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la voie des essais et de l'expérience, votre Commission a été unanime pour le reconnaitre ; mais quelques diver gences se sont élevées sur le choix des moyens.

» Plusieurs membres ont pensé qu'on n'atteindrait le but que par la création, aux frais de l'Etat, d'un nouvel établissement, qui prendrait le nom de ferme expérimentale, et devrait être placé aux environs de Paris, pour être rapproché du foyer de la science..

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» Cette proposition a soulevé quelques objections.

Pourquoi faire, à grands frais, un établissement nouveau ? a-t-on dit. Ceux que l'Etat possède et les instituts agronomiques ne sont-ils pas suffisants pour les besoins du moment? Ne craint-on pas qu'en voyant créer un établissement spécial, l'opinion ne s'égare et n'adopte trop prés cipitamment, comme bon, tout ce qu'elle y verra faire ? Ce n'est pas, d'ailleurs, une seule ferme expérimentale qu'il faudrait pour atteindre le but; elles devraient être multipliées en raison de la diversité des régions et des différences essentielles que cette diversité apporte aux données physiologiques, aux faits de nature si variée que l'expérience devra être appelée à constater.

» Dans l'opinion contraire, on a répondu : La mission des instituts agronomiques et des fermes expérimentales est tout-à-fait différente. Dans la ferme expérimentale les questions sont envisagées au point de vue scientifique ; leur côté économique est réservé pour un autre moment ; on n'a pas à se préoccuper du profit, et la ferme expéri mentale sera toujours en perte. C'est un des motifs qui nous font dire que l'Etat doit s'en charger. Un institut, au contraire, doit réaliser une culture profitable; c'est le meilleur exemple qu'il puisse donner à l'appui de ses

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leçons. Ne pourrait-on pas craindre, d'ailleurs, en chargeant les instituts de faire des essais scientifiques, de détourner les élèves du véritable but de leurs travaux, et de changer la direction de leur esprit ? Qu'on ne perde pas de vue que les instituts ne doivent pas être des écoles de savants, mais qu'il doit en sortir des hommes qui joignent à la théorie des connaissances pratiques étendues. On craint qu'une ferme expérimentale ne jette quelques erreurs dans l'opinion; le danger serait bien plus grand si les essais se faisaient dans les instituts, où l'on doit, au contraire s'accoutumer à ne voir appliquer que des théories dont l'expérience ait suffisamment démontré la vérité. Ce n'est pas à dire que toute espèce d'essais y doive être proscrite : il peut être bon d'en entreprendre quelques-uns; mais il nous parait essentiel que, sauf quelques rares exceptions, ils ne soient pas dirigés au point de vue exclusif de la science, et tels qu'on les en visage ici. Quant aux établissements que le Gouvernement possède, ils ont leur spécialité, et seraient certainement insuffisants dans l'état où ils se trouvent aujourd'hui. On ne doit pas perdre de vue, d'ailleurs, que les essais dont on parle ont principalement pour but de favoriser l'inves tigation de la science dans les phénomènes qui se rattachent à la végétation, ainsi qu'à la vie des animaux ; qu'ainsi ils doivent nécessairement être faits près de Paris, sous les yeux des savants, dont les indications devront être exactement suivies. Si cependant on peut le faire, soit à Rambouillet, soit à Alfort, qu'on y avise; peu importe le lieu, pourvu qu'il soit convenablement placé et qu'il suffise à sa destination.

>> On était donc d'accord au fond; car la Commission

voulait unanimement que toutes les expériences utiles fussent faites. A la suite d'une discussion approfondie, la résolution suivante a été adoptée :

» La Commission pense qu'il est utile de favoriser la tendance de la science à s'occuper de l'agriculture, et qu'il est digne du Gouvernement de le faire.

» Dans ce but, elle pense que le Gouvernement devrait faire administrer expérimentalement les établissements qu'il dîrîge : vacheries, bergeries, haras. Elle pense qu'il serait utile de publier annuellement tous les travaux de cette nature qui seraient propres à éclairer la science agricole.

* Si les moyens dont le Gouvernement dispose aujourd'hui ne suffisaient pas, la Commission croit qu'il devrait alter jusqu'à la création, près de Paris, d'une ferme spécialement destinée aux essais scientifiques.

