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Le Français, toujours trop confiant, s'est vu contraint de dévouer à l'horreur des siècles, des hypo-. crites qui avoient usurpé son amour; il ne veut plus d'idoles. Pour conserver sa liberté, un peuple doit louer rarement et n'admirer jamais. Ainsi, en inscrivant dans les fastes du patriotisme le nom d'un vivant, l'éponge sera placée à côté du pinceau ; nous dirons; voilà ce qu'il est aujourd'hui, nous verrons ce qu'il sera demain.

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Il est inoui dans l'histoire qu'un grand pcuple combattant par des efforts soutenus pour sa liberté, ait jamais succombé et quei peuple sublime que celui qui couvre le sol de la France! Mais rappelons-nous sans cesse que l'ignorance et le vice sont les créateurs, les appuis de la tyrannie. Qu'on ne nous dise pas qu'il est des circonstances où l'on doit voiler les statues de la justice et de la morale. Tout doit leur être subordonné le patriotisme sans probité est une chimère, et la liberté ne seroit qu'un frêle édifice, si elle n'étoit fondée sur les lumières et la vertu.

DOGMES RELIGIEUX.

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Lettre du citoyen SABATIER LABASTIE ministre protestant, à l'auteur anonyme de la lettre au curé de Sacy, sur les Dogmes religieux (1).

J'ai lu avec intérêt, mon cher concitoyen, dans la Feuille villageoise, votre correspondance avec le , curé de Sacy, sur les dogmes religieux. Je pense comme lui que les gouvernemens auroient pu prévenir une grande partie des horreurs qu'on impute si mal à propos à la vraie religion qui, bien loin de les avoir approuvées et conseillées, q'a cessé d'en gémir; mais je tiens avec vous que si l'ambition ou l'avarice n'avoient jamais inventé ou que l'ignorance n'eût jamais adopté certains dogmes, la terre en auroit été plus tranquille et le genre hu

(1) Insérée dans le no. 46 de la troisième année.
No. 4. Quatrione année.

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main plus heureux. On auroit alors manqué de prétextes pour tourmenter les hommes au nom du ciel; je tiens avec vous que l'homme qui réussiroit à plonger dans l'oubli tous ces dogmes ou du moins à inspirer pour eux la plus parfaite indifférence, seroit compté avec raison parmi les bienfaiteurs du monde.

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Convenez aussi de votre côté qu'il est dogmes auxquels on ne peut toucher sans ébranler Les fondemens de la morale et ajouter par conséquent aux malheurs des hommes. Non, mon cœur et ma raison n'embrasseront jamais le systême affreux du matérialisme et de l'athéisme qui porteroit le coup mortel à tous les dogmes religieux: j'aimerai toujours à croire que l'homme est l'ouvrage d'un dieu bon qu'il est né pour vivre en société avec ce dieu qu'il ne peut se passer de lui, ni d'un culte par lequel il lui rende seul ou avec ses frères ་ l'hommage d'amour et d'adoration qui lui est si légitimement dû. L'idée d'un dieu rémunérateur et vengeur, et surtout celle d'une immortalité glorieuse et bienheureuse, réjouiront toujours le cœur de l'homme de bien et se laisseront pas, quoi qu'on en puisse dire, de troubler quelquefois la conscience du méchant, au grand avantage de la société. N'est-il pas vrai que ces dogmes-là n'ont jamais fait de mal aux hommes ? Ce ne sont pas eux non plus que vous voudriez proscrire. Voilà le tronc de l'arbre religieux qu'il faut soigneusement conserver, en faisant tomber sous la hache les branches pourries, mortes ou parasites qui l'offusquent et le défigurent. S'il est vrai qu'il puisse exister une morale indépendante de tout systême religieux, il faut du moins convenir que la notion d'un dieu bon, mais juste ne nuira jamais à la bonne morale, et en étayera puissamment au contraire les préceptes et les conseils.

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Il faut bien que l'homme soit né pour la religion, comme je vous l'écrivois un jour, puisque tous les peuples du monde en ont une, bonne ou mauvaise, quoi qu'en aient pu dire des voyageurs peu instruits

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ou de mauvaise foi. Or il n'est point de religion sans dogmes. Il n'est question que de conserver ceux qui sont vrais ou utiles; je vous abandonne les autres.

Dans la religion chrétienne, telle qu'on la recueillie des discours de Jésus-Christ et de ses apôtres, et telle qu'elle fut crue dans les premiers siècles de l'église, il y a très-peu de dogmes. Aimer dieu de tout son cœur, et son prochain comme soimême, c'est la loi et les prophètes, dit Jésus-Christ. Saint Jacques enseigne que la pure religion est d'éviter le mal et de faire le bien. Je suis comme vous de cette religion. J'embrasse aussi les vérités clairement énoncées dans l'évangile, dont le systême n'est, à proprement parler, que celui de la religion naturelle perfectionnée; pour les dogmes que les uns y trouvent et que les autres n'y voient point, je crois que par cela seul que tous ne s'accordent pas à les admettre, ils doivent être assez indifférens, et que tout leur mérite est de nous fournir l'occasion de nous supporter, de nous tolérer mutuellement.

