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chaque individu; la perte d'un temps confidérable pour des formalités inupour tiles, & pour des exploits de pure fantaisie; les voleries & les rapines de la part des petits Magiftrats de ces petites républiques; des rivalités, des haines, des guerres ouvertes contre quiconque eft affez hardi pour avoir plus d'habileté & plus d'induftrie qu'un autre. Tel eft le fpectacle que ces Corps offrent ordinairement quand on les voit de près : ils font tous animés d'un certain efprit de ligue & de monopole, par lequel ils tendent à refferrer entre le moindre nombre poffible de perfonnes, les avantages qui naiffent de leur commerce.

L'examen qu'on fait fubir aux apprentifs se réduit pour l'ordinaire à un tribut qu'on exige d'eux; delà, quelqu'habile que foit un citoyen, s'il a le malheur d'être pauvre, il fe voit forcé ou à quitter fa patrie, ou à embrasfer une autre profeffion pour laquelle fouvent il n'eft point fait; d'ailleurs chacun fait bien que cet examen ne garantit pas le public d'avoir souvent de très-mauvais ouvriers approuvés par ces maîtrises; on en fait par-tout la trifte expérience; ce que je dis de l'habileté peut s'étendre auffi à la bonne-foi, que les hommes traitent à-peu-près de la même maniere. Soit que les ouvriers foient réunis en corps, ou qu'ils foient dégagés de toute fujétion, bientôt l'appât du gain fera plus fort chez eux que tous les principes de la morale.

A entendre ces politiques, le feul effet qu'on puiffe attribuer à ces Corps; eft de diminuer le nombre des vendeurs dans l'intérieur d'un Etat, & conféquemment de faire hauffer le prix des marchandifes, d'en empêcher la vente, de mettre un frein à l'activité de l'induftrie, & de diminuer par-là même la réproduction annuelle.

Ils conviennent pourtant qu'il eft un feul art qu'on ne doit pas laiffer entiérement libre, c'est celui des apothicaires. Ce feroit trop expofer la fanté du peuple que de n'affujettir cet art à aucune regle. Mais ce n'eft point à l'économie politique, difent-ils, c'eft à la fage médecine à régler ce point effentiel, auffi-bien qu'à fixer le nombre des pharmaciens.

Ils avouent encore que, quoique l'orfévrerie, la draperie, la tannerie ne puiffent bien profpérer dans un Etat, qu'en jouiffant d'une liberté pleine & entiere; on doit cependant les obliger à n'appofer la marque de la nation, que fur l'or & l'argent du vrai titre, & fur les draps & les cuirs préparés & fabriqués conformément aux loix & aux regles prefcrites.

Les anciens privileges des Corps d'artifans, ajoutent-ils, les dettes dont très-fouvent ces Corps fe trouvent furchargés, font de très-petits objets peu dignes d'attention, & des inconvéniens auxquels une fage politique peu facilement remédier. Si ces Corps paient quelqu'impôt particulier, il fera de même très-facile de trouver un autre fond, fur lequel on pourra le lever d'une maniere moins nuifible. Qu'on laiffe à chacun un champ libre & vafte pour exercer fon induftrie fur l'objet qu'il aimera le mieux; que le Législateur laiffe multiplier le nombre des vendeurs dans toutes les claffes, Tome XIV.

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& bientôt l'émulation & le défir d'une vie plus commode, réveilleront les efprits; les nourrices du peuple deviendront plus induftrieufes & plus actives, tous les arts fe perfectionneront, les prix baifferont & fe mettront au niveau convenable. L'abondance fe répandra par-tout où la concurrence, sa compagne inféparable, lui fervira de guide: tout comme un arbre que l'art a gêné par des liens, & rendu efclave dans ces lieux ftériles que nous nommons jardins, languit & végete avec peine, tant que ces attaches funeftes empêchent la circulation de cette humeur qui lui donne la vie; mais fitôt qu'il eft dégagé de ces entraves, l'ame vivifiante fe répand dans le tronc & dans les branches; on voit reverdir les feuilles; le fuc nourricier circule avec liberté, & ce même arbre auparavant rabougri, végete avec aifans'éleve en grandiffant vers le ciel, pour récompenfer par fes fruits la fage main qui a brisé ses chaînes; de même dans la fociété tout y reprend haleine & vigueur; tout s'y rechauffe, lorfque le défir d'améliorer fon fort ne rencontre point d'obftacle; qu'il peut prendre fon effor du côté qu'il veut difpofer de lui-même, fans que rien le retienne, & fans qu'aucune crainte éteigne fon ardeur.

