Page images
PDF
EPUB

dre un recours contre la mesure qui l'atteint. Il faut nécessairement que la loi garantisse, à ce point de vue, les droits de tout intéressé.

En dehors de cette disposition, alors surtout que la mesure intervenue n'est point notifiée et n'est donc pas réellement connue du principal intéressé, le droit de recours est une véri table et cruelle ironie. Nous avons vu la loi prévoir six cas différents pour l'internement. Comment l'intéressé se retrouvera-t-il làdedans? Comment saura-t-il si c'est l'autorité locale ou le bourgmestre, si c'est la députation permanente ou le Gouverneur, si c'est un parent ou simplement une personne se disant intéressée qui a agi? Comment saura-t-il les raisons sur lesquelles on se base, et les armes dont on use contre lui? Du reste le plus souvent il ignorera même la faculté qui lui est laissée par le législateur. Et ne pouvant faire quoi que ce soit, il sera condamné irrémédiablement. Le nombre croissant renseigné pour les aliénés par nos statistiques, nous montre assez qu'il y a là des mesures à prendre et que le législateur ne peut laisser, sans les plus graves inconvénients, de les introduire à bref délai.

On dira bien, il y a le comité permanent

d'inspection, qui est composé des hommes les plus honorables. Ce comité ou l'un des membres passe de temps à autre dans l'établissement. Il voit le directeur comme aussi les internés. Seulement il se trouve entouré du procureur du Roi, de la magistrature à laquelle on peut recourir, des médecins, qui se sont prononcés, et son action ainsi se trouve forcément gênée et limitée. Elle ne peut avoir qu'un effet moral, précieux sans doute pour l'intéressé, quand il est assez heureux pour rencontrer des hommes bienveillants, mais qui est loin de le tirer d'affaire.

Le bourgmestre de la commune, le Gouverneur de la province, le juge de paix ne peuvent pas agir davantage. Ils sont d'ailleurs influen

cés

par les rapports existants tout comme par le directeur de l'établissement, qui aura beau lui-même vouloir le bien et qui se trouvera malgré lui entraîné par l'intérêt de l'institution. Depuis longtemps on sait du reste combien c'est chose délicate de se trouver placé entre son intérêt et sa conscience.

Tout le monde se rapelle André Chénier enfermé, au moment de la révolution, à la conciergerie, et les vers immortels qu'il fit à cette

1

occasion. Il constate, lui aussi, que dans les grandes circonstances, parents, amis rarement vous soutiennent, et que, à ces moments, ordinairement on se trouve seul. Le poète latin n'a-t-il pas dit déjà: « Tempora si fuerint nubila, solus eris. » On ne s'étonnera donc pas de nous voir déclarer que l'interné doit se trouver, chaque fois qu'un abus est commis, abandonné à peu près à ses propres forces.

Le législateur a voulu parer à cette situation. Il a donné à toute personne retenue dans un établissement d'aliénés comme à toute personne intéressée le droit de se pourvoir, à quelque époque que ce soit, devant le président du tribunal du lieu de la situation de l'établissement et, en appel, devant le président de la Cour d'appel.

C'est en chambre du conseil que le tribunal et la Cour statuent. La requête introduite par la partie ou par son fondé de pouvoirs, est communiquée au ministère public et par celuici, au fonctionnaire ou à la personne qui a provoqué la séquestration, si encore la chose n'est pas oubliée.

Pour les délits et les crimes, on a relevé, pendant de longues années, les inconvénients

que présentaient le jugement et l'examen sans garantie de publicité, sans contradiction ni défense. En serait-il autrement pour l'internement dans une maison de santé? Ne faut-il pas, là aussi, que l'intéressé soit admis à se faire assister régulièrement d'un conseil et à produire tous les éléments voulus pour amener la conviction dans les esprits? Ne faut-il pas aussi là que l'audience soit publique et que les tribunaux prononcent sous l'œil vigilant de tous?

La garantie donnée ne sera jamais complète tant que le système ne sera pas amélioré dans ces conditions. Les abus sont signalés nombreux au sein des Chambres législatives; ils montrent combien une revision des dispositions légales à cet égard est indispensable. Qu'on n'objecte pas qu'il peut se présenter là des inconvénients et des dangers. Qu'on ne dise pas que déjà, pour les prévenus, souvent surgissent des misères. Ce ne sont pas les aliénés dangereux qui useront de la faculté du recours. Et s'il s'en trouve qui soient signalés comme tels sans l'être en effet, et qui demandent aux tribunaux leur élargissement, on verra bien vite à qui l'on a à faire. Au reste le président-est

là qui a la police de l'audience, et qui peut toujours, sans porter atteinte à aucun intérêt, prendre telles dispositions que les circonstances commandent.

Il ne saurait pas être permis au président d'examiner superficiellement les choses, au grand risque de se laisser entraîner par les apparences, par des avis erronés ou intéressés, ou même par des gens maladroits ou mal intentionnés. Il ne saurait pas être permis à la chambre du conseil d'écouter distraitement son rapport au milieu d'occupations multiples et de préoccupations de toute nature, et de décider ainsi du sort d'une personne peut-être définitivement.

Notons encore que le pouvoir donné par la loi au tribunal de première instance comme à la cour, d'agir en chambre du conseil, est absolu et sans limites. Ils se prononcent comme ils l'entendent, recueillent leurs renseignements où ils veulent ou n'en recueillent point, à volonté, font comparaître l'intéressé ou ne le font pas venir du tout, et c'est là en fait, ce qui arrive le plus souvent, envoient un médecin et réclament son rapport ou se passent de tout contrôle, entendent un

« PreviousContinue »