Page images
PDF
EPUB

s'entendre et d'éviter une fâcheuse collision, résultat nécessaire d'une première comparution devant la justice. Dans beaucoup de circonstances, la citation est le premier acte qui avertisse le défendeur, lorsque l'essai de conciliation n'est pas exigé, Si le texte du décret du 30 mars 1808 offrait quelques doutes, quelque incertitude d'interprétation, il faudrait le ramener, dans l'exécution, aux vues toutes pacifiques du législateur du Code de procédure.

II. Voici le texte des articles invoqués par M. le ministre de la justice.

ART. 19. Il sera tenu au greffe un registre ou rôle général, coté et paraphé par le premier président, et sur lequel seront inscrites toutes les causes dans l'ordre de leur présentation. Les avoués seront tenus de faire cette inscription la veille au plus tard du jour où l'on se présentera à l'audience. Chaque inscription contiendra les noms des parties, ceux de l'avoué, et en marge sera la distribution faite par le premier président.

ART. 21. Au jour de l'échéance des assignations, l'huissier audiencier fera successivement, à l'ouverture de l'audience, l'appel des causes, dans l'ordre de leur placement au rôle général. Sur cet appel, et à la même audience, seront donnés les défauts, sur les conclusions signées de l'avoué qui les requerra, et déposées sur le bureau, en se conformant au Code de procédure.

ART. 55.-Il sera tenu au greffe un registre ou rôle général, coté et paraphé par le président, sur lequel seront inscrites. dans l'ordre de leur présentation, toutes les causes, en exceptant seulement celles dont est mention aux articles suivants.Les avoués seront tenus de faire cette inscription la veille au plus tard du jour où on se présentera; chaque inscription contiendra les noms des parties, ceux des avoués, et en marge sera la distribution faite par le président.

ART. 59.-Au jour où l'on se présentera, l'huissier audiencier fera successivement, à l'ouverture de l'audience tenue par le président, l'appel des causes dans l'ordre de leur placement au rôle général. Sur cet appel, et à la même audience, seront donnés les défauts sur les conclusions signées de l'avoué qui les requerra, et déposées sur le bureau, en se conformant au Code de procédure.

ART. 61.-Les affaires autres que celles exceptées par les articles précédents seront, chaque jour d'audience, distribuées par le président entre les chambres, sur le rôle général, de la manière qu'il trouvera le plus convenable pour l'ordre du service et l'accélération des affaires. Il renverra aussi à chaque chambre les affaires dont elle doit connaître, par motifs de litispendance ou de connexité.

ART. 68.- Un certain nombre des causes affichées sera appelé le premier jour d'audience de chaque semaine qui suit celle de l'exposition de l'affiche.

ART. 69.-En cas de non-comparution des deux avoués à cet appel, la cause sera retirée du rôle, et l'avoué du demandeur sera responsable envers sa partie, de tous dommages et intérêts, s'il y a lieu. Si un seul des avoués se présente, il sera tenu de requérir jugement; si les deux avoués sont présents, ils seront tenus de poser les qualités et de prendre des conclusions, il leur sera indiqué un jour pour plaider. S'il y a des obstacles à ce que les avoués ou défenseurs, ou l'un d'eux, se trouvent au jour indiqué, ils devront en faire sur-le-champ l'observation, et si le tribunal la trouve fondée, il sera indiqué un autre jour.

L'interprétation la plus simple et la plus naturelle de ces divers articles est celle-ci :

Les avoués pourront présenter les causes pour l'inscription sur le rôle général, immédiatement après avoir reçu l'original de l'assignation ou de l'acte d'appel; mais ils seront tenus de le faire la veille au plus tard du jour où ils se présenteront à l'audience pour prendre avantage contre le défendeur défaillant.

Quant à l'ordre dans lequel les causes seront appelées pour l'obtention des défauts, l'huissier devra suivre le placement sur le rôle général, et néanmoins attendre l'échéance des assignations avant d'appeler une cause, quelle que soit la date de son inscription sur ce rôle.

A l'appel de la cause fait régulièrement en temps opportun, sans qu'il soit nécessaire de placet, ou de toute autre procédure, l'avoué requiert et obtient défaut contre la partie qui ne comparaît pas. Si cet avoué ne veut pas prendre défaut, la cause est rayée du rôle, ainsi qu'elle le serait lors même que toutes les parties auraient comparu, si aucun des avoués ne se présentait pour prendre avantage et demander audience.

Voilà toute l'économie du décret du 30 mars 1808; d'aucune expression il ne semble résulter qu'on puisse forcer une partie demanderesse, soit en première instance, soit en appel, à faire inscrire sa cause au rôle général.

Examinons maintenant les motifs sur lesquels s'est fondé M. le ministre de la justice.

III. Ces motifs sont de deux ordres différents.

1o Le texte des articles.

2o Des considérations d'intérêt public, de dignité et de statistique.

