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trisles; ces contes lui firent honneur. On y reconnut nonseulement l'homme de style, d'esprit et de cœur, mais aussi le penseur profond. On a encore de lui quelques autres contes, empreints d'une philosophie piquante et railleuse; puis de nombreuses brochures bibliographiques, et une foule d'autres publications, résultat de ses courses artistiques dans le Loiret, le Calvados, l'Orne et la Sarthe. En 1844 et 1845 comme extraits d'un grand travail sur l'insurrection du Calvados, il venait de livrer à la publicité des Documents inédits sur le fédéralisme en Normandie, et un livre sur Charlotte Corday, bien supérieur à tout ce qui a paru jusqu'à ce jour sur la célèbre républicaine, et qui au dire de M. Michelet, critique si compétent en pareille matière, donnait de brillantes promesses pour l'avenir.

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Cet avenir ne devait, hélas ! jamais se réaliser. Le 30 juillet 1845, le jour même où l'illustre savant portait un si favorable jugement sur ces nouvelles œuvres Paul Delasalle mourait dans une maison de santé, à Auteuil, des suites d'une fluxion de poitrine, laissant un enfant au berceau.

Il existe un excellent portrait de Paul Delasalle, modelé par le sculpteur Grass.

Sur M. Pierre DAVID, Député du Calvados; Par M. JULIEN TRAVERS, Professeur à la Faculté des lettres de Caen.

de

M. David (Pierre-Laurent-Jean-Baptiste-Etienne), Falaise, où il vit le jour en 1772, a terminé à Paris, le

21 juin 1846, l'une des carrières les plus honorables qu'il soit donné de parcourir.

Né de parents peu fortunés, il fut entraîné de bonne heure dans la capitale par des circonstances de famille. Là se développèrent, par des travaux assidus, son caractère aussi bon que ferme, son esprit aussi judicieux que brillant,

Il vit les premières scènes du grand drame de la Révolution, et fut au premier rang des spectateurs, puisqu'il fit partie de ce groupe de jeunes écrivains qui recueillirent les débats de la Constituante pour le Moniteur. Ainsi, M. David, qui n'avait guère que vingt ans fut témoin des luttes héroïques de la tribune française; il entendit l'éloquent Mirabeau, et connut les athlètes les plus fameux de cette immortelle époque (1),

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(1) L'alinéa suivant renferme un fait que nous ignorions quand, le surlendemain de la mort de M. David, nous rédigions à la hâte cette Notice pour le Journal de Caen. Nous empruntons ce fragment à la Biographie publiée, quelques jours plus tard, par M. V. Choisy, dans lé Journal de Falaise:

<< Il avait à peine huit ans lorsqu'il quitta sa ville natale pour habiter >> Paris. Bientôt la Révolution vint le surprendre au milieu des préoc>>cupations de travaux littéraires. Alors les événements donnèrent > brusquement une nouvelle direction à son esprit, et ce fut aux séances » mêmes de l'Assemblée constituante qu'il commença son éducation >> politique, dans cette tribune réservée aux jeunes écrivains qui, >> sous le nom de logographes, étaient alors chargés de recueillir et » souvent de rédiger, pour les journaux du temps, les discours de >> nos orateurs. Après cette initiation aux questions d'organisation » sociale, M. David, depuis 1793 jusqu'en 1795, servit dans les » armées des Pyrénées-Occidentales et de Rhin-et-Moselle. Là, pen>>dant tout le temps de son service, il fut l'ami intime, le camarade » de lit du premier grenadier de France (l'illustre LATOUR D'AUVERGNE).»

Il était employé depuis quelque temps au ministère des affaires étrangères, lorsque des vers qu'il avait faits, comme en fait tout jeune homme d'imagination, tombèrent entre les mains de Talleyrand, qui résolut de sonder le talent diplomatique et les connaissances acquises du poète. Il lui donna à traiter, du soir au matin, une affaire grave, hérissée de difficultés, et qui demandait des recherches. M. David se fit faire beaucoup de café par sa mère, passa la nuit à rédiger le morceau demandé, et le porta de grand matin à Talleyrand.

Celui-ci, qui se connaissait en hommes, fut frappé du mérite qui brillait dans cette improvisation; il envoya immédiatement à Naples le jeune David, avec des fonctions diplomatiques et 10,000 francs d'appointements.

Ainsi s'ouvrit pour le futur député de Falaise une carrière qu'il a fournie avec une rare distinction.