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Si on y réfléchit bien, on trouvera qu'en général l'acheteur juge toujours du prix des chofes avec moins de paffion & plus d'équité que le vendeur; il arrivera donc qu'un vendeur mal-adroit ou injufte fe verra délaiffé, & n'ayant plus de profit à faire, parce qu'il n'a point de débit, fera enfin contraint de devenir raisonnable, ou de quitter fa profeffion. Les économistes concluent que les Corps des artifans ou des négocians ne fervant pas à produire les utiles effets qu'on avoit efpéré de leur établiffement, leur existence au contraire ne tendant qu'à diminuer la réproduction annuelle & à expofer la nation à la difette, leur abolition feroit un fervice rendu au public & un moyen d'augmenter utilement le nombre des vendeurs & l'abondance.

Les défenfeurs des réglemens ne fe laiffent point féduire par ces belles Spéculations. En convenant des abus qui fe font gliffés dans les différens Corps des marchands & artisans, en convenant que leurs ftatuts font vicieux en plufieurs points, comme toutes les inftitutions humaines, ils penfent qu'il vaut mieux s'appliquer à réprimer les abus & à corriger les vices des réglemens, qu'à livrer tous les arts & les métiers à une anarchie qui n'auroit aucun des bons effets qu'on lui attribue gratuitement. On avance, fans preuves, que l'établiffement des Corps des marchands a étouffé l'induftrie & l'émulation. C'eft au contraire depuis cette époque que plufieurs arts fe font perfectionnés, & que les manufactures ont fleuri. Jamais les réglemens n'ont gêné l'induftrie & les nouvelles inventions au point qu'on le prétend. On a toujours favorifé les auteurs des nouvelles découvertes, & l'activité du génie a toujours été plutôt excitée que réprimée. La médiocrité de quelques manufactures a une autre caufe que les réglemens & les taxes. Il faut qu'il y ait des taxes & des impôts; ils ne font exceffifs que lorsqu'ils excedent les befoins réels de l'Etat, & que leur produit eft

employé à de vaines dépenfes. Les taxes qu'on leve fur les Corps des marchands & des artifans, font payées par le public riche & aifé auquel ils vendent les fruits de leur induftrie; elles tombent donc fur le luxe, & font moins onéreuses qu'on ne penfe pour le peuple. Du refte on peut modérer les frais d'apprentiffage & de réception, & c'eft ce qu'on a fait en France par les derniers édits concernant les jurandes & maîtrises. Une bonne police réprimera, quand elle le voudra, l'efprit de ligue & de monopole qui anime trop fouvent ces différens corps : elle empêchera les fêtes, repas, feftins & autres dépenfes vaines qui confument un temps & un argent précieux. On fe plaint quelquefois que certaines profeffions font trop furchargées d'artifans; que feroit-ce fi chacun pouvoit y entrer librement fans aucune espece de formalité, fans apprentiffage, fans preuve d'habileté, fans frais de réception, &c.? Si malgré les réglemens, la fraude fe gliffe dans prefque tous les métiers, fur-tout dans ceux du luxe, que feroit-ce, s'ils n'avoient ni réglemens, ni infpecteurs, ni furveillans? & comment la police pourra-t-elle les furveiller, s'ils ne font affujettis à aucuns ftatuts? Nous ne voyons pas que ces corporations aient nui à la fortune des artistes habiles; & par conféquent on ne peut pas dire qu'elles foient un obftacle au défir naturel que chacun a d'améliorer fon fort. Elles tendent au contraire à garantir l'artisan qui excelle, des mauvaises manœuvres, des fraudes, en un mot de tous les torts que pourroient lui faire les ouvriers médiocres ou mal intentionnés, ces intrus, ces gâte-mêtiers à qui la mauvaise-foi tient lieu de talent, parce qu'ils ne peuvent attirer les chalans que par l'appât d'un bon marché apparent, comme fi la mauvaise marchandise n'étoit pas toujours trop chere. Dès que l'on convient que quelques profeffions ne doivent pas être entiérement libres, on a mauvaise grace à vouloir que quelques autres le foient, parce que toutes intéreffent plus ou moins directement la vie, la fanté, & le bien-être du peuple, qu'une bonne adminiftration ne doit jamais livrer en aucune façon à la merci de quelques particuliers. On veut affujettir l'art des apothicaires à certaines regles, & l'on voudroit que la profeffion des boulangers fût libre, comme s'il n'étoit pas auffi effentiel de fe nourrir de bon pain quand on est fain, que de prendre de bons remedes quand on eft malade. C'est une contradiction palpable. Enfin il fuffit que ces maîtrises & ces corps foient établis, & que la nation y foit accoutumée, pour qu'on ne puiffe pas les détruire fans rifque, & fans des inconvéniens peut-être encore plus grands que les abus dont on fe plaint. Nous ne répétérons point à ce fujet ce que nous avons dit aux mots, ABOLITION ABROGATION, APPRENTISSAGE; nous y renvoyons le lecteur, en le priant de bien confidérer qu'il y a plufieurs chofes qu'il n'eft peut-être pas à propos d'établir, & qu'il feroit encore dangereux d'abolir lorfqu'elles font établies.

