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CHAPITRE XVI

L'ADMINISTRATION, LA JUSTICE, LES FINANCES

LES CULTES

I. L'administration

Caractères de notre organisation dans la période contemporaine. - La génération révolutionnaire et impériale montra une singulière incapacité à résoudre le problème d'une bonne constitution politique. En revanche, on peut dire que toute notre organisation administrative, judiciaire, financière, religieuse, universitaire, même militaire et maritime, se trouve fixée, en ses traits essentiels, à la fin de cette période. C'est surtout la Constituante qui a eu les idées novatrices; c'est surtout Napoléon qui a fait les créations.

C'est de Napoléon que procèdent la hiérarchie administrative et judiciaire, l'organisation financière et militaire, l'Église concordataire, l'Université. Tout ce système, au moins dans ses cadres et dans ses lignes extérieures, lui a survécu. Les générations suivantes n'ont eu qu'à faire rentrer dans cet imposant édifice l'esprit de 1789, auquel l'Empereur n'avait fait qu'une part trop limitée. Elles n'ont eu qu'à admettre dans les conseils locaux le principe électif, dans l'enseignement le principe de liberté, dans l'armée le principe du service universel. Le système napoléonien, remis en harmonie avec les tendances de la société nouvelle, se maintient depuis bientôt quatre-vingt-dix ans.

Un caractère qui distingue les institutions départementales et municipales en notre siècle des institutions provinciales et communales de l'ancienne France, c'est l'uni

formité. Autrefois, il y avait une diversité infinie : dans les provinces, il y avait des pays d'États et des pays d'élection, des bailliages, des sénéchaussées, des prévôtés, des châtellenies; dans les villes, des maires, des échevins, des jurés, des capitouls, des syndics, des bourgmestres, des consuls, des viergs. Depuis la Révolution, ce sont partout les mêmes noms, les mêmes fonctions, le même mode de nomination. Les institutions varient suivant les temps; elles ne varient jamais suivant les lieux. Si la mode est aux directoires, comme sous la Constituante, tous les départements, tous les districts ont un directoire. Puis, en 1800, le même jour, il y a autant de préfets que de départements et autant de sous-préfets que d'arrondissements. En 1831 et 1833, c'est le système électif qui règne partout. Cette similitude des noms et des choses est le signe frappant de l'égale action de la loi sur tous les points du territoire. L'uniformité n'est ici qu'une manifestation de l'unité.

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L'administration départementale et municipale. L'organisation autoritaire de l'administration locale survécut à l'Empire 1. Elle dura trente et un ans pour les communes et trente-trois ans pour les départements et les arrondissements. La Restauration, dans ses dernières années, pensa à la modifier; le ministère Martignac proposa un projet de loi qui fut repoussé par la Chambre des députés. La Monarchie de Juillet reprit la question.

Dans la loi de 1831 (21 mars) sur l'organisation municipale, les maires et adjoints furent considérés surtout comme agents du pouvoir exécutif : aussi furent-ils nommés, dans les communes au-dessus de 3000 âmes, dans les chefs-lieux d'arrondissement, quelle que fût leur population, par le roi; dans toutes les autres communes, par le préfet. Pourtant, comme ils sont aussi les représentants de la commune, le pouvoir n'avait le droit de les choisir que dans le conseil municipal. Quant au conseil municipal, il est uniquement la représentation des habitants : aussi était

1. Napoléon, lors de son retour de l'ile d'Elbe et sur les instances de Carnot, avait accordé que les communes de moins de 5000 âmes nommeraient leurs maires. Cette concession fut annulée par la Restauration.

il élu. Il était élu par un corps électoral spécial, comprenant les habitants les plus imposés de la commune et certaines catégories de fonctionnaires, de magistrats et de lettres.

La loi de 1833 (22 juin) rendit aussi à l'élection la nomination des conseils généraux et d'arrondissement. Les préfets, les sous-préfets et les conseils de préfecture restaient, comme de raison, à la nomination du pouvoir.

Pourtant la réforme était encore bien timide. Il semblait qu'on redoutât encore les excès d'indépendance qui avaient suivi la loi de 1789. Le conseil général, qui se réunissait une seule fois par an, n'exerçait aucun contrôle efficace sur l'administration du département; aucune de ses décisions n'était valable sans l'approbation du gouvernement; ses séances n'étaient point publiques; il était interdit à tout conseil général de publier aucune adresse, de se mettre en correspondance avec d'autres conseils généraux ou des conseils d'arrondissement; et pourtant certaines affaires de routes, de canaux ou de chemins de fer dépassent les limites du département et intéressent toute une région.

L'influence du régime censitaire se faisait sentir dans le mode d'élection : les conseillers généraux et d'arrondissement étaient élus par une assemblée composée des citoyens les plus imposés; nul ne pouvait être conseiller général s'il ne payait au moins 200 francs de contribution dans le département.

La loi de 1834 maintint la division de Paris en arrondissements, mais lui donna un conseil municipal de 36 membres, dont le président et les vice-présidents étaient nommés par le roi. Le préfet de la Seine, considéré comme chef de la municipalité parisienne, et le préfet de police. assistaient aux délibérations du conseil. Lyon fut aussi placé sous un régime d'exception.