» La Commission s'est occupée ensuite des cours publics.

» Elle a été unanime pour penser qu'il importait surtout de fonder des chaires d'économie agricole. Elle croit qu'il ne serait pas toujours sans danger de professer l'agriculture technique,quand la pratique ne peut pas venir justifier la théorie. Ainsi que nous l'avons dit d'ailleurs, ce sont les rapports de l'agriculture avec la richesse publique, son mode d'action, ses effets, l'influence de la législation sur ses progrès, qu'il faut apprendre à la portion intelligente du pays. C'est principalement dans les grands centres de populations que ces chaires pourront être utiles; les chefslieux de facultés paraissent particulièrement propres à recevoir ce complément d'instruction. Là, les auditeurs ne manqueront pas : outre les habitants qui pourront venir y puiser le goût de l'agriculture, les cours d'économie

agricole seront suivis par les jeunes gens que d'autres études ont appelés: parmi ces derniers, il s'en trouvera, sans doute, qui comprendront que l'industrie agricole mé rite qu'on y applique son intelligence; soit qu'ils aillent chercher ensuite des connaissances plus approfondies dans un institut agronomique, soit qu'ils se livrent immédiatement à l'exploitation de leur domaine, ils concourront aux progrès de l'agriculture.

>> Si nous avons mentionné les chefs-lieux de facultés pour y établir des cours d'économie agricole, c'est une indication de lieu seulement que nous avons entendu faire. Il va sans dire que la direction de ces cours, le soin d'en arrêter le programme, le droit de nommer les professeurs, tout ce qui les concerne enfin, doit rester dans les attri butions du ministre de l'agriculture et du commerce. Mais ce département ministériel résume en lui tous les grands intérêts, quelquefois opposés, qui concourent à former la fortune publique, et son administration est partagée entre plusieurs directions; il est, par conséquent, nécessaire aussi que tout ce qui se rattache à l'enseignement agricole soit soumis à l'examen et à la décision du ministre, sur le travail de la direction de l'agriculture. Tout en insistant sur l'utilité des cours d'économie agricole, votre Commission sait qu'ils ne peuvent valoir qu'en raison des hommes qui en seront chargés. Cela est vrai pour loute espèce d'enseignement, et plus vrai encore pour une science si peu connue, et qu'il faut créer, pour ainsi dire, en la professant. Aussi ne demandons-nous pas que toutes les chaires soient immédiatement fondées : nous savons, au contraire, qu'il faut procéder successivement, si l'on veut agir avec prudence ; et que l'enseignement

n'est utile qu'autant que le professeur offre des garanties de capacité. L'Administration, au reste, paraît pénétrée de cette vérité ; le ministre de l'agriculture et du commerce a pris, le 31 décembre 1844, un arrêté qui prescrit l'obtention d'un diplôme de capacité agricole pour être apte à remplir les fonctions de professeur. Un réglement du 21 juillet 1845 fixe les conditions des concours à la suite desquels ces diplômes sont délivrés. Récemment les examens ont eu lieu, dans ce but, à Grignon, à Grandjouan et à la Saulsaye.

» L'enseignement agricole proprement dit devait être ensuite l'objet de notre examen : il nous paraît de deux natures, et deux sortes d'établissements doivent y pourvoir. Il faut, en effet, former des praticiens éclairés qui se placent à la tête de l'industrie agricole, et des chefsouvriers, des contre-maîtres, des bras intelligents enfin. Nous appellerons instituts les établissements du premier ordre, fermes-écoles les seconds.

>> Dans les instituts, l'instruction théorique devra être complète; les élèves y devront être initiés aussi à toutes les pratiques de la culture, comme au maniement des instruments: on y formera des régisseurs et des industriels qui embrasseront pour leur compte, soit comme propriétaires, soit comme fermiers, la carrière de l'agricul ture. Les instituts auront aussi pour mission de recruter les rangs du professorat. Aujourd'hui, il n'est pas besoin qu'ils soient nombreux, car notre agriculture est encore trop peu avancée pour offrir des emplois à un grand nombre de sujets; plus tard, il faudra suivre les besoins de l'industrie agricole. Pour le présent, il suffit de répartir quelques instituts sur le territoire, en raison des diverses

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