Enfin les dogmes mystérieux, incompréhensibles et qui choquent tous les principes de la raison, les dogmes inventés par les hommes au nom de la religion pour augmenter leur autorité, ou pour ranConner les peuples imbécilles; toutes ces absurdités théologiques qui ont occasionné tant de débats entre les docteurs et fait couler tant de flots de sang sur la terre je crois qu'on ne peut trop se hâter de les bannir de l'enseignement, et de mettre la vérité et la raison à la place de ces épouvantables fantômes. Ce n'est pas la vérité qui a fait le malheur du monde, mais le mensonge, l'erreur, l'imposture. Je ne vois point où seroit l'utilité à proscrire des dogmas vrais je ne vois pas davantage pourquoi l'on s'obstineroit à vouloir conserver des dogmes faux. Les derniers trèscertainement ne peuvent être bons à rien de bon.

Votre confrère cependant voudroit ménager toutes les branches ea faveur du tronc: je crois qu'il a tort, et ses raisons ne m'ébranlent point. Les autorités qu'il allègue sont insuffisantes. Tous ses argumens, vous auriez

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pu, si vous l'aviez voulu, les retorquer, selon moi, avec avantage. Les gouvernemens peuvent sans doute beaucoup: mais ils ne peuvent pas toujours tout, et pourquoi leur imposer des devoirs qu'ils ne rempliront peut être point, lorsqu'il ne faudroit que laisser tomber dans l'oubli des dogmes qui ne sont bons à rien, pour lesquels on a néanmoins fait couler, tant de sang? Les passions sont de l'essence de l'homme je suis là dessus de l'avis de votre confrère; mais pourquoi ne pas se presser de leur ôter un aliment qui les rend furieuses? Les faits qu'il cite, les malheurs qu'il rappelle, n'eussent jamais existé sans doute,si les gouvernemens avoient été sages et éclairés; il est encore plus certain cependant qu'ils n'eussent jamais existé, sans les dogmes absurdes qui en ont été la cause ou tout au moins l'occasion: je dis les dogmes absurdes, car pour les vrais, je le répète ils n'ont jamais troublé la terre.

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L'homme est de glace aux vérités :
Il est de feu pour le mensonge,

disoit le bon Lafontaine, et par une fatalité qu'on ne comprend pas, la chose n'est que trop vraie.

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Hâtons-nous donc, je le répète aussi, de proscrire les dogmes faux: dieu et la philosophie nous en imposent l'obligation sacrée. Mais n'allez pas vous imaginer qu'il faille pour cela de grands travaux. Notre tâche doit se borner à éclairer la raison des peuples sur leurs devoirs et sur leurs intérêts, et à ne plus leur parler de ce qu'ils ne doivent plus croire. Il est pourtant une classe de dogmes, liée à l'exercice journalier de certains cultes, qu'il ne sera pas si facile de faire oublier: toutefois, j'ose espérer que le tems, le progrès des lumières, l'éducation nationale qu'on nous prépare, les leçons des pasteurs nouveaux également patriotes et éclairés, réussiront enfin à leur donner le coup de mort. Je vous salue et vous embrasse de tout mon cœur.

Au citoyen GINGUENÉ,
En lui envoyant la lettre précédente.

Verrons-nous, mon cher instituteur, arriver cet heureux tems où les ministres de tous les cultes consentiront à vivre en paix entre eux, et à y laisser vivre ceux qui leur donnent une confiance dont ils ont quelquefois abusé si cruellement ? Les verronsnous renoncer de bonne-foi à toutes les pieuses absurdités qui deshonorent la raison, et font de l'homme, le plus méprisable et le plus dangereux de tous les êtres? Quand l'intelligence entre le sacerdoce, l'aristocratie et la royauté, pour accabler les peuples d'un double joug, sera-t-elle anéantie dans toute Europe, dans le monde entier ? Quand les églises, les synagogues et les mosquées feront elles place à ces temples simples et augustes où l'on chantera les louanges de l'éternel sans aucun mêlange de superstitieuses cérémonies, et où de vénérables vieillards et des philosophes qui réuniront à l'éclat de la science et des talens le mérite d'une conduite irréprochable, prêcheront l'amour des devoirs que la nature nous impose les uns à l'égard des autres, et ne parleront pas de ces loix arbitraires que des peuples hébêtés préfèrent aux obligations les plus sacrées de la morale; de ces loix inventées par la cupidité, l'orgueil et le despotisme des prêtres?

Pour hâter la chute des temples des faux dieux, pour accélérer la ruine du fanatisme et de la superstition, il faudroit que dans les villes, tous les bons. esprits se réunissent, à certains jours, dans une enceinte commune pour y pratiquer le culte de la loi, pour y traiter des grandes et importantes questions dont la solution peut affermir les principes de la morale, et pour y inculquer la nécessité des vertus sur lesquelles repose la société. Ces temples de la loi, ces temples vraiment constitutionnels une fois fréquentés la désertion des autres s'en suivroit bientôt. Un enseignement conforme à la nature et à la raison, un culte simple et majestueux, une morale pure, dégoûteroient nécessairement d'une doc

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