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nulles, mais elles font puniffables, felon qu'elles bleffent les défenses & l'efprit des loix.

Enfin la validité des Conventions exige encore que le confentement foit mutuel & réciproque, puifque les conventions ne peuvent fe former que par le concours, l'accord ou l'union de la volonté de plufieurs perfonnes. Dans toute convention, il est néceffaire que la chofe ou l'action, à laquelle on s'engage, ne foit point au-deffus de nos forces. Perfonne ne peut donc s'engager à l'impoffible reconnu pour tel. Cette maxime eft dans la bouche de tout le monde ; & quiconque s'engage à l'impoffible, reconnu tel, n'eft pas furement dans fon bon fens, puifque fachant bien qu'il ne fera pas en état de faire une chofe, il ne laiffe pas de la vouloir faire.

Que fi la chofe n'étoit pas impoffible lorsque l'on promettoit, mais qu'elle devienne enfuite telle après l'engagement, fans qu'il y ait de la faute du contractant, la Convention eft nulle, fi la chofe eft encore dans fon entier; mais lorsque l'un des contractans a déjà exécuté quelque chofe, il faut lui rendre ou ce qu'il a donné, ou l'équivalent.

Il faut bien prendre garde à la restriction, fans qu'il y ait de la faute de la part du contractant; car c'eft fur cette regle qu'il faut décider les queftions que l'on agite au fujet des débiteurs infolvables.

Il n'eft pas moins certain, que l'on ne fauroit traiter valablement au fujet de ce qui appartient à autrui, & qui n'eft point à notre difpofition. Car dans toute promeffe & dans toute Convention, le promettant ou le contractant cede à autrui le droit qu'il avoit fur quelque chofe; or ce qui appartient à autrui, n'étant pas au pouvoir de celui qui promet ou contracte, il ne peut pas en céder le droit; parce que perfonne ne donne ce qu'il

n'a pas.

Au reste, il faut auffi remarquer qu'il y a des engagemens abfolus, & des engagemens conditionnels, c'est-à-dire, que l'on s'engage, ou abfolument & fans réserve, ou en forte que l'effet de la Convention dépend de quelque événement.

En effet, comme il eft affez ordinaire dans les Conventions, qu'on prévoie des événemens qui pourroient faire quelque changement où l'on veut pourvoir, on regle ce qui fera fait fi ces cas arrivent, & c'eft ce qui fe fait par le moyen des conditions.

Les fignes dont on fe fert pour marquer le confentement qu'on donne dans les Conventions, font 1. des geftes, dont on fe fert auffi dans le commerce de la vie, lorsqu'on n'entend pas la langue les uns des autres : 29. les paroles entendues de part & d'autre : 3°. les témoins, à la mémoire & à la confcience defquels on en appelleroit en cas que l'une des parties niât fes engagemens : 4°. rédiger les articles de la Convention par écrit. La premiere efpece de fignes eft imparfaite la feconde n'eft guere füre, foit parce qu'on peut aifément oublier ce qu'on a promis de faire; foit parce que la perfidie des hommes rendroit la plupart des Conventions

inutiles. Les témoins font un meilleur garant des Conventions: cependant il n'eft pas encore bien affuré, puifque la fureté des engagemens dépendroit de leur mémoire & de leur bonne-foi, deux articles fujets cuxmêmes à caution. Le plus fûr donc c'eft de mettre les articles des engagemens par écrit, & de les faire figner par les parties contractantes & par des témoins. On ne fauroit jamais prendre affez de précautions, pour la fureté des engagemens, & pour ôter toute occafion aux parties contractantes de fe nier réciproquement ce qu'elles fe font promises religieufement. Les précautions, il eft vrai, ne font pas un grand honneur à l'humanité, car comme dit Séneque, adhibentur ab utraque parte teftes ille per tabulas plurium nomina, interpofitis parariis, facit....... O turpem humano generi fraudis ac nequitiæ publicæ confeffionem! annulis noftris, plufquam animis creditur....... in quid imprimunt figna? nempe ne ille neget accepiffe fe quod accepit. La tranquillité publique & particuliere exige néceffairement ces attentions. Perfée, prêtant un jour de l'argent à quelqu'un de fes amis, lui fit faire une bonne obligation dans les formes. L'ami, furpris que Perfée prêt tant de précautions, lui dit: » quoi! vous » voulez prendre avec moi d'une maniere fi rigoureufe toutes les précau» tions qu'exigent les loix : oui, répondit Perfée, afin que vous me ren> diez mon argent de bonne grace, & que je ne fois pas obligé de le re» demander en juftice. " Aujourd'hui ces fignes littéraires font fi effentiels dans les Conventions , que fi un créancier rend à fon débiteur le billet d'obligation, ou qu'il le déchire au vu & au fu de celui-ci, il est cenfé lui avoir remis la dette.

CONVERSATION, f. f.

