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XI

La liberté individuelle

et l'article 14 de la Constitution

Nous avons dit, - et c'est d'évidence, que la liberté individuelle comprend la liberté de conscience et la liberté des cultes. Nous avons à examiner ceci de plus près dans le présent chapitre.

§ 1. L'homme est essentiellement libre. C'est par là qu'il s'élève au-dessus de tout ce qui l'entoure. Quand il voit le monde et ses beautés, la nature et ses produits variés, la succession des temps et des saisons, avec leurs agréments infinis, les plantes, les animaux, les oiseaux, les poissons et les êtres de tous genres, quand il considère ces mondes innombrables qui se meuvent dans l'espace, il fait un retour

sur lui-même, comprend sa faiblesse, sent son âme s'élargir et perçoit l'Etre infini qui crée et domine tout. La Divinité, source de tous les biens, appelle nos hommages et notre culte.

Tous les peuples ont eu toujours un Dieu à vénérer; tous les temps en ont proclamé la grandeur et la majesté.

Lorsque nous parcourons l'histoire, nous voyons les hommes s'incliner sous sa main puissante et l'honorer toujours. Mais les cultes. sont essentiellement divers et varient considérablement. Nous ne voulons pas rappeler ici tous les cultes qui ont partagé l'humanité. Ceci nous conduirait trop loin. Qu'il nous suffise de dire que notre pays, en ce moment même, est encore profondément divisé à cet égard. Si le catholicisme s'étend à la majeure partie du territoire, nous ne pouvons laisser de tenir compte de cette circonstance que beaucoup de Belges pratiquent le protestantisme, le judaïsme, le catholicisme libéral, ou sont affiliés à la Libre Pensée, ou ne veulent autre chose que l'athéisme.

La religion a amené entre les hommes bien des discordes et bien des guerres. Qui ne connaît les luttes du xvrme siècle, qui firent

répandre tant de sang et occasionnèrent au pays tant de malheurs? Il convient d'éviter ces extrémités et ces misères et de reconnaître pleinement la liberté qui est de l'essence de l'humanité.

Le catholicisme, le protestantisme, le judaïsme proclament un seul Dieu et le reconnaissent comme le Maître de l'univers. Il est la souveraine bonté, la souveraine vérité, la souveraine beauté; il étend sa main sur tous les hommes, les gouverne et les conduit; en tout, il leur sert d'appui. La Libre Pensée aussi honore un dieu unique et lui rend son culte. Les doctrines religieuses sont ainsi essentiellement réconfortantes et bonnes, attachantes et douces. Et néanmoins, qui le croirait? - il est né de là des divisions et des haines et des maux infinis. Il fallait les éviter à tout prix; il fallait unir les hommes; il fallait proclamer pour eux le droit de choisir leur Dieu et de l'honorer comme ils l'entendent. Et s'il plaît à certains d'entre nous, comme c'est le cas, de méconnaître l'existence de la Divinité et de se rallier à l'athéisme, l'homme, dans sa liberté, doit être admis à agir comme il lui convient.

L'intolérance n'est plus de notre temps.

Tous les cultes doivent se tendre la main pour relever l'humanité, tous les cultes doivent nous unir dans un même amour. Mais l'homme ne saurait être contraint de se rallier à une religion plutôt qu'à l'autre; il ne saurait être contraint de pratiquer une doctrine quelle qu'elle soit. C'est ce qui a été admis en 1789, c'est ce qui a été reconnu peu à peu dans tous les pays, c'est ce qui a été proclamé dans la Constitution. de 1815, comme dans celle qui est issue de la révolution belge et qui nous régit depuis 1830.

L'article 14 de notre pacte fondamental garantit, de la façon la plus absolue, la liberté des cultes et celle de leur exercice public; il ne fait une réserve que pour la répression des délits commis à l'occasion de l'usage de ces libertés.

Nous ne pouvons laisser de rappeler ici que la liberté des cultes a amené le Jugement doctrinal de 1815, par lequel les évêques ont vivement protesté contre la règle introduite dans la loi fondamentale. Nous ne pouvons laisser encore de rappeler que le Pape, dans sa célèbre encyclique, le Syllabus, a admis la liberté des cultes, mais non en thèse générale et sans la reconnaître comme un principe de droit naturel.

A raison de son importance, nous devons veiller avec un soin religieux à maintenir la liberté des cultes. Nous ne saurions prendre assez de précautions pour empêcher, pour prévenir toute atteinte qui pourrait y être portée. Voyons les dispositions prises par le législateur pour arriver à ce résultat.

Le code pénal a pris des dispositions sérieuses pour assurer le libre exercice des cultes. Dans ses articles 142 à 146, la plupart des cas où la Constitution pourrait être violée à ce point de vue, se trouvent prévus.

Toute personne qui, par des violences ou des menaces, dit le législateur, aura contraint ou empêché une ou plusieurs personnes d'exercer un culte, d'assister à l'exercice de ce culte, de célébrer certaines fêtes religieuses, d'observer certains jours de repos, et, en conséquence, d'ouvrir ou de fermer leurs ateliers, boutiques ou magasins, et de faire ou de quitter certains travaux, sera puni d'un emprisonnement de huit jours à deux mois, et d'une amende de 26 à 200 francs.

Il ne s'agit pas là des fonctionnaires, pour lesquels existe une disposition spéciale. Il s'agit de toutes autres personnes quelconques. Il est

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