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de les perdre quand ils voulurent régner par eux

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Maîtresse de toutes les places, elle les distribuait à ses favoris, et en écartait ceux qui lui témoignaient de l'aversion: elle mettait à la tête de nos armées des généraux sans caractère, sans expérience, sans vertu, indignes de marcher à la tête de nos braves guerriers; tandis que des capitaines capables de ramener la victoire sous les drapeaux français étaient rejetés à l'écart : la patrie éplorée réclamait vainement leur courage, leur expérience et leurs services; la favorite aimait mieux les généraux qui la flattaient, en perdant la patrie, que ceux qui auraient sauvé la France.

Un des plus déplorables résultats de l'autorité souveraine de cette femme fut l'alliance de l'Autriche avec la France, et cette guerre à jamais funeste où la fille de Poisson sacrifia au profit de sa nouvelle alliée les trésors de la France, la gloire de ses armes et des troupes nombreuses qui, mieux commandées, l'auraient dignement soutenue.

Quelle cause si grave avait donc pu entraîner cette femme dans cette funeste démarche ? Le roi de Prusse l'avait raillée; l'impératrice l'avait flattée. Voilà le motif d'une guerre qui a coûté à la France son honneur et le sang de ses enfants. Quoique la guerre de sept ans retentisse si douloureusement au cœur d'un Français, il fallait la rappeler ici afin de montrer de quoi était capable la marquise de Pompadour pour satisfaire son ambition et assouvir sa vengeance.

Cette guerre odieuse, qui aurait dû lui aliéner tous les

(4) Mémoires du duc de Richelieu, t. 9, p. 85.

cœurs, rapprocha d'elle les chefs du parti philosophique, dont elle recherchait l'appui.

Voltaire, relégué alors sur les frontières de la Suisse, connaissait le caractère de la Pompadour, et ses dispositions différentes à l'égard de Frédéric et de Marie-Thérèse. Il sut les mettre à profit. Il lui faisait rapporter de la part de l'impératrice des propos menteurs, mais très flatteurs pour elle, et s'efforçait de lui faire oublier qu'il avait été l'ami de Frédéric. Tantôt il racontait à Richelieu, avec prière de le faire savoir à Louis XV et à la marquise, que le roi de Prusse lui avait proposé d'aller le voir, mais que lui, Voltaire, avait refusé d'accepter les offres d'un prince ennemi de la cour de France. «Le roi, ajoutait-il, ne s'en soucie guère, mais je voudrais qu'il pût en être informé (1). » D'autres fois il se faisait adresser par quelque princesse anonyme d'Allemagne des lettres remplies d'outrages contre Frédéric et de flatteries pour la favorite, puis il écrivait au maréchal de Richelieu : « Je sais que l'impératrice a parlé, il y a un mois, avec beaucoup d'éloge de madame de Pompadour. Elle ne serait peut-être pas fâchée d'en être instruite par vous; et comme vous aimez à dire des choses agréables, vous ne manquerez peut-être pas cette occasion.

<< Si j'osais un moment parler de moi, je vous dirais que je n'ai jamais conçu comment on avait de l'humeur contre moi, de mes coquetteries avec le roi de Prusse. Si on savait qu'il m'a baisé un jour la main, toute maigre qu'elle est, pour me faire rester chez lui, on me pardonnerait de m'être laissé faire; et si l'on savait que cette

(1) Corresp. génér.,1756 6 octobre. Lettre au maréchal de Richelieu.

année on m'a offert carte blanche, on avouerait que je suis un philosophe guéri de ma passion.

« J'ai, je vous l'avoue, la petite vanité de désirer que deux personnes le sachent (Louis XV et la marquise de Pompadour); et ce n'est pas une vanité, mais une délicatesse de mon cœur, de désirer que ces deux personnes le sachent par vous. Qui connaît mieux que vous le temps et la manière de placer les choses ? » (1)

Louis XV ne donna jamais son estime à Voltaire; mais la marquise de Pompadour ne lui refusa point la sienne. Elle avait besoin de son influence: elle n'épargna rien pour l'augmenter et la faire servir à ses projets. Il lui fallait encore un homme d'état qui pût les exécuter: elle le trouva dans le duc de Choiseul.

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CHAPITRE QUATRIÈME.