LA Converfation peut être regardée comme un excellent moyen d'ac

quérir des connoiffances précises & nettes des choses. Quand on s'entretient familiérement avec un ami éclairé, on a fon fecours tout prêt pour nous expliquer tout ce qui peut fembler obscur, foit dans fes idées, foit dans fes expreffions, & pour nous bien mettre au fait de toute fa pensée : & par ce moyen on court beaucoup moins de rifque de fe méprendre fur le fens & le but de fes difcours, qu'en lifant des ouvrages où ce qui eft réellement obscur, peut à jamais demeurer tel fans espérance de remede; l'auteur n'étant pas à portée d'être confulté pour nous expliquer ce qu'il

a voulu dire.

Quand nous parlons de quelque fujet avec un ami, rien n'empêche que nous ne lui propofions nos doutes & nos objections contre fes fentimens, & que tout de fuite il ne les leve & n'y réponde: un mot de fa bouche peut, comme un trait de lumiere, diffiper tous les nuages de nos diffi

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Cultés. Mais fi dans la lecture il nous naît quelque doute, ou s'il fe préfente à nous quelque objection à laquelle l'auteur n'ait pas répondu, nous fommes contraints de nous paffer d'éclairciffement : les livres ne répondent point.

Non-feulement la Converfation diffipe aifément toutes les difficultés que le fujet de l'entretien peut faire naître; mais fouvent elle remédie encore à celles que nous avons trouvées dans les livres, ou dans nos études particulieres. On fera quelquefois long-temps appliqué à la difcuffion d'un point difficile, & cela pour n'avoir pas pris d'abord la bonne route : & nonfeulement on travaille fans fruit, mais une premiere erreur en entraîne une longue fuite d'autres, parce qu'on n'a pas été redreffé dès le commencement. Mais fi vous marquez cette difficulté, lorfqu'elle fe présente à votre efprit, & que vous la propofiez à un ami intelligent, peut-être ce qu'il vous dira, la fera-t-il difparoître en un clin-d'œil, & vous vous sentirez comme foulagé d'un pefant fardeau. Peut-être envifagera-t-il l'objet fous un autre point de vue que vous; peut-être vous le représentera-t-il dans un jour tout différent ; & vous vous verrez avec une agréable surprise, conduit tout d'un coup à la lumiere & à la vérité.

La Conversation met au jour ce qui étoit caché & comme enfeveli dans nos ames. Par les incidens qu'elle amene & la variété des sujets auxquels elle donne occafion de penser, d'anciennes & d'utiles notions fe réveillent. On développe, on déploie les tréfors des connoiffances, dont la lecture ou les obfervations nous avoient enrichis. L'entretien mutuel aiguife l'efprit, & l'engage à communiquer fes lumieres, en même temps qu'il lui en feigne la méthode la plus propre à les rendre utiles au genre humain. Un homme favant, mais qui ne parle point, reffemble à l'avare qui ne vit que pour lui feul.

Dans une Converfation libre, nos facultés intellectuelles fe développent mieux, & notre ame agit avec une double vigueur dans la recherche de la vérité. La Converfation donne une certaine vivacité & pénétration, que l'on n'a pas également dans la retraite & dans la folitude. Dans celle-ci, on peut avoir l'efprit ferein, mais rarement l'aura-t-on brillant, quand même on liroit, pour s'animer, les ouvrages des auteurs les plus remplis de feu & d'imagination. Dans un entretien libre de nouvelles pensées s'offrent fouvent inopinément à l'ame; & l'on voit partir & prendre feu des étincelles de vérité, qu'une lecture calme & folitaire n'auroit jamais excitées. Cet avantage eft réciproque, & il en eft comme de deux cailloux, qui par leur collifion produifent un feu, que ces fubftances froides & dures n'auroient jamais fait naître dans un état de repos.

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Un grand bien encore qui réfulte d'une Converfation franche & ouverte avec des perfonnes d'efprit & de favoir, c'eft qu'on peut propofer fes opinions particulieres & fes propres idées à leur jugement, & apprendre ainfi d'une maniere tout à la fois plus courte & plus fûre, qu'on ne le pour

roit fans cela, ce qu'on penfera de nos fentimens; comment on pourra les recevoir; quelles difficultés on leur oppofera; quels défauts fe trouvent dans notre fyftême, & comment il faut nous y prendre pour corriger

nos erreurs.

Un autre grand bien que la Conversation nous procure, c'eft de nous donner la connoiffance des affaires & des hommes. Un homme qui paffe fes jours parmi les livres, peut raffembler dans fon cerveau une vafte quantité de notions; mais avec tout cela il pourra n'être qu'un pédant, caractere méprisable & méprifé. Quand on a été renfermé long-temps dans un cabinet de college, on contracte une forte de rouille & de moififfure, & l'on a dans toutes fes manieres, je ne fais quel air gauche & gêné. Mais voit-on du monde? peu-à-peu les manieres s'adouciffent; la moififfure & la rouille font place à cette douce & fine politeffe que donne la Conversation des honnêtes gens. Alors l'homme de cabinet devient homme de fociété, voisin agréable, ami de reffource; il apprend à revêtir ses penfées des plus belles couleurs, auffi-bien qu'à les mettre dans le jour le plus favorable; il produit fes fentimens avec avantage; il devient utile à la fociété, & il perfectionne la théorie par la pratique.

Mais pour tirer tous ces avantages de la Converfation, il faut fuivre les regles fuivantes.

1. Il faut faire choix de perfonnes plus inftruites que nous. La regle générale là-deffus eft de choisir ceux qui par leurs talens naturels & leur application à l'étude, ou par le favoir diftingué qu'ils ont acquis, ou par le génie particulier qu'ils font paroître pour tel art, telle science, paroiffent les plus capables de contribuer à nos progrès. Mais il faut avoir principalement égard à leur caractere & à leurs mœurs, de peur qu'en ne cherchant qu'à perfectionner l'efprit, le cœur ne fe corrompe, & que l'on ne tombe dans le vice ou dans l'irréligion.

2o. Il ne faut pas cependant s'imaginer que ce ne font que les favans qui puiffent nous inftruire. Paffez-vous quelque temps avec des enfans? parlez-leur felon leur portée : observez les faillies d'une raison naiffante : tâchez de diftinguer ce qui vient de la partie animale, & ce qui eft la production de l'ame ou de l'efprit. Examinez par quels degrés ils parviennent au libre usage de leurs facultés intellectuelles, & quels préjugés offulquent déjà ou menacent d'obfcurcir bientôt leur entendement. Vous rencontrez-vous avec des marchands, des gens de mer, des ouvriers, des payfans, &c. mettez-les fur les fujets de leurs profeffions, de leurs métiers; car chacun entend ou doit entendre mieux que vous ce qui fait l'objet de fon occupation particuliere.

3o. Il ne faut pas fe renfermer toujours dans une même forte de compagnie, compofée de gens du même parti & des mêmes fentimens, foit en matiere de fcience, foit en matiere de religion, foit en matieres civiles. Si l'on avoit eu le malheur de contracter de bonne heure quelque

préjugé, ce feroit le vrai moyen de nous y confirmer, que de ne fréquenter que des perfonnes qui penfent précisément comme nous. Une Converfation libre avec des hommes de pays différens, & de partis, de fentimens & d'ufages divers, eft extrêmement utile pour nous détromper de bien des faux jugemens que l'on avoit formés, & pour nous donner de plus juftes idées des choses.

4°. Il faut principalement prendre garde de tenir les paffions en bride dans la Conversation; fur-tout la colere, l'orgueil, la préfomption, &c. Dès que les paffions se mêlent de la Conversation, c'eft inutilement qu'on fe flatte d'en tirer quelqu'avantage.

5°. Il ne faut pas prendre plaifir à foutenir le pour & le contre, ni à faire parade d'efprit pour défendre ou attaquer tout indifféremment. Une logique qui n'enfeigneroit que cela mériteroit peu d'eftime. Un pareil caractere éloigne du but, au lieu d'y conduire, & eft un obftacle à la recherche impartiale de la vérité.

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6. N'apportez jamais la chaleur de l'efprit de parti dans une Converfation, qui doit être libre & deftinée à s'aider mutuellement dans la recherche du vrai. Ne vous permettez pas ces airs d'affurance & de confiance en vos propres opinions qui ferment la porte à l'admiffion de tout fentiment nouveau. Qu'une vive & conftante perfuafion de l'imperfection & de la foibleffe de vos lumieres, tienne toujours votre ame prête à recevoir les vérités qu'on pourra lui préfenter; & que vos amis aient lieu de fe convaincre, qu'il vous en coûte peu de prononcer ces paroles, qui font tant de peine à la plupart des hommes Je m'étois trompé.

78. Soyez toujours plus prêt à foupçonner de l'ignorance, du préjugé, ou de l'erreur chez vous-même, qu'à en taxer les autres ; & pour preuve de votre docilité, apprenez à fouffrir patiemment la contradiction. Qu'il ne vous en coûte pas de voir vos fentimens fortement combattus, furtout quand il s'agit de fujets douteux & fufceptibles de difpute entre des perfonnes raisonnables & vertueufes. Ecoutez tranquillement toutes les raifons du parti contraire; fans quoi vous donneriez lieu à ceux qui font préfens, de penfer que ce n'eft pas l'évidence de la vérité qui vous a fait embraffer votre opinion; mais quelque motif de pareffe, quelque préjugé chéri, ou bien l'attachement aveugle à un parti, dont vous ne voudriez pas abandonner les intérêts. Si vous n'avez donné votre acquiefcement qu'à des raisons folides, pourquoi en craindriez-vous l'examen ?

8°. Ayez des manieres ouvertes & obligeantes, quelles que foient les perfonnes avec qui vous converfez; & étudiez-vous à l'art de plaire par vos difcours, auffi-bien lorfque vous inftruirez les autres, que lorfqu'il s'agira de profiter de leurs inftructions; & pour le moins autant, quand vous combattez les fentimens d'autrui, que quand vous voudrez établir ou défendre les vôtres propres. Ce degré de politeffe ne s'acquerra jamais, fi l'on ne donne une grande attention aux regles que nous venons de prescrire.

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