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formées de deux plans inclinés vers le milieu de la rue, qui était occupé par le ruisseau. Le ruisseau de la rue du Bac, que Mme de Staël regrettait si fort même en face du splendide lac de Genève, restait encore visible pour les contemporains de Louis-Philippe. Par les fortes pluies, pour aller d'un côté de la rue à l'autre, il y avait donc un véritable torrent à traverser des industriels d'occasion jetaient une planche par-dessus et, moyennant un sou, aidaient les promeneurs à passer à pied sec. Carle Vernet a représenté cette scène populaire dans une de ses estampes, avec cette légende: Passez, payez. Dans le milieu de la rue, de distance en distance s'ouvrait une bouche d'égout recouverte d'une grille de fer, que souvent les lourdes voitures brisaient. Ailleurs la bouche d'égout se dressait comme l'entrée d'une cave, avec une herse qui ne touchait pas terre: si bien que des enfants, jouant au milieu de la rue, roulaient dans le précipice. Cette situation fut un peu améliorée par l'ingénieur PARTIOT (1830-1837).

Sur plusieurs ponts de Paris, il y avait encore des péages. Le canal Saint-Martin était alors à ciel ouvert, et les malfaiteurs, la nuit, pouvaient y jeter leurs victimes.

Ce Paris, si peuplé dans un espace si resserré, n'avait pas un square où les habitants pussent aller respirer un peu d'air pur dans les fortes chaleurs de l'été.

On ne buvait guère, à Paris, que l'eau de la Seine les provinciaux, qui n'y étaient pas habitués comme les Parisiens, lui payaient toujours leur tribut par quelque indisposition, plus ou moins grave. Il n'était pas question alors, dans les maisons, d'avoir de l'eau, pas plus que du gaz, à tous les étages on n'avait que l'eau qu'on puisait dans les anciens puits ou à quelques bornes-fontaines, ou celle qu'apportaient dans les ménages les porteurs d'eau. De ceux-ci les plus fortunés avaient un cheval ou un âne attelé à un tonneau porté sur deux roues, et allaient de maison en maison. Tous les Parisiens d'un certain âge se rappellent avoir vu les braves Auvergnats 1, car presque tous les por

1. L'Auvergnat porteur d'eau, marchand de charbon et de margotins, faiseur de commissions, était un type cher au roman, à la chanson, au vaudeville du temps: voyez le Misanthrope et l'Auvergnat de M. Labiche.

teurs d'eau étaient originaires du Centre, monter au matin des escaliers avec deux seaux qu'un cercle de bois tenait écartés, et aller servir leurs pratiques. Un seau coûtait un sou ou deux, et ce n'était pas le moindre étonnement des provinciaux que de voir qu'à Paris « l'eau même coûtait quelque chose ».

Les halles et les marchés étaient peu nombreux : tout l'approvisionnement des petits ménages se faisait par d'autres industriels, poussant devant eux leurs charrettes à bras. Ils s'appelaient marchands des quatre saisons et avaient conservé la tradition des cris de l'ancien Paris.

Les devantures des boutiques, beaucoup moins nombreuses et luxueuses qu'aujourd'hui, ne se fermaient pas la nuit avec des garnitures métalliques mues par un mécanisme ingénieux. Le boutiquier devait aller chercher, l'un après l'autre, les huit ou dix volets qui devaient protéger sa devanture, les accrochait par en haut, les assujettissait par en bas, au moyen de clavettes. Il n'était pas rare, lorsqu'il débouchait de l'étroite allée de la maison, avec son volet sur l'épaule, qu'il heurtât violemment le promeneur sans méfiance. Les sous-sols des boutiques s'ouvraient au moyen de trappes, qui débouchaient au dehors : autre danger pour le passant.

Encore à la fin du règne de Louis-Philippe, les deux procédés d'éclairage sont employés concurremment dans Paris il y avait alors 2608 réverbères et 8600 lanternes à gaz.

OUVRAGES A CONSULTER. - Véron, Mémoires d'un bourgeois de Paris. Victor Hugo, Choses vues.- Hippolyte Castille, Les hommes et les mœurs sous Doule règne de Louis-Philippe. dan, Lettres. De Rémusat, Correspondance. Bardoux, La bourgeoisie française. -Imbert de Saint-Amand, La duchesse d'Angoulême et La duchesse de Berry. Levasseur, Hist. des classes ouvrières depuis 1789. Baudrillart, Hist. du luxe, t. IV. Th. de Lajarte, Les curiosités de l-Opéra. Reybaud, Jérôme Paturot (roman). L. Figuier, Hist. du merveilleux dans les temps modernes. Lavallée, Hist. de Paris.

Ch.

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Caractères généraux de cette période. Assurément, entre les deux Républiques et le second Empire il y a des différences profondes. Les deux Républiques auront été des gouvernements libres; le second Empire a été un gouvernement personnel. Elles naquirent de l'acclamation populaire; il eut pour origine un coup d'État.

Ces trois gouvernements ont cependant un caractère commun: tous trois ont cherché à s'appuyer, non sur des classes dirigeantes, mais sur la masse du peuple; ils ont été des gouvernements démocratiques, des gouvernements de suffrage universel.