1o Après avoir posé en principe ce qui est en discussion, à savoir que le règlement du 30 mars 1808, ordonne que les causes seront inscrites sur le rôle général la veille au plus tard de

l'échéance de l'assignation, M. le ministre rapproche les art. 19 et 21, et en tire cette conclusion que ces expressions: la veille du jour où on se présentera sont synonymes de celles-ci : la veille de l'échéance de l'assignation. - Nous reconnaissons avec M. le ministre que ce serait une erreur de croire que le mot audience soit applicable au jour où la cause doit être plaidée. Une cause ne peut être plaidée qu'après avoir subi son tour de rôle ; mais l'erreur qu'il a commise est facile à reconnaître : il a confondu l'obligation d'inscrire la cause au rôle un jour au moins avant de se présenter pour prendre défaut, avec la défense à l'huissier d'appeler les causes avant que le jour de l'échéance des assignations ne soit arrivé; c'est ce jour-là seulement que l'appel de la cause peut être fait, et qu'un défaut peut être pris. Personne ne conteste que les avoués ne puissent, pour prendre rang et date, faire inscrire les causes, où ils sont constitués, sur le rôle général: on conçoit qu'il y a un grand intérêt à faire inscrire immédiatement sur le rôle les causes dans lesquelles les assignations sont données à des personnes domiciliées à une distance fort éloignée ou même hors de la France continentale; l'art. 19 lui-même indique cette faculté, puisqu'il dit : « Les avoués seront tenus de faire cette inscription la veille au plus tard du jour où l'on se présentera à l'audience »; il fallait donc, dans un article subséquent, prévoir le cas où un avoué aurait usé de son droit d'inscription sur le rôle, longtemps avant le jour utile de la présentation, en prescrivant à l'huissier de ne faire l'appel de la cause inscrite qu'au jour de l'échéance de l'assignation. A l'aide de cette explication bien simple, toutes les dispositions de ce décret s'harmonient parfaitement, et nous osons dire qu'il ne peut y avoir le plus léger doute dans le sens opposé au sentiment de M. le ministre.

Le rédacteur de la circulaire fait observer que si les art. 19 et 21 du décret ne sont applicables qu'aux Cours royales, la même règle doit être observée devant les tribunaux de 1re instance. Quant au principe, malgré l'absence des termes de l'art. 21 dans l'art. 59, il est évident que l'huissier n'en doit pas moins attendre le jour de l'échéance pour faire l'appel d'une cause, car s'il procédait autrement, ce serait au tribunal à refuser défaut en se conformant aux dispositions des art. 149 et 150 du Cod. de proc. civ.; mais nous devons avouer que nous n'avons pas saisi les conséquences du rapprochement qu'a faite la circulaire des art 55 et 59, 68 et 69, pour prouver que le jour où on se présente doit être absolument le jour de l'échéance de l'assignation. Lorsque la distribution des causes inscrites au rôle général est faite à plusieurs Chambres, si ces causes sont toujours inscrites sur ce rôle la veille du jour de l'échéance, elles ne seront jamais appelées par l'huissier, ce jour-là, précisément, parce que le travail du président qui est dans l'usage constant

de faire cette distribution hors de l'audience, la confection du rôle de chaque Chambre, la connaissance même que doivent en prendre les avoués, ne permettent pas de supposer qu'entre 'inscription au rôle général et l'appel de la cause à une Chambre déterminée, il ne doive s'écouler que vingt-quatre heures.

2° L'idée principale qui a préoccupé le rédacteur de la circulaire de 1819 et qu'il a reproduite sous plusieurs formes est celle-ci : «<les avoués seront les maîtres de prolonger, comme il leur plaît, la durée du procès. Inutilement le Code de procédure et les règlements auront tracé des règles pour en håter l'instruction et le jugement, les avoués s'y soustrairont. » Nous répondrons d'abord que l'intérêt des avoués est un sûr garant qu'ils ne chercheront pas à éterniser les procès, car, plus l'instruction se prolonge, plus ils attendent la rentrée de leurs déboursés et le paiement de leurs honoraires Les règlements nous paraissent muets sur l'accélération des procédures, contrairement aux intentions de toutes les parties. Quant au Code de procédure, il ne contient à cet égard qu'une seule disposition qu'il est même facile d'éluder, la procédure en péremption des instances pour discontinuation de poursuites pendant trois ans.

Il y a une réponse bien plus satisfaisante encore à opposer à ces craintes vraiment chimériques, elle se puise tout naturellement dans l'intérêt des parties, qui est le véritable motif de toute disposition de loi, assignant des délais fort courts pour l'instruction des affaires. On craint des appels moratoires; il faut éviter que des droits évidents ne soient trop longtemps contestés, et on pense que l'inscription sur le rôle général, la veille du jour de l'échéance et l'appel par l'huissier à ce jour précis, sont un remède indispensable à un mal aussi grave.

On n'a peut être pas réfléchi que si l'intimé veut faire statuer au plus tôt sur l'appel téméraire ou moratoire, si le défendeur veut que la justice prononce dans les délais de rigueur sur le procès qui lui a été intenté, aucune loi ne leur défend de poursuivre l'instance par un simple avenir, et de prendre défaut si les avoués de l'appelant ou du demandeur ne comparaissent pas.

Et d'ailleurs, à quoi peuvent donc aboutir l'inscription sur le rôle général et l'appel fait par l'huissier le jour de l'échéance, si l'avoué de l'appelant ou du demandeur ne veulent pas prendre défaut ? la Cour ou le tribunal ne pourraient, dans tous les cas, qu'ordonner la radiation du rôle, ