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Qu'un homme fe précipite dans les circonftances où le fit (à ce qu'on nous affure) M. Curtius parmi des idolâtres pour combler un abîme & rendre la République éternelle (a), il donnera l'exemple d'une magnanimité au-deffus de tous les éloges, parce qu'il ne cherchera qu'à être utile à fa patrie, en obéiffant à l'exemple de fes faux Dieux. Chacun doit être jugé par fa confcience.

Qu'un Général, pour le falut de fon armée, fe dévoue à la mort, comme firent les deux Decius, pere & fils (b), il en faudra, par la même raison, porter le même jugement.

Qu'un Citoyen foit dans la même difpofition où étoit Sthenor, qui demandoit comme une grace à Pompée, qu'il pût sauver par fa mort la ville des Mammertins, il méritera des louanges.

Que tout membre d'une fociété civile pense enfin comme Euftache de Saint-Pierre, Jean d'Aire, Jacques Wiufant, Pierre fon frere, & deux autres Citoyens de Calais, qui, dans la reddition de cette place, s'offrirent à être les victimes du reffentiment d'Edouard III, Roi d'Angleterre, pour le falut du refte du peuple, on ne peut rien ajouter à la beauté de ce fentiment. L'hiftoire ne nous a confervé le nom que de quatre de ces généreux habitans de Calais; mais fi le temps a fait périr celui des deux autres, il n'a ni éteint le fouvenir, ni effacé la gloire de leur action, elle eft digne d'admiration, & a mérité à ceux qui l'ont faite, les éloges de la poftérité.

Dans ces occafions-là, l'objet qu'on fe propose n'eft pas de mourir, c'est de fauver la vie à fes compatriotes.

Si un homme fe donne en ôtage pour fon Prince, ou s'il fe rend prifonnier à la place de fon ami, & qu'il arrive qu'un Souverain cruel, un vainqueur barbare le faffe périr, parce que le Prince ne tient pas fa parole, ou que l'ami ne fe représente point, l'infidélité des parjures fera punie par la mort des innocens; mais l'action de l'ôtage du prifonnier méritera des louanges. La fin qu'il s'étoit propofée n'étoit pas de périr, c'étoir de fervir l'Etat, d'obéir au Prince, de faire plaifir à un ami. Il n'eft point de tendreffe plus parfaite (difent les livres faints), que celle qui fait facrifier fa vie à fes amis (c).

Lorsqu'il s'agit de donner fon fang pour le bien de la fociété ou pour le fervice du Prince qui en a les droits, & qui la repréfente éminemment, aucun Citoyen ne doit balancer un moment à expofer fa vie. Alors ce

(a) En 391 de la fondation de Rome. Varro, Lib. IV. de Ling. Latin. Tite-Live, I Décade, Liv. VII.

(b) Dans le cinquieme fiecle de la fondation de Rome. Voyez leur hiftoire dans la premiere Décade de Tite-Live; celle du pere dans le huitieme Livre, & celle du fils dans le dixieme.

(c) Majorem charitatem nemo habet ut animam fuam ponat quis pro amicis fuis.

n'eft point bleffer la raison qui prefcrit à chaque individu fa Confervation, c'eft fuivre la vertu, qui nous ordonne de faire le facrifice de notre vie à notre patrie; c'eft fe conformer au deffein, au plan, à la volonté du Créateur, qui nous a mis dans la fubordination & dans la dépendance.

Ces dévouemens qui font encore aujourd'hui en ufage dans une partie de l'Inde Méridionale & de la Tartarie, tous ces ufages infames dont j'ai parlé, où l'on fait une montre de fa fidélité & de fon courage, aussi vaine en foi qu'inutile à la perfonne qui en eft l'objet, offenfent la

nature.

pas

La mort qu'on fe donne volontairement, parce qu'on ne peut furvivre à un opprobre reçu, eft un violement de la loi naturelle. Les hommes qui fe tuent, ne le peuvent pas faire pour éviter un plus grand mal, puisqu'au jugement de la nature, il n'y en a point de plus grand que la mort; mais l'ame toute occupée de l'action qu'elle va faire, du motif qui la détermine, du mal qu'elle va éviter, ne voit pas proprement la mort, par ce que la paffion fait fentir & empêche de voir. Qu'on ne croie donc que fe donner la mort volontairement foit la marque d'un grand courage, ce n'eft que la marque d'une pufillanimité qui fe dérobe à des maux qu'elle n'eft pas capable de fupporter. Fondés fur la maxime toujours fauffe quand elle n'eft point modifiée, qu'une action eft grande & généreuse, à proportion qu'elle coûte plus d'efforts, quelques hommes fameux dans l'hiftoire, ont cru, en fe donnant la mort, mériter les éloges de la postérité, & ont en effet trouvé des admirateurs dans les fiecles fuivans. Mais, pour enfoncer le poignard dans le fein d'un pere, il en coûteroit fans doute au parricide affaffin, de terribles combats & des efforts bien violens avant qu'il eut impofé filence à la voix de la nature. Or ces combats & ces efforts feroient-ils de ce crime affreux une action méritoire? Lutter contre les fentimens n'eft une vertu que quand ces fentimens font vicieux. Recevoir la mort avec intrépidité, c'eft courage; fe la donner c'est lâcheté. On ne fe la donne que pour fe délivrer d'une peine qu'on regarde comme infupportable. On fe tue, parce qu'on eft las de fouffrir. La violence du remede auquel fe réfout un homme qui fouffre, fi ce n'eft lorsqu'il s'agit de fe conferver la vie, prouve plutôt l'excès de fon impatience, que la grandeur de fon courage. L'idée de force par laquelle on prétend la relever, cache une lâcheté, & l'on ne viole ainfi les loix. de la nature, que pour chercher dans la mort un azile contre un phantome que notre imagination nous préfente, & que pour ôter de devant les yeux un objet que notre foibleffe ne peut fouffrir.

La mort volontaire qu'on fe donne, parce qu'on craint de recevoir une offense, est un renversement des regles de la raison. Elle nous montre, cette raison, que nous devons faire tous nos efforts pour conferver notre honneur; mais elle ne nous enfeigne pas de nous tuer, pour éviter un crime auquel nous pouvons ne prendre aucune part. La brutalité des hommes

ne

ne fauroit enlever fon innocence à un cœur qui fait la défendre. On peut commettre un crime en nous, fans le commettre avec nous.

L'homicide volontaire n'eft autre chofe qu'une ignorance du prix de la vie, un obfcurciffement de l'efprit, une application violente à quelqu'objet de paffion, un crime horrible. Il n'y a qu'un feul cas où la raifon toute feule femble ne condamner pas fi abfolument l'homicide de foi-même c'eft lorsqu'un homme pourfuivi par un ennemi barbare qui veut lui ôter la vie & la lui faire perdre dans des fupplices terribles, le tue dans l'inftant où il croit qu'il lui eft impoffible d'échapper à fon ennemi. La crainte des tourmens, l'horreur de la main ignominieufe d'un bourreau, la vue d'un danger inévitable qui ôte à la raison une partie de fa liberté, toutes ces circonftances réunies excufent en quelque façon celui qui, dans ce caslà, eft homicide de foi-même, parce qu'il a moins pour objet de se donner la mort, que d'en éviter une plus infame & plus douloureufe.

L'ame & le corps font liés ensemble par un naud inconnu & incompréhensible, qui fait que les impreffions de l'un paffent à l'autre, fans qu'on puiffe concevoir le moyen de cette communication entre des natures fi différentes. Les maladies du corps paffent à l'efprit, l'affligent, l'inquietent, le travaillent, & lui caufent de la douleur & de la trifteffe. Nous devons donc nous appliquer à conferver notre fanté.

Les bonnes mœurs produifent la fanté, & l'intempérance change, en poifons mortels, les alimens destinés à conferver la vie. Les plaifirs, pris fans modération, abregent plus les jours des hommes, que les remedes ne peuvent les prolonger; & les pauvres font moins fouvent malades, faute de nourriture, , que les riches ne le deviennent pour en prendre trop. Les alimens qui flattent trop le goût & qui font manger au-delà du besoin empoisonnent au-lieu de nourrir. Les remedes font eux-mêmes de vérita bles maux qui ruinent la fanté, & dont il ne faut fe fervir que dans les preffans befoins. Le grand remede qui eft toujours innocent & toujours d'un ufage utile, c'eft la fobriété, c'eft la tempérance dans tous les plaifirs, c'est l'exercice du corps, par où l'on fait un fang doux & tempéré, & par où l'on diffipe toutes les humeurs fuperflues.

Nous devons conferver à notre corps fa force, mais d'une maniere proportionnée à l'usage que nous fommes obligés d'en faire. Nous ne devons le conferver, ni contre l'ordre de Dieu, ni aux dépens des autres hommes, & fouvent il faut l'expofer pour le bien de l'Etat. Tel eft le devoir de ceux qui ont embraffé la profeffion des armes.

La plupart des travaux abfolument néceffaires à la Confervation de la fociété, mettent la vie d'une infinité de perfonnes en danger, avancent le temps de la vieilleffe & celui même de la mort; mais du péril, & même de la perte de la vie des hommes qui font ces travaux, réfulte l'avantage de la fociété, qui fans cela manqueroit des chofes néceffaires à fon entretien. Ceux qui, dans la vue d'être utiles aux autres, embraffent un genre de Tome XIV. C

vie, par lequel leurs jours feront vraisemblablement avancés, font un choix non-feulement permis, mais beaucoup plus honnête que celui de ces perfonnes qui attendent une vieilleffe avancée dans une oifiveté contraire au bien commun.