A Naples, il se lia fort intimement avec Lucien Bonaparte, dont les goûts poétiques eurent sur toute sa vie une grande influence. Ce fut, en effet, pour complaire à son ami, que M. David conçut le plan d'une épopée. Une pensée bien noble le dirigea dans le choix de son sujet et dans le but de son exécution. Alexandre-le-Grand fut son héros, et le poète avait l'intention d'intéresser à la cause des Grecs l'Alexandre des temps modernes, Napoléon.

La diplomatie emporta l'auteur (1806) loin du laurier de Virgile qu'il avait chanté. Il s'était associé une compagne selon son cœur, épouse aimante et dévouée, qui a partagé ses diverses fortunes, et pour qui la séparation est d'autant plus amère que son bonheur a été plus long. Ils partirent pour la Bosnie, où M. David resta trop longtemps comme consul, précisément à raison des services.

que sa haute intelligence et sa prodigieuse activité rendaient aux armées françaises et à la cause de l'empire (1).

Si le consulat général de Smyrne fut pour M. David une faible récompense de ses travaux, le ciel de l'Ionie devait l'inspirer, et il finit son Alexandreide aux lieux où le vieil Homère chanta ses poèmes.

Mais que de fois la muse le quitta pleine d'épouvante, et sans savoir si jamais elle reverrait son favori! Que de fois le fer musulman menaça les jours du consul français !

La Grèce, en effet, sortait de son long sommeil, et secouait, irritée, les fers indignes qui chargeaient ses mains. Le vœu de M. David s'accomplissait, et lui, le représentant de la France, n'avait pas attendu les instructions des ministres de Louis XVIII pour donner aux révoltés l'appui moral de son Gouvernement. Il n'ignorait pas que la Restauration avait de grandes répugnances pour les mouvements révolutionnaires, et qu'elle était dans un sérieux embarras sur le parti qu'elle devait prendre ; il savait même que d'autres agents de la France, en Orient, conseillaient de prendre parti pour les Turcs contre les Hellènes. L'incertitude du ministère français fait en partie le mérite de notre consul général à Smyrne.

(1) Voici encore quelques lignes que nous empruntons à M. Choisy: «En 1806, il fut envoyé en Bosnie, en qualité de consul général, » pour entretenir la bonne intelligence entre les provinces limitrophes » de l'empire français et de l'empire ottoman. Par son esprit conci»liant, M. David réussit dans cette mission au-delà de ses espérances. » En 1809, un corps d'armée française était cerné par les Autrichiens; » M. David eut assez d'influence pour engager les généraux turcs à » débloquer la division du général Marmont, qui put arriver assez tôt » à Wagram pour assurer le succès de la bataille. >>

Dans cette circonstance, M. David ne craint pas de s'exposer à perdre sa place; il assure aux Grecs l'appui moral des peuples; il fait des actes significatifs; il engage et lie la France.

Pendant cette longue guerre de six années, la vie de M. David fut une vie de sacrifices et de dévouement à l'huma. nité. Chaque jour amenait de nouveaux épisodes, où tantôt sa tête courait les plus grands dangers, et tantôt son héroïque fermeté arrachait à la mort des Grecs poursuivis par des Turcs, des Turcs tombés entre les mains des Grecs parfois ce n'étaient pas quelques hommes, quelques familles; c'étaient des populations entières, c'étaient des Turcs ou des Grecs par milliers.

Dès 1821, nous trouvons dans le Spectateur Oriental les traits les plus admirables du dévouement de M. David. Nous n'en citerons qu'un passage; nous l'empruntons au n° du 28 juin :

« Le bruit s'était répandu, la veille, que 800 Turcs avaient péri sous les murs d'Aïvali (1), cité grecque peu distante de Smyrne, sur le golfe Adramite. Bientôt les Turcs, revenus en force, s'étaient emparés de la ville qu'ils avaient incendiée, et les habitants, secondés par ceux d'Hydra, s'étaient sauvés à Mosconissi, qui n'est séparé d'Aïvali que par une chaussée. Dès la pointe du jour, des bandes de Turcs égarés se précipitent sur nos quartiers (2), et massacrent tous les Grecs qu'ils rencontrent. On tire impitoyablement sur ces malheureux, on les poursuit à

(1) C'est le nom que donnaient les Turcs à cette ville que les Grecs appelaient Cydonie, et qui n'était habitée que par eux.

(2) Les rues et quais de Smyrne habités par les Francs.

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