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» En tête de notre programme des besoins de l'époque, nous plaçons la nécessité d'offrir à la science tous les moyens d'expérimentation qui lui sont nécessaires pour entrer dans la voie qui s'ouvre devant elle. Pour que les théories nouvelles puissent passer utilement, et sans aucun danger, dans le domaine de la pratique, il faut, avant tout, qu'elles soient éclairées par des expériences précises et concluantes.

» Nous avons dit que l'esprit public se préoccupait vivement des intérêts agricoles. Cette tendance, qu'il faut encourager, est pour nous la preuve que le moment est favorable pour propager les principes de l'économie po litique appliqués à l'agriculture. L'économie commerciale a de nombreux organes; ses doctrines, souvent absolues, restent sans contradiction possible, et les questions complexes ne peuvent pas toujours être examinées sous toutes leurs faces. Il est temps que les principes de l'économie agricole soient répandus à leur tour. Et d'ailleurs, c'est en faisant connaître ainsi le mode d'action de l'agriculture sur la richesse nationale, qu'on pourra développer chez les hommes éclairés le désir de lui apporter le concours de leur intelligence et de leurs capitaux.

» Ce n'est pas tout, la routine préside encore presque partout à la direction de nos exploitations rurales; nous avons donc besoin de former des praticiens éclairés, dont les exemples puissent montrer tout le parti qu'on peut tirer d'une agriculture perfectionnée.

» Mais, dans l'état actuel des choses, un des plus grands obstacles que rencontrent ceux qui veulent entrer dans une voie de progrès, c'est le défaut d'ouvriers habiles, de surveillants intelligents et initiés aux méthodes nou

velles l'industrie manufacturière a ses contre-maîtres, l'industrie agricole en manque ; il faut aussi lui en donner.

» Enfin, de fâcheux préjugés règnent encore dans nos campagnes; on n'y admet pas toujours qu'il soit possible de mieux faire tout ce qui pourra concourir à y répandre des notions générales sur les perfectionnements déjà réalisés atteindra donc un but éminemment utile.

>> Nous venons d'indiquer sommairement les besoins ; voici maintenant, Messieurs, la statistique rapide des moyens d'enseignement, tels qu'ils existent aujourd'hui.

» Sans parler des baras, qui ont un but spécial, le département de l'agriculture a réuni dans les bergeries royales, à Alfort et au Pin, diverses races de bestiaux ; il fait étudier leur acclimatation, leur utilité comme types reproducteurs, les croisements avantageux qu'ils pourraient offrir à notre agriculture.

» Le baut enseignement agricole se compose de deux chaires, fondées à Paris en 1836. Ces chaires, confiées à de savants professeurs, ont été établies au Conservatoire des arts et métiers, qui possède une collection d'instruments: l'une a pour objet un cours d'agriculture; l'autre est consacrée à l'application des sciences à l'agriculture.

>> Des chaires ont, en outre, été fondées à Rodez, à Besançon, à Quimper, à Toulouse, à Bordeaux, à Rouen et à Nantes.

» A Paris, au Muséum, il existe, comme chacun sait, un cours de culture qui dépend du ministère de l'instruction publique, et que nous citons pour mémoire.

» Les cours dont nous venons de parler n'ont pas cet esprit d'unité qui est la première condition de tout bon enseignement. On y fait de l'agriculture théorique, que

la pratique ne vient pas sanctionner; on s'y occupe peu de l'économie agricole, et les lumières que cette science peut répandre n'éclairent point l'opinion publique.

» Les établissements d'instruction sont de plusieurs natures. En tête nous placerons les instituts de Grignon, de Grandjouan, de la Saulsaye: l'enseignement y est à la fois théorique et pratique ; ces écoles ont déjà rendu et rendent tous les jours d'utiles services. Viennent après vingt-un établissements qui, sous les noms divers de fermes-modèles, fermes-écoles, colonies, asiles, donnent divers degrés d'enseignement. Dans ce nombre, quatorze sont subventionnés sur le fonds d'encouragement à l'agricul ture: les trois instituts le sont également. A cette nomen. clature, il faut ajouter les pénitenciers agricoles de Gaillon, Looz, Clairvaux, Fontevrault, et quelques colonies libres. Nous mentionnons, pour mémoire, les écoles vétérinaires et l'école des haras, parce qu'elles ont un but spécial. Il en est de même de l'école forestière de Nancy, qui, d'ailleurs, est placée sous la direction du ministre des finances. En résumé, vingt-six départements sont pourvus de quelques moyens d'enseignement agricole; les soixante autres en manquent complètement.