CONSERVATION DE LYON.

Il y a des Juges établis à Lyon, pour y exercer la jurisdiction connue

fous le nom de Confervation.

La Ville de Lyon a, de tout temps, été une des plus commerçantes du Royaume. Ses foires ont toujours été très-célébres. C'eft fur-tout dans cette Ville qu'un Juge-Confervateur des privileges des foires, étoit néceffaire : auffi y en a-t-il toujours eu, & c'eft ce qui a fait donner le nom de Confervation à la jurifdiction de ces Officiers.

Ils formoient, autrefois, un Corps & un Tribunal féparés. Ce n'eft qu'en 1665, que les offices de Juges-Confervateurs, ont été réunis au CorpsConfulaire de Lyon, lequel eft compofé du Prévôt des Marchands, des Echevins en charge, & de fix Affeffeurs, avec un Avocat & un Procureur du Roi, & un Greffier.

Pour faire connoître leurs devoirs & leurs fonctions, il fuffit de rapporter ici la fubftance de l'édit de Juillet 1669, enregistré au Parlement le 13 Août de la même année, concernant la jurifdiction de la Confervation de Lyon.

Selon cet édit les Juges de la Confervation connoiffent, privativement à tous autres, de tous procès mûs, ou à mouvoir, pour le fait du négoce, & commerce de marchandises, foit en temps de foires, ou hors de foires, en matiere civile & criminelle; de toutes négociations faites pour raifon de marchandises; de toutes fociétés, commiffions, promeffes, obligations, lettres de change, & toutes autres affaires entre marchands de quelque qualité & condition qu'ils foient, quand même il n'y auroit qu'une des parties qui fût marchand, ou négociant.

Tous ceux qui vendent des marchandises, qui en achetent pour les revendre, ou qui tiennent des livres de marchands, ou qui ftipulent des paiemens en temps de foire, font, pour ces objets, jufticiables de la Con

fervation.

tes,

Ce Tribunal connoit pareillement de toutes lettres de répit, banquerou& faillites des marchands, négocians, & manufacturiers des chofes appartenantes au négoce, de quelque nature qu'elles foient : & en cas de fraude, il peut procéder extraordinairement & criminellement contre les faillis, & leurs complices, & les punir fuivant la rigueur des ordonnances. C'eft aux Juges-Confervateurs à fe tranfporter dans les maifons & domiciles des marchands qui ont failli avec fraude, à procéder à l'appolition

des fcellés, confection d'inventaires, ventes judiciaires de leurs meubles & effets, même de leurs immeubles par faifies, criées, ventes, & adjudications par décret, & à la distribution des deniers, qui en proviennent, entre les créanciers.

Ils jugent fouverainement, & en dernier reffort, jufqu'à la fomme de cinq cents livres. A l'égard des fommes excédentes, leurs fentences font exécutées provifionnellement, non-obftant l'appel, lequel s'interjette au Parlement de Paris.

Leurs jugemens, foit définitifs, foit provifionnels, font exécutoires dans tout le Royaume fans vifa, ni pareatis, de même que s'ils étoient fcellés du grand fceau.

Les parties plaident elles-mêmes au Tribunal de la Confervation, & il eft défendu, par l'ordonnance d'Avril 1667, de s'y fervir du miniftere d'Avocats, ni de Procureurs excepté dans les caufes où il s'agit de peines afflictives, d'appofitions de fcellés, de confections d'inventaires, de faifies, & de ventes, &c.

Le pouvoir, & la jurisdiction de la Conservation, s'étend par tout le Royaume, & l'on peut y attirer tous les étrangers même, qui trafiquent aux foires.

On ne peut évoquer de cette jurifdiction, pour quelque caufe & quelque privilege que ce puiffe être.

La police de la Ville de Lyon lui eft attribuée. Elle a droit de nommer un Lieutenant-Général de police, & un Procureur du Roi, lequel devient fubftitut de celui de la Confervation.

C'est à elle auffi à nommer, tous les trois ans, un Officier, de probité reconnue, pour faire, en fon fiege, les fonctions de Procureur du Roi gratuitement, & fans frais. Les Affeffeurs font de même à fa nomination.

Comme ces Officiers ne font pas obligés d'être gradués, lorfqu'ils ont à juger quelques-unes des caufes où le miniftere d'un Avocat, ou Procureur peut être admis, comme on l'a expliqué plus haut, ils font tenus d'appeller un Officier de la Sénéchauffée, & Siege Préfidial, pour les juger. Mais le Prévôt des Marchands n'en conferve pas moins toujours le premier rang à l'audience.

Ils portent la robe confulaire lorfqu'ils font en fonction, & dans les cérémonies publiques.

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