La loi de 1838 détermina les attributions des conseils généraux et d'arrondissement.

En somme, les idées de décentralisation administrative n'étaient point en faveur dans la bourgeoisie, qui était alors la classe dirigeante et qui n'était point revenue de son admiration pour l'œuvre du Premier consul. Aux partisans de ces idées, M. Thiers répondait : « Nous voulons faire abonder la vie sociale au centre de l'État; nous

voulons réaliser ce grand phénomène moderne celui de faire vivre le corps social dans une grande unité... Savezvous pourquoi la Restauration, en nous faisant un mal moral et politique immense, n'a cependant pas frustré les intérêts matériels ? C'est qu'elle a respecté la vieille administration de l'Empire, qui en savait plus qu'elle, et qu'elle a laissé aller... Ce n'est pas nous qui sommes rétrogrades, c'est nous qui défendons la Révolution vivante. En affranchissant les grandes communes, vous détruisez l'unité; vous portez un coup de hache au pied de l'arbre. »

La police. A Paris, sous la Restauration, furent créés les sergents de ville, recrutés parmi les anciens militaires, et qui étaient encore trop peu nombreux. En 1817, fut organisée la brigade de sûreté, ou police secrète, dont le premier chef fut Vidocq, et le second Coco-Lacour. C'étaient deux criminels graciés, qui recrutèrent leur brigade de forçats libérés; on les croyait plus aptes que personne à rechercher ceux qui avaient fauché le pré avec eux. En 1832, le préfet Gisquet s'émut de ce scandale, ne voulut plus tolérer que des agents qui n'eussent subi aucune condamnation et licencia les anciens, qui, naturellement, se refirent voleurs.

Une ordonnance de 1832 (15 juillet) enjoignit aux logeurs de tenir un registre de leurs locataires.

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Réforme des prisons. La Constituante, en 1791, avait cru devoir distinguer, comme on fait aujourd'hui : 1o les maisons d'arrêt, où les accusés et prévenus attendent leur jugement; 2o les prisons pénales criminelles, comprenant les maisons de force et les bagnes; 3° les prisons pénales correctionnelles; 4o les maisons de correction, destinées aux enfants âgés de moins de douze ans ou détenus à la demande de leurs parents. En 1810, Napoléon, en même temps que les prisons d'État, créa les maisons centrales.

Cette législation, en opérant un classement plus rationnel des prisons, ne changeait rien à leur régime intérieur. Les détenus continuèrent à être exploités par leurs gardiens, à coucher sur des litières de paille souvent humide ou infecte, à recevoir une nourriture insuffisante ou malsaine, et, s'ils obtenaient d'aller à l'infirmerie, à coucher

trois ou quatre dans un lit. Imagine-t-on que l'État ne se croyait point obligé de nourrir les prisonniers, que ceux-ci devaient vivre à leurs frais, et qu'une circulaire de 1800 recommande « de ne procurer le pain et la soupe aux détenus qu'en cas d'indigence absolue et constatée »?

La Restauration s'émut de cette situation. En 1819, une ordonnance royale institua une Société des prisons, composée de publicistes, de jurisconsultes, d'administrateurs, de députés. Sur sa proposition, on reprit l'œuvre de Malesherbes on supprima les punitions inhumaines, les agglomérations dangereuses pour la santé; on veilla à ce qu'il y eût plus d'air et de lumière, à ce que le détenu ne souffrit plus de la faim et du froid; on renouvela le matériel de literie. Cependant, la Restauration ne s'inspira que des idées d'humanité : elle ne s'occupa que de l'amélioration matérielle.

La Monarchie de Juillet s'inspira d'idées plus élevées : elle se proposa l'amélioration morale. Or, la promiscuité entre les détenus de toute catégorie était une source de corruption. La réforme qu'on se proposa d'opérer reposait sur deux principes: 1° séparer l'une de l'autre les diverses catégories de criminels; 2° pour chaque détenu, obtenir un isolement complet, dans lequel il pourrait, par le travail, par la réflexion, par les exhortations morales de tout ordre, revenir à de meilleurs sentiments. C'est ce qu'on appelle le systéme cellulaire.

Le préfet de la Seine, DELESSERT, le mit en pratique à la Petite-Roquette, destinée aux jeunes détenus et aux enfants subissant la correction paternelle. En 1838, il y prescrivit le régime de l'isolement, du travail, de l'instruction élémentaire donnée par des professeurs. Il constata que ce régime ne donnait plus qu'un récidiviste sur quarante, au lieu d'un récidiviste sur quatre. En 1840, le même système fut pratiqué à la Grande-Force, prison réservée aux criminels adultes. La loi de 1844 l'étendit à toutes les prisons; mais, faute de fonds suffisants, elle ne put être appliquée que dans quelques-unes.

En 1850, sur le plan nouveau, se construira la prison de

Mazas.

En 1817, le travail des détenus fut affermé à des entre

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