» Tel est, Messieurs, le modeste bilan de nos ressources; et encore il faut dire que tous ces établissements, organisés successivement et dans des vues différentes, sans que le Gouvernement ait présidé à leur formation, laissent beaucoup à désirer: on n'y trouve pas cet esprit d'ensemble, ces classifications précises que nous croyons indispensables. Par une tendance qui se conçoit, parce qu'elle est dans la nature des choses, des établissements, qui ne devraient former que des contre-maîtres, veulent

faire plus, et deviennent insuffisants à leur tache. Nous savons que l'Administration lutte contre cette tendance, et nous avons eu sous les yeux un arrêté du 2 juillet dernier, relatif à l'organisation de l'école d'agriculture annexée à l'asile de Montbellet, qui nous a paru renfer mer les plus sages prescriptions à cet égard. Des noms distincts, des appellations significatives, et nous revien drons sur ce point, aideront à cantonner plus étroitement chaque nature d'établissement dans des limites qui ne devront pas être franchies: il reste donc beaucoup à faire pour atteindre complètement le but; il faut que le ministère de l'agriculture et du commerce, doté plus généreusement, puisse subventionner partout l'enseignement agricole. Devenu ainsi maître de sa direction, il l'organiser sur des bases uniformes.

pourra

>> Nous vous avons indiqué, Messieurs, en commençant ce Rapport, les vues générales de la Commission; nous venons de mettre sous vos yeux les faits tels qu'ils existent aujourd'hui ; il nous reste à vous exposer les mesures que nous croyons propres à atteindre le but. Nous allons vous rendre compte des discussions auxquelles leur examen a donné lieu.

>> Nous commencerons par les établissements consacrés à la partie expérimentale de la science agricole. Le Gouvernement, nous l'avons dit, est entré dans cette voie que seul il peut parcourir avec des moyens suffisants pour arriver au succès et pour commander la confiance publique. Ses essais, jusqu'ici, n'ont porté que sur l'acclimatation, l'élevage et les croisements de quelques races étrangères de bestiaux. A Rambouillet, on conserve la race mérinos importée primitivement d'Espagne; on la croise aussi

avec des béliers anglais. Les races ovines anglaises de Dishley et New-Kent, essayées d'abord à Alfort, ont été transportées à Montcavrel, où elles rencontrent des con ditions favorables. La race southdown a également été importée en France. A la Haye-Vaux, on élève, pour l'améliorer sous le rapport des formes et pour la fixer, une sous-race de moutons à laine fine et soyeuse, obtenue dans le principe par M. Graux ; on y suit les expériences commencées sur un croisement Naz-Rambouillet; enfin les mérinos Rambouillet y sont élevés comparativement. Au Pin, on étudie les races bovines de Durham, Hereford et Devon ; des dépôts de la première ont été placés dans le Cotentin et dans le Nivernais, pour apprécier les influences du climat.

» C'est quelque chose sans doute, mais ce n'est qu'une faible partie de l'ensemble des questions qui sont à résoudre. La chimie tourne aujourd'hui ses efforts vers l'agriculture; et, comme les faits ne sont pas encore assez bien connus, on oppose quelquefois théorie à théorie. Le mode d'action des diverses natures d'engrais et des agents chimiques sur la végétation est une question à l'ordre du jour; les lois des assolements sont à faire ; les rapports entre la valeur nutritive de divers aliments, leurs effets sur l'économie animale; des questions qui se rattachent à l'étude physiologique des plantes et des animaux; beaucoup d'autres, qu'il serait trop long d'énumérer, sont à l'étude. Dans leur examen, rien ne doit être laissé au hasard; il faut porter partout le flambeau de l'expérience : la vérité, sans doute, doit être répandue ; mais il faut surtout prévenir la propagation d'erreurs qui deviendraient fatales. Le Gouvernement doit donc entrer largement dans

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