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société les principes d'ordre et de soumission qu'elle inculquait à la jeunesse et aux peuples.

Les spéculateurs politiques virent dans sa destruction le moyen de tarir les vocations qu'elle fournissait à l'état monastique et la facilité de procéder à la ruine des ordres dont ils convoitaient les possessions.

Assaillie par une ligue si puissante et si audacieuse, la Compagnie de Jésus devait enfin succomber. Et, afin que dans cette conjuration il n'y eût de noble que le sort des victimes, ce fut la marquise de Pompadour qui en assura le succès.

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CHAPITRE TROISIÈME.

La marquise de Pompadour, dont la faveur à la cour était un scandale public, jure la perte des Jésuites, qui avaient refusé de se prêter à ses projets sacriléges. Quelques magistrats sont associés à ses projets

La marquise de Pompadour exerça sur les affaires religieuses et politiques de son temps une influence incontestable maîtresse des affections et de la volonté d'un monarque indolent, elle se servit plus d'une fois de sa puissance pour sacrifier à ses caprices ou à ses colères la religion, les mœurs et la patrie. Il n'est pas, dans les annales de cette époque, une page qui ne soit souillée de son nom; pas un événement de quelque importance, pas une attaque contre la religion où elle ne se trouve mêlée, soit pour l'amener, soit pour y prendre part. Il est donc nécessaire de montrer ici par quels degrés elle arriva à la puissance souveraine que bientôt nous lui

verrons exercer.

Jeanne Poisson, depuis si fameuse sous le nom plus sonore de marquise de Pompadour, fut le fruit des débauches d'une femme qui ne connut jamais la fidélité conjugale. (1)

Le Normant de Tourneheim, qui croyait en être le père, se chargea de son éducation, et lui en fit donner une que sa complice ne désavoua point.

A peine âgée de seize ans, Jeanne Poisson était une coquette qui savait relever une beauté naturelle par l'éclat et l'ajustement d'une parure recherchée, qui avait les goûts des plaisirs et l'art de se les assurer par les appâts du luxe.

Peu de temps après, de Tourneheim la donna pour épouse à son neveu, Le Normant d'Étioles, malgré les répugnances du père de ce jeune homme, qui ne voulait pas admettre avec son sang un sang si impur.

La nouvelle dame d'Étioles justifia bientôt les répugnances de son beau-père: aussi étrangère à la foi conjugale que sa mère, elle dédaigna son époux, dont la bonhomie et les grandes richesses favorisaient également ses goûts pervers. Elle profita de l'une et des autres pour acquérir dans la capitale cette sorte de réputation que s'étaient faite plusieurs courtisanes. Sa maison devint le rendez-vous des beaux-esprits, parmi lesquels brillèrent Voltaire, Cahusac, Fontenelle, Montesquieu, etc. De Bernis, qui était venu à Paris à la recherche d'une

(1) Cette femme avait été mariée à un commis nommé Poisson et attaché à l'administration des vivres de l'armée. D'autres affirment que c'était un boucher. Celui-ci fut mis en jugement et condamné à être pendu ; il n'évita la sentence que par la fuite. Un nouveau jugement lui permit dans la suite de rentrer dans sa patrie; mais il fut toujours marqué de la tache que le premier lui avait imprimé.

fortune, se fit connaître dans cette réunion par des mots heureux, des réparties spirituelles et des couplets délicats; il inspira à son hôtesse une affection qui fut le principe de la fortune qu'il cherchait (1). La régularité de ses traits, la beauté de sa figure, l'élégance de ses manières lui firent donner le surnom de la belle Babet; et Voltaire, dans la familiarité de leur correspondance, lui rappelle souvent un sobriquet dont Bernis alors ne parut pas rougir.

Cependant la dame d'Etioles aspirait à une plus brillante conquête. Louis XV, indifférent aux efforts que faisaient de concert le Dauphin et Boyer, évêque de Mirepoix, pour éloigner de sa cour le scandale et la honte, avait déjà donné des marques déplorables de faiblesse ; et la faveur infâme dont jouissait alors auprès de ce prince la duchesse de Châteauroux avait excité la jalousie et l'ambition de la dame d'Etioles. Celle-ci rencontra dans le parti opposé au Dauphin, des flatteurs et des amis qui servirent à la cour ses projets amoureux. Ils cherchaient ou faisaient naître l'occasion de vanter au roi les qualités de cette femme, ses manières, sa noblesse et så beauté, pour lui inspirer le désir de la voir. (2)

(4) Mémoires historiques et Anecdotes de la cour de France pendant la faveur de la marquise de Pompadour, t. 1, chap. 1, p. 1 et suiv.

