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rien ne puisse la lui enlever, hormis la nécessité publique bien démontrée.

Parcourons aujourd'hui nos cités. Nous y voyons tous les jours réaliser de grands travaux. Des artères nouvelles sont établies, de larges et splendides boulevards sont construits, des promenades, pleines d'agrément et de beauté sont créées, des monuments de premier ordre sont élevés. Celui qui parcourt nos villes, est étonné de voir cet esprit d'entreprise et de constater ces prodigieux résultats. Il y applaudit en envisageant les choses du point de vue esthétique, il en jouit largement et il admire.

Mais considère-t-il les choses à un autre point de vue, songe-t-il à la propriété et à ses effets, réfléchit-il au bien créé par la propriété, il en arrive peut-être à d'autres conclusions. Ce n'est pas une nécessité absolue, qui a fait établir ces promenades et ces boulevards, ce n'est pas une nécessité absolue, qui a fait créer ces nouvelles rues et ces nouvelles artères. Parfois on a invoqué l'hygiène publique; d'autres fois, on s'est prévalu des difficultés de la circulation, et l'on a opposé la sécurité publique. Mais pour . celui qui a pénétré au fond des choses, il n'y avait le plus souvent qu'un intérêt d'agrément,

tout au plus un intérêt d'utilité générale. Le meunier Sans Souci, s'il vivait à notre époque, aurait donc beau faire; il serait exproprié bel et bien.

Il est assez curieux de constater que les Constitutions de 1791, de 1793 et de l'an III étaient plus sévères; elles voulaient, elles, que la nécessité publique exigeât évidemment l'expropriation. Certains auteurs, et non des moins distingués, trouvent ces termes trop restrictifs; d'après eux, le droit de l'Etat en devenait pour ainsi dire illusoire. Pour eux, l'utilité publique suffit, même en droit naturel, pour justifier l'expropriation.

Je ne sais s'ils ont bien raison. Le droit naturel considérant la propriété comme inhérente à la nature humaine, doit la lui laisser entière, inattaquable, inaccessible à tous autres. La seule exception qu'on puisse accepter, c'est la nécessité publique bien démontrée.

Je suis loin d'être hostile aux grands travaux, aux embellissements de toute espèce qui se réalisent autour de nous. Quand je vois un flot de monde se répandre dans nos cités sous les arbres, qui ombragent nos boulevards, je me sens pénétré d'une intime satisfaction et j'ap

plaudis à l'œuvre entreprise. Quand je suis avec les miens ces larges allées, qui conduisent à nos promenades si belles et si variées, je me sens tout pénétré de bonheur. Quand je parcours nos rues si larges et si belles, où des magasins de toute richesse offrent aux passants les marchandises les plus abondantes et les plus variées, où de riches constructions reposent l'œil et élèvent l'esprit, où des statues et des monuments excitent l'admiration générale, je me sens transporté; une satisfaction indicible parcourt tout mon être.

Mais je n'oublie pas qu'il ne faut pas nécessairement démolir et détruire pour plaire et pour embellir. Je n'oublie pas que telle de nos rues, telle de nos places publiques, dans son antique simplicité, dans sa situation toujours pittoresque et neuve, mérite aussi d'être considérée et que parfois elle appelle l'admiration. plus encore que les créations nouvelles. Je n'oublie pas aussi que souvent la pioche de l'ouvrier a fait disparaître bien des choses qui auraient dû être conservées. Et je me dis: « Pourquoi toujours démolir? Pourquoi toujours s'attaquer aux propriétés? Pourquoi surtout donner à l'expropriation cette étendue?

Il faut laisser à l'homme sa propriété, et savoir renoncer même à un agrément pour la respecter.» Bien souvent au reste pour réaliser la plupart des travaux qui ont une réelle utilité, il n'y aura pas de résistances à briser, il n'y aura pas de difficultés à vaincre. Les particuliers sont prêts à s'entendre et à céder leurs biens. Mais y eût-il un nouveau meunier Sans Souci, et se refusât-il à renoncer à sa propriété, je suis d'avis qu'il y aurait lieu de l'écouter et de lui rendre justice. Je suis d'avis qu'il y aurait lieu de lui laisser son bien, et de renoncer à un travail d'agrément ou de simple utilité.

On parle de collectivisme et de socialisme; on redoute avec raison des théories qui s'attaquent à la propriété. Qu'alors aussi on ne les favorise pas, et qu'on ne les encourage d'aucune façon. L'expropriation pour cause d'utilité publique, poussée à l'extrême, peut évidemment conduire à cette conséquence. Pour l'empêcher, il faut donc revenir à la règle inscrite dans les Constitutions de 1791, de 1793 et de l'an III et proclamer dans nos lois que la nécessité publique seule légitimera l'expropriation.

Les lois qui s'occupent de l'expropriation

pour cause d'utilité publique sont assez nombreuses; c'est la loi du 16 septembre 1807 dans son article 48, qui s'occupe du dessèchement des marais. C'est la même disposition qui traite de l'expropriation des moulins et usines sur les cours d'eau. C'est l'article 55 de la même loi, qui règle l'expropriation des matériaux nécessaires aux travaux publics. Ce sont les dispositions qui déterminent les règles sur l'expropriation pour la construction des fortifications. C'est la loi du 2 mai 1837, qui s'occupe de l'expropriation dans l'intérêt des mines. C'est la loi du 21 avril 1810, qui s'occupe de l'expropriation des mines elles-mêmes. C'est la loi du 10 avril 1841, qui règle les expropriations pour les chemins vicinaux. C'est la loi du 15 avril 1843, qui s'occupe des plantations et bâtisses, etc., le long des chemins de fer. C'est la loi du 1er février 1844 dans ses dispositions relatives à l'alignement dans les villes. C'est la loi du 25 mars 1847, qui s'occupe de l'expropriation des terrains incultes. Ce sont les lois du 1er juillet 1858 et du 15 novembre 1867, qui traitent de l'expropriation par zones, en vue de l'assainissement des quartiers insalubres.

Pour l'expropriation mobiliaire, nous avons

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