S'il est donné au régime actuel de se perpétuer, on s'apercevra, déjà dans une vingtaine d'années, que l'Empire n'a été qu'un accident dans le grand courant démocratique de notre histoire. Il apparaîtra comme le résultat d'une erreur passagère du suffrage universel dans l'exercice, encore nouveau pour lui, de sa souveraineté. Le

règne de Napoléon III a duré assez pour qu'on ait commis dans nos relations extérieures des fautes colossales et irréparables, destinées à peser sur nos destinées ultérieures aussi lourdement que les erreurs mêmes de Napoléon Ier. Mais, en ce qui regarde l'histoire même de notre développement intérieur, il n'a retardé que de fort peu l'avènement définitif de la démocratie, et la logique de notre évolution en a été à peine altérée.

La période postérieure à 1848 diffère profondément de la précédente. Le 24 février, qui mit fin au privilège électoral des classes bourgeoises, a eu ses conséquences dans toutes les branches de la vie nationale.

Le fait même de l'existence du suffrage universel a imprimé un caractère nouveau à toutes nos lois politiques: nous avons eu des constitutions tout autres que nous les aurions eues sans lui, d'autres conseils généraux, d'autres conseils municipaux, un autre jury; nous avons eu le service militaire universel et obligatoire, l'instruction universelle, obligatoire et gratuite. Les lois qui régissent les rapports des ouvriers et des patrons, le droit d'association, le régime de l'assistance publique, le système de douanes et d'impôts, l'agriculture, l'industrie, le commerce, en ont été modifiés. La politique extérieure elle-même a pris une direction différente.

Les lettres n'ont pas attendu 1848 pour manifester ce caractère nouveau, car, dès 1830, elles commencent à s'inspirer de l'esprit démocratique. Elles ont contribué à préparer 1848; elles n'ont fait, depuis lors, qu'accentuer leurs tendances. Il n'est pas une branche de la littérature, théâtre, roman, éloquence, polémique, journalisme, qui ne témoigne visiblement de l'ascendant des classes populaires. L'architecture, la statuaire, la peinture, la musique, témoignent d'un goût qui n'est pas tout à fait celui des anciennes classes dirigeantes. Les mœurs, le langage, le costume, l'ameublement, l'aspect de Paris et des grandes villes attestent, à leur manière, la transformation profonde qui s'est opérée dans la société française 1.

1. Je ne vois guère que l'histoire des sciences pour laquelle l'année 1848 ne marque pas une date importante; mais l'influence de la démocratie reparaît dès qu'il s'agit des applications des sciences.

Le gouvernement provisoire de 1848. Victorieux au 24 février, le peuple proclama la République et acclama d'abord un Gouvernement provisoire. Celui- appela tous les citoyens au droit de voter, au droit d'entrer dans la garde nationale, au droit de faire partie du jury 1. C'était l'avènement, plus d'un demi-siècle après la tentative de 1793, des classes populaires à la vie politique. Ce gouvernement abolit les titres de noblesse, abrogea les lois qui restreignaient la liberté de la presse et le droit de réunion.

Quant à la mission de donner une constitution au pays, elle ne pouvait appartenir qu'à une Assemblée investie par les électeurs d'un mandat constituant.

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La Constituante et la Constitution de 1848. - Alors fut élue la Constituante de 18482. Elle réunit les pouvoirs législatif et exécutif. Elle gouverna au moyen de ministres. Elle réprima les insurrections, dont la plus terrible fut celle de juin, et dirigea les relations extérieures de la France. En un mot, elle fut un gouvernement en même temps qu'une Constituante.

La Constitution de 18483 méconnut, comme celle de 1791, les véritables conditions du régime parlementaire. Dédaignant les leçons de l'expérience acquise en Angleterre, en Amérique, en France même, elle en revint à une Chambre unique. Elle établit une Assemblée législative, élue pour trois ans, et un Président de la République, élu pour quatre ans 5.

Avec la Constitution de 1848, les conflits entre le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif étaient inévitables. Ils

1. La loi du 7 août 1848 appelle tous les citoyens à faire partie du jury, pourvu qu'ils soient àgés au moins de trente ans, qu'ils sachent lire et écrire, et qu'ils ne soient, comme serviteurs ou domestiques, aux gages de personne. Comparer avec le système de la monarchie de Juillet (droit de suffrage, garde nationale, jury) exposé ci-dessus, p. 324-325. 2. Elle siégea du 4 mai 1848 au 27 mai 1849.

3. 4 novembre 1848. 116 articles.

4. « N'est-il pas étrange, disait Duvergier de Hauranne, que l'autorité du seul grand État moderne qui ait fleuri, grandi et prospéré sous la forme républicaine, soit ainsi écartée et méconnue?» Les États-Unis ont, en effet, un Sénat et une Chambre des représentants, et chaque État de l'Union américaine a son Sénat et sa Chambre des représentants.

5. Elle établissait aussi un Vice-Président, nommé par l'Assemblée sur une liste de trois noms présentée par le Président.

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