(2) Mémoires du duc de Richelieu, t. 8, p. 150 et 151, 2o édit. Nous n'attachons pas à cet ouvrage plus d'importance qu'il n'en mérite. Soulavie, qui en est l'éditeur, a eu à sa disposition des documents curieux, des pièces rares et authentiques; il ne les a pas toujours données dans leur intégrité; mais il est facile de le corriger par d'autres monuments contemporains, et de profiter ainsi des anecdotes et des révélations précieuses contenues dans les mémoires de ce compilateur, sans les confondre avec les mensonges qu'il y mêle. Voir, dans le Moniteur du 24 février 1791, une lettre où Soulavie prouve assez bien qu'il avait reçu du duc de Richelieu des pièces, des lettres originales et une foule de confidences verbales.

De son côté, la dame d'Etioles observait avec soin et saisissait avec empressement les circonstances où elle espérait pouvoir attirer sur elle les regards du prince. Elle revêtait alors des habits d'un luxe royal, et mettait à relever sa beauté toutes les ressources d'une vanité et d'une imagination lascive. Puis elle se rendait dans une voiture légère et découverte, à la forêt de Sénart, ой Louis avait coutume de faire des parties de chasse, et s'étudiait à le rencontrer et à le croiser le plus souvent qu'il lui était possible. La duchesse de Châteauronx s'en aperçut elle fit souffrir à cette femme importune des affronts qui humilièrent son orgueil sans rebuter son ambition. La persévérance de la dame d'Etioles, secondée par des courtisans et par le valet de chambre du roi, triompha des obstacles que lui opposaient à la fois la jalousie de ses rivales, le dédain des seigneurs et la religion du Dauphin et de Boyer. Elle enchaîna le cœur d'un prince sans énergie, et prit sur lui-même un ascendant qu'elle ne perdit plus.

Ce n'était pas la première fois que cette femme était infidèle à son époux; mais elle ne rompit avec lui que lorsque, sûre des faveurs royales, elle se servit de son nouveau pouvoir pour l'obliger à se prêter à tous les crimes de son épouse. D'abord exilé à Avignon, Le Normant d'Etioles fut ensuite rappelé à Paris où des pensions et des charges lucratives furent le prix de sa complaisance.

Les parents de la favorite ne tardèrent pas à partager sa fortune son frère utérin fut d'abord créé marquis de Vandière, que les seigneurs de la cour, par un jeu de mots dérisoire, appelaient marquis d'avant-hier. Cette plaisanterie valut au parvenu le marquisat de Marigny, dont il porta le titre.

Quant à la favorite, le roi semblait être disposé à ruiner l'Etat pour l'enrichir : il lui accorda le marquisat de Pompadour; acheta ou fit construire à grands frais des châteaux et des maisons de plaisance pour loger une prostituée. Il suffisait qu'une terre, qu'un point de vue parût lui plaire, pour que ce prince en expropriat en sa faveur les possesseurs légitimes. Aussi cette femme, sortie de la boue, se vit-elle en peu de temps à la tête de la plus brillante fortune du royaume. Outre les revenus immenses de ses biens-fonds, les grandes banques de l'Europe, dépositaires, de sa part, de sommes considérables, lui rétribuaient chaque année d'énormes intérêts.

La prospérité scandaleuse de la marquise humiliait la France, et affaiblissait dans tous les cœurs l'amour et le respect pour le monarque. Les seigneurs de la cour s'indignaient en présence d'une impudique qu'on élevait de si bas jusqu'à leur hauteur. Mais l'orgueilleuse parvenue ne supportait point patiemment leur dédain : l'exil et la prison la vengeaient ordinairement de quiconque ne la traitait pas en reine.

Le Dauphin, dont le caractère était aussi noble que sa naissance, gémissait de la honte de son père il s'affligeait surtout de l'affront que cette ignoble conduite faisait à la reine, dont la vertu semblait briller d'un nouvel éclat à côté de la courtisane en faveur. Dans son indignation, il refusait toujours à celle-ci les égards qu'il accordait à la dernière femme du peuple. La marquise de Pompadour eut l'audace de s'en plaindre à son royal amant; et elle serait parvenue à mettre la discorde entre le père et le fils, si le Dauphin avait eu le cœur moins généreux, et s'il eût moins respecté un père, même un père dégradé.

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