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tous et que c'était l'unité qui parlait par sa bouche,,le Sauveur parla à tous en lui répondant, et qu'il lui donna le nom de Pierre afin qu'il fût la figure de toute l'Église, c'est-à-dire du peuple chrétien, car ce nom (Petrus) marque, selon ce saint docteur, tous ceux qui sont appuyés sur Jésus-Christ, qui est la pierre1. Saint Augustin confond ici l'Église avec le peuple chrétien, et c'est en ce sens que saint Pierre est la figure de l'Église.

« Enfin, ce qui fait voir sensiblement que ce n'est pas seulement parce que saint Pierre représentait tous les apôtres que saint Augustin dit tant de fois qu'il représentait l'Église, c'est qu'il parle de la même manière du collége des apôtres, et qu'il dit aussi qu'ils étaient la figure de l'Église lorsque Jésus-Christ leur a donné le pouvoir de remettre les péchés. D'où il conclut que les paroles qui leur furent adressées en cette occasion s'adressaient en effet à toute l'Église2.

<«< Il faut donc, outre toutes les explications proposées jusqu'ici, en trouver une qui nous fasse entendre comment c'est tout le corps de l'Église qui lie et qui délie, et qui en a reçu le pouvoir; et c'est ce que fait celle des docteurs de Paris, qu'il est temps d'examiner3. »

1. Tract. 24 in Joann.

2. De Bapt., 1. III, c. xvIII.

3. Renvers. des lib. de l'Égl. gallic., t. I, p. 324 et suiv.

CHAPITRE II

LA PROPRIÉTÉ DU SACERDOCE NE PEUT ÊTRE DISTINGUÉE DE L'EXERCICE DU SACERDOCE.

L'explication des docteurs de Paris, dont parle Legros, forme le cinquième sens de la maxime que les clefs ont été données à l'Église, sens qui consiste à distinguer l'usage des clefs de la propriété des clefs, à attribuer la propriété au corps de l'Église et à réserver l'usage aux pasteurs. Autant les six autres sens sont fondés, autant celui-ci l'est peu.

« Il en est à cet égard, dit Legros, de l'autorité spirituelle qui est dans l'Église, comme de la juridiction. temporelle qui est dans une république. Ceux qui ont écrit des républiques conviennent, comme le remarque le Père Pétau au sujet de la question que nous examinons, que le pouvoir de vie et de mort, par exemple, appartient, quant à la propriété, au corps de la république, encore qu'il doive être exercé par un ou plusieurs supérieurs, qui agissent, qui ordonnent, qui jugent, qui punissent en son nom. C'est ce qu'il assure qui est enseigné, et qui l'est en effet, par Almain, par

1. De Eccles. hierar., lib. III, cap. xiv, no 5.

Victoria, par Bellarmin, et communément par les autres auteurs. >>

Mais justement, c'est qu'il n'en est point de l'autorité dans l'Église comme de l'autorité dans l'État. Le magistrat, comme le pontife, tire-t-il son pouvoir d'un caractère ineffaçable empreint dans son âme? S'il ne le fait point, si le pouvoir qu'il exerce est une délégation, il existe une différence radicale entre ce pouvoir et le sacerdoce. Inhérent à leur personne, l'évêque, le prêtre ont toujours leur pouvoir, et si la nécessité l'exige, ils peuvent l'exercer en tout endroit et à toute heure. Au contraire, le pouvoir social est séparable de la personne. Le juge perd le pouvoir de juger en cessant d'appartenir à un tribunal; le roi, l'empereur, le pouvoir de gouverner, s'ils abdiquent ou qu'ils soient détrônés. Et encore pour user de ce pouvoir, il leur faut certaines conditions de temps et de lieu. Le juge, par exemple, ne remplit ses fonctions que là où siége la justice et pendant l'audience.

Je demande s'il est permis d'assimiler le sacerdoce à la puissance séculière; et parce que la propriété et l'usage de celle-ci seraient distincts dans l'État, si on doit conclure que la propriété et l'usage du sacerdoce sont distincts dans l'Église. Que s'ils le sont, alors l'usage y est délégué comme celui de l'autorité temporelle l'est dans l'État. Cependant les docteurs de Paris le nient de toute leur force.

« Il est important de remarquer, dit Legros, que quand l'Église exerce le pouvoir des clefs par les évêques et les curés, ce n'est pas qu'elle le leur communique à proprement parler; c'est Dieu qui donne la puissance de l'ordre à tous ceux qui sont consacrés par une ordination à laquelle il ne manque rien pour la validité. C'est lui aussi qui donne la juridiction aux évêques et aux curés quand l'Église les élit et les institue. Ils entrent dans les droits des apôtres et des disciples envoyés par Jésus-Christ, lorsqu'ils entrent en leur place par une succession légitime. Mais en recevant de Jésus-Christ le pouvoir de gouverner, ils le reçoivent comme ministres de l'Église, pour exercer en son nom ce pouvoir dont la propriété réside dans tout le corps de cette même Église. » Observons en passant que la juridiction est donnée par l'ordination. Plus loin nous le montrerons.

Ainsi les théologiens que nous combattons enseignent sans détour que les pasteurs tiennent immédiatement de Jésus-Christ l'exercice du sacerdoce. Cet exercice leur appartient donc. Comment ne leur appartiendrait-il pas, étant attaché à un caractère identifié à leurs personnes? Or, en quoi la propriété de l'usage d'un pouvoir diffère-t-elle de la propriété de ce pouvoir même ? Pourrais-je avoir la propriété de l'usage de la raison sans avoir une raison en propriété? D'ailleurs l'exercice d'une puissance peut-il être autre chose que

cette puissance s'exerçant ? Qui possède l'exercice possède la puissance. Qui possède la puissance possède l'exercice. Si les pasteurs ont l'usage des clefs, ils en ont le fonds. Si l'Église en a le fonds, elle en a l'usage.

Effectivement on a accusé ceux qui distinguent la propriété de l'exercice, de mettre l'exercice dans le peuple et de réduire les pasteurs à n'être que ses délégués; c'est surtout à l'occasion de la bulle Unigenitus, condamnant cent une propositions des Réflexions morales de Quesnel sur le nouveau Testament. La 90° est ainsi conçue : « C'est l'Église qui a l'autorité d'excommunier pour l'exercer par les premiers pasteurs, du consentement au moins présumé de tout le corps. » Afin de justifier cette proposition, Quesnel et ses défenseurs emploient la distinction que nous attaquons.

« On doit croire, dit La Chambre, que le corps des pasteurs est propriétaire du pouvoir des clefs, à l'exclusion de la communauté des fidèles, et qu'il est faux que les ministres de l'Évangile ne soient que de simples délégués chargés du soin d'en exercer les actes et les fonctions. Personne n'ignore que le sentiment contraire a été condamné à Rome et en France 1 dans les écrits du fameux Edmond Richer, docteur en théologie de la Faculté de Paris et grand-maître du collège du cardinal

1. Paul V. Le cardinal Duperron, archevêque de Sens, à la tête des évêques de sa province, et l'archevêque d'Aix à la tête des évêques de sa province.

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