Le duc de Choiseul arrive aux affaires. De concert avec la marquise de Pompadour, il trame la perte du Dauphin et poursuit celle de la Compagnie de Jésus.

Le comte de Stainville, depuis si fameux sous le titre de duc de Choiseul, était porté à la magnificence et dévoré d'ambition. Jeune encore, il s'occupa d'égaler sa fortune à ses désirs : il avait dans l'esprit des ressources propres à le conduire à ses fins. « De Choiseul, dit l'auteur des Mémoires de Besenval, était d'une taille médiocre. Quoiqu'il fût laid, sa figure avait quelque chose d'agréable. Il avait des façons nobles, pleines de grâce. Sa confiance

(1) Corresp. génér., 1756, 10 octobre, Lettre au maréchal de Richelieu.

était extrême, et cependant ne le préservait pas d'un embarras facile à discerner. Prompt à recevoir des impressions, il les quittait plus promptement encore: son inconcevable légèreté, en faisant beaucoup d'inconstants, lui donna beaucoup d'ennemis. Le plus petit obstacle qu'il rencontrait, la plus faible considération, lui faisaient oublier ou violer la promesse la plus solennelle. Sacrifier un homme dans ce cas ne lui paraissait autre chose qu'écarter un léger écueil qui aurait suspendu la marche rapide à laquelle la fortune l'avait accoutumé.

« Capable d'assez grandes idées, il ne pouvait se plier aux détails minutieux..... Naturellement jaloux, il dirigeait de son cabinet les travaux des généraux et des ambassadeurs. Jamais on ne l'entendit louer publiquement ceux même qu'il aimait le plus; et sa politique secrète fut de n'en élever aucun au point de lui faire ombrage.

« Inaccessible aux conseils, il n'en demanda jamais; aussi sa présomption était poussée à l'extrême; et l'on apercevait à chaque instant la différence infinie qu'il mettait entre lui et les autres hommes.

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Élégant dans ses manières, mais dissolu dans ses mœurs, il se fit remarquer par ses débauches, dans une cour où la débauche était passée en mode. Sa vanité ne le cédait qu'à ses goûts luxurieux, qui le faisaient souvent ramper aux pieds des courtisans. » (1)

Il avait déjà passé quelque temps sous les drapeaux français, lorsque la marquise de Pompadour, dont il avait

(4) Mémoires du baron de Bescnval, t. 1, p. 216.—Madame de Genlis assure dans ses mémoires (t. 1, p. 67 en note) que les mémoires attribués à Besenval sont de la composition de M. le vicomte de Ségur, qui mourut à Barège.

su gagner les bonnes grâces, le fit nommer à l'ambassade de Rome, que les incessantes tracasseries des jansénistes rendaient alors fort importante. Comme il connaissait la haine de la favorite pour les Jésuites, il affecta pour eux et pour leur institut une froideur qui allait jusqu'au dédain. (1)

On raconte que dans la visite que le supérieur général de la Société rendit au nouvel ambassadeur, selon la coutume de tous les généraux d'ordres religieux, « ce<«<lui-ci lui demanda s'il ne pouvait pas lui donner quel«ques renseignements sur un père Jésuite qu'il désirait << connaître à fond; le général répondit à l'ambassadeur <«< qu'il lui donnerait, sous vingt-quatre heures, tous les « renseignements qu'il pourrait désirer: il lui porta en « effet le lendemain des notes si détaillées sur le Jé<< suite français qu'il voulait connaître, qu'il demeura « étonné de la célérité, de l'exactitude, du détail et de << tout ce qu'offrait de curieux la notice du général. N'en « soyez pas étonné, M. l'ambassadeur, repartit le religieux; « tous les ans nos recteurs envoient aux provinciaux des « notes sur le caractère, l'esprit, les connaissances, la «< conduite, les occupations de chacun de nos pères; le pro« vincial en dresse des tableaux pour l'assistance de France, « et l'assistant français qui réside à Rome, à côté de moi, « me rend compte, au besoin, du naturel de chacun des re«ligieux de la Compagnie.

« M. de Stainville, ajoute-t-on, qui aspirait à devenir << premier ministre, conçut des craintes de cette harmo<< nie, et comme il eut depuis bien des choses à se re<< procher relativement à ses relations avec cette com

(1) Mémoires du duc de Richelieu, t. 9, p. 247.

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