CORPS CATHOLIQUE ET CORPS ÉVANGÉLIQUE. Voyez ÉVANGÉLIQUE.

CORPS GERMANIQUE.

Voyez GERMANIQUE.

CORPS HELVÉTIQUE.

Voyez HELVÉTIQUE.

CORRECTION, f. f.

LORSQU'UN homme que nous n'avons point offensé nous attaque ou nous bleffe, nous jugeons qu'il eft ennemi de notre bonheur, ou qu'il le compte pour rien, & qu'il peut nous facrifier à fes caprices ou à fes fantaifies lors même qu'il ne nous fait point de mal, nous en craignons de fa part.

Cet état de crainte eft pénible, & nous nous efforçons d'en fortir changeant cette difpofition à nous faire du mal, que nous fuppofons dans l'homme qui nous en a fait de deffein prémédité, ou par infenfibilité pour nous.

Il eft prouvé que l'homme a naturellement de la répugnance à faire du mal à fes femblables, qu'il eft naturellement leur ami, qu'il défire de procurer leur bonheur, & qu'il ne fait que le mal néceffaire, pour n'être pas malheureux lui-même. Ainfi, en ne fuivant que les infpirations de la nature, nous nous efforçons de changer la difpofition de l'homme qui nous a fait du mal, en lui rendant fervice, en lui témoignant de l'amitié. Si nos efforts pour nous concilier fon amitié font inutiles, nous jugeons qu'un intérêt plus puiffant l'a porté à nous faire du mal; alors nous fâchons d'arrêter l'effet de fa mauvaise volonté, ou de fon indifférence, en lui faifant fentir que nous pouvons troubler fon bonheur. Nous voulons donc qu'il éprouve du mal, & qu'il fache que c'eft nous qui le caufons, & qu'il ne l'éprouve que parce qu'il a le premier attaqué notre bonheur.

Le défir que nous avons de faire du mal à cet homme n'eft point un fentiment de haine, c'est un défir de faire du mal à un homme qui nous en a fait, fans que nous l'ayons offenfé, qui défire encore de nous en faire, & qui ne peut ceffer de le défirer, que par la crainte d'éprouver de notre part le mal qu'il nous fait.

L'homme qui devient l'objet de ce défir, eft un ennemi toujours armé, contre lequel il nous tient fans ceffe dans un état de défense. Ce défir n'a point pour objet le paffé, mais l'avenir; la, nature ne le fait point naître dans le cœur de l'homme pour rendre le mal qu'on lui a fait, mais pour empêcher qu'on ne lui en faffe.

Le mal que nous voulons faire à celui qui nous en a fait, n'eft destiné qu'à changer la difpofition dans laquelle nous fommes fûrs qu'il eft encore de nous en faire, & dont nous ne pouvons éviter les effets qu'en lui faisant nous-mêmes du mal, puisque fa mauvaise volonté fubfifte; quoique, pour la changer, nous ayons employé tous les moyens que la raifon & la bienfaifance nous fourniffoient.

Lors même que la nature autorife ce défir, elle condamne comme un fentiment inhumain & barbare, la fatisfaction que l'homme éprouve en rendant le mal qu'on lui a fait

Le défir de faire du mal à celui qui nous en a fait, lorfqu'il eft renfermé dans les bornes que la nature lui prefcrit, eft donc bien différent de la vengeance qui n'a pour objet que de prouver notre fupériorité sur celui qui nous a offenfé. Ce dernier fentiment eft inhumain & bas, condamné par la raison, défavoué & puni par la nature.

Tous les peuples ont cru que le défir de punir ne devoit poursuivre que l'homme dont le cœur étoit porté au mal, qui le commettoit de deffein prémédité, fans fcrupule, & fans remords. Chez tous les peuples, les fupplians devenoient des hommes facrés, c'étoient des amis, des freres réconciliés; leur qualité feule de fuppliant éteignoit la haine, & effaçoit jufqu'au fouvenir du mal qu'on en avoit reçu, & le vindicatif implacable pour le fuppliant, n'excitoit pas moins d'horreur que le barbare qui violoit les loix de l'humanité. Dans ces fiecles que leur antiquité nous fait regarder comme barbares, Jupiter étoit le protecteur des fupplians, comme des hôtes, & les prieres étoient filles de Jupiter, elles excitoient fa colere contre le vindicatif qu'elles ne touchoient pas, elles attiroient fur lui la colere & la vengeance des dieux. Toute l'hiftoire ancienne nous représente la qualité de fuppliant comme un titre refpectable & facré.

Cette clémence naturelle eft un modérateur que la nature donne au défir que l'homme a de punir celui qui lui fait du mal. C'est elle qui a partout élevé des afyles, & qui les a rendus inviolables pour tous les malfaiteurs involontaires, pour tous ceux qui avoient commis le crime, féduits ou entraînés par la fureur momentanée d'une paffion; mais dont le cœur étoit déchiré par les remords,

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