Page images
PDF
EPUB

société avec ses semblables, ne faut-il pas ensuite pour atteindre ce but, qu'il apprenne à ne rien faire qui nuise à leur conservation, et au soin que doit avoir chacun d'eux de veiller à la sienne? Le Français. Cela est en effet nécessaire.

Le Philosophe. Voilà donc le véritable ordre des devoirs; et malgré l'importance donnée ordinairementà celui de ces devoirs que l'on place le premier, vous voyez bien qu'il ne doit être mis que le troisième. En voici une autre raison : écoutez-la bien, je vous prie.

Pour que l'ordre soit juste et regulier entre trois choses quelconques, il faut que la première conduise à la seconde, et celle-ci à la troisième. Or placez les devoirs envers Dieu à la tête de tous les devoirs qu'arrive til? L'idée nécessairement vague, incertaine, et souvent fausse que l'esprit borné de l'homme se fait de cet Ette incompréhensible, fait qu'il est aussi dans l'incertitude ou même dans l'erreur sur la nature des devoirs qu'il regarde comme les premiers de toas. Tantôt il se représentera Dieu avec toutes ses propres passions; il se le peindra colère, vain, capricieux, jaloux. La superstition l'aveuglera, lui inspirera de fausses vertus à la place des véritables. Elles rompront tous les liens naturels qui devoient l'unir avec les autres hommes, et le porteront même à les hair et à les persécuter. Tantôt il croira que Dieu se laisse séduire et gagner comme un enfant ; qu'en le caressant on obtient tout de lui, qu'en le flattant on désarme sa justice. Il imaginera des expiations, des sacrifices par lesquels il se flattera d'obtenir indulgence pour toutes ses passions, pardon de tous les crimes et dispense de tout ce qu'il doit à ses semblables. Loin donc, en suivant cet ordre, qu'il soit conduit au second de ses devoirs par le premier, il arrivera, ou plutôt il n'arrive que trop souvent qu'il s'en écarte.

D'un autre côté, donnez le premier rang entre les devoirs à celui qui, dans l'ordre de la nature, doit être le second dites à l'homme occupe - toi

:

d'abord de la conservation et du bonheur des autres; tu songeras ensuite à ta conservation et à ton bonheur. N'existe point pour toi existe tout entier pour la société dont tu fais partie. Que ta vie, ton repos, tes biens soient à elle : sois toujours prêt à lui en faire le sacrifice. Il se trouvera sans doute quelques ames fortes qui vous entendront. Des peuples entiers ont été jadis en état de vous entendre. Des institutions admirables, et victorieuse s du premier penchant de la nature, les avoient rendus capables de cette entière abnégation d'euxmêmes. Disons plus: depuis que la France est libre, depuis sur tout qu'elle est Républicaine, elle peut concevoir l'espérance de parvenir à cette merale exaltée et surnaturelle qui maintient et fait prospérer les Républiques. Deja même une foule de traits dignes des siècles antiques, a prouvé qu'un grand nombre de Français ne le cède point, à cet égard, aux Romains et aux Spartiates; mais nous sommes loin encore du tems où ces vertus extraørdinaires deviendront pour nous des vertus communes; la morale que nous cherchons ne doit pas être celle de quelques hommes, mais celle de tous; elle ne doit même pas être celle d'un peuple ou de quelques peuples, mais celle de tous les peuples; elle doit donc se conformer à la foiblesse humaine ; elle doit pouvoir nous conduire à ces hauteurs de la vertu publique, mais par degrés, et par le sentier même des vertus privées. Elle doit, comme un orateur habile, attirer l'attention, disposer les esprits, et préparer les voies. Elle doit enfin gagner, en quelque sorte, l'homme à ses semblables et à sa patrie, en ne lui parlant d'abord que de lui-même.

Voulez-vous être entendu de tout le monde ? dites simplement à l'homme: Tu es fait pour t'occuper de ta conservation et pour travailler à ton bonheur, c'est là ta règle et ta boussole. Si tu peux te suffire à toi-même, si ton bonheur ne dépend que de toi, s'il peut être l'ouvrage de tes seules mains, me songe qu'à toi; que tout le reste

[ocr errors]

soit pour toi comme s'il n'étoit pas quand tu seras satisfait, tous tes devoirs seront remplis. Mais, mon ami, descends en toi-même : qu'une folle présomption ne t'aveugle pas; pour régler ta conduite, étudie et apprends quelle est ta condition. Ne sens tu pas à chaque instant des désirs ardens qui te troublent, et qui obscurcissent ta raison ? Cependant foible, borné, ne pouvant suffire seul à tes besoins, vois combien de liens t'attachent et te soumettent à tous les objets qui t'environnent. Toujours forcé de te servir de mains étrangères pour élever l'édifice de toa bonheur, n'oublie donc pas que tu ne peux travailler à ce grand ouvrage qu'avec le secours d'autrui. Tu es homme, je le suis aussi, et nos droits Sont égaux Si tu me blesses, je t'offenserai. Si tu veux te rendre heureux. à mes dépens, ne t'attends pas que j'y consente: entrons en négociation, ne che chons point à nous tromper: plus nos conditions seront égales, plus nos secours mutuels nous seront avantageux je défendrai ton bonheur, et tu défendras le mien (1)».

N'est ce pas là le traité dont la nature a mis le germe dans le cœur de tous les hommes lorsqu'elle y a fait naître le besoin de la vie sociale? n'est-ce donc pas aussi le véritable ordre des devoirs ? Que ceux-là soient exactement observés, que l'homme fasse tout ce qu'il se doit à lui-même en le combinant avec ce qu'il doit aux autres hommes, et le but de la nature sera rempli sans même qu'il ait été jusques-là question de son auteur.

[ocr errors]

Mais alors, tranquille sur ses besoins et sur son bonheur, charmé de voir ses semblables satisfaits et heureux comme lui, d'être l'instrument de leur félicité, comme ils le sont de la sienne, le spectacle de ce bel ordre moral, d'accord avec celui qu'offre de toutes parts aux yeux l'ordre non moins admirable du monde physique, parle vivement à son ame de l'Etre infini, éternel, immense, inconcevable, pre

(1) Mably, principes de morale.

mier auteur de cette ravissante harmonie qui règne entre tous les êtres. Si une fois cette idée s'empare de lui, il sent naître un troisième ordre de devoirs, qui s'accorde parfaitement avec les deux autres, et ne risque plus de les troubler. Quel danger courroit-il pour la société ou pour lui-même, en rendant un culte de reconnoissance à ce Dieu dont il croiroit avoir rempli les volontés suprêmes en se rendant heureux?

Le Français. Cela contredit des idées que je m'étois faites depuis long-tems; mais je ne puis disconvenir que cet ordre ne soit plus naturel, plus simple, et sujet à moins d'inconvéniens et d'erreurs.

Le Suisse. J'avois suivi sans trop de réflexion la routine des moralistes; mais je sens qu'en ceci comme en tout, la raison vaut mieux que la routine.

Le Philosophe. Nous sommes donc d'accord sur l'ordre des devoirs de l'homme en société. Vous verrez dans notre premier entretien que nous le seFons aussi sur l'ordre des vertus qu'il doit pratiquer pour les remplir.

ON

CONVENTION NATIONALE.

Récolte et fabrication du salpêtre.

-

14 frimaire.

La République française attaquée à la fois par toute l'Europe esclave, entretient en activité douze armées. Toutes font presque continuellement le coup de canon et de fusil. Lorsqu'on ne se bat pas on. s'exerce. Dans l'intérieur tout est hérissé de canons : par-tout des compagnies de canonniers, qui prennent chaque jour des leçons de cet art où le Français, excelle. Jamais depuis l'invention de la poudre, on n'en a vu une consommation pareille.

Cette poudre est, comme on sait, une composition de soufre, de charbon, et de uitre ou de salpêtre. Heureusement le sol français est riche de cette production, sans quoi il seroit déja épuisé. Les travaux. No. 11. Quatrième année.

L 5

de la régie nationale ont constamment augmenté la production annuelle; mais les récoltes accoutumées ne répondent plus ni à l'ardeur ni au nombre de nos guerriers. La multiplication des armes exige celle de la poudre, et par conséquent du salpêtre qui en est la base.

Le comité de salut public a envoyé dans plusieurs départemens des hommes actifs et éclairés chargés d'en accélérer et d'en grossir la récolte par tous les moyens que l'art fournit. Il a de plus proposé de joindre à toutes ces mesures particulières une grande mesure générale, que la Convention s'est empressée: d'adopter.

Elle ne prescrit point par ce décret des recherches bien difficiles. Il n'est pas un lieu habité par des hommes, ou des animaux, qui ne contienne du nitre, pas de caveaux, d'écuries, qui ne récèlent plus ou moins de ce sel précieux.

L'opération n'est pas plus difficile que la recherche; et pour que rien n'embarrasse ni dans l'une, ni dans l'autre, le comité de salut public a joint au décret une instruction claire et précise, aussi aisée à suivre qu'à entendre.

Est-il besoin d'y rien ajouter? et ne suffit-il pas à des Républicains qu'on leur indique une manière sûre d'augmenter leurs moyens de résistance contre les ennemis de leur liberté ?

Bornons-nous, donc à faire connoître le décret et l'instruction précieuse qui l'accompagne.

La Convention nationale; considérant que tous les citoyens français sont également appelés à la défense de la liberté, que tous les bras doivent être armés pour elle; que toutes les propriétés doivent concourir aux moyens de repousser la tyrannie, et qu'au moment où les manufactures d'armes à feu se multiplient sur toute la surface de la République, il faut multiplier les fabriques de salpêtre en même proportion, décrète ce qui suit:

Art. Ie. Tous les citoyens, soit propriétaires, soit locataires, excepté ceux dont les habitations sont comprises dans l'arrondissement d'un salpêtrier, et

« PreviousContinue »