doivent déterminer le choix de fes amis; car c'est ainsi qu'on nomme communément dans le commerce, les Correspondans, c'eft-à-dire les étrangers avec lefquels on eft en liaifon & en commerce d'affaires. Ce nom n'eft point impropre, & l'ufage ne l'a point adopté fans fondement. Ce nom intéreffant annonce une liaifon qui n'eft pas feulement établie fur des intérêts réciproques, mais qui tient auffi à une infinité de bonnes qualités, qui eft appuyée fur la vertu ; une liaison qu'on ne fe rappelle qu'avec plaifir & dont on ne parle qu'avec éloge, qui doit être cultivée comme l'amitié, qui lui reffemble infiniment, & en exige prefque tous les devoirs. Cette liaison n'eft point telle qu'elle doit être, elle eft imparfaite, fi on la renferme dans les bornes étroites qu'exigent rigoureufement les affaires de commerce. L'intérêt même du commerce, le bien des affaires le bien des affaires, demande que le fentiment accompagne la correfpondance, & que le Correspondant montre la même attention, les mêmes foins, la même activité & le même zele dans toutes les occafions où il ne peut être queftion de fervices lucratifs pour lui, & ces occafions fe préfentent fouvent. Le choix d'un Correfpondant exige donc autant de foin que celui d'un ami ordinaire, & peut-être encore davantage, fi l'on fait attention qu'on confie fouvent à fon Correfpondant fes intérêts les plus chers, fon honneur & fa fortune : & il eft rare que dans l'ufage ordinaire de l'amitié, on mette de fi grands intérêts entre les mains d'un ami. La correfpondance, cette liaifon d'affaires formée par un bon choix, fera accompagnée d'une amitié d'autant plus folide, qu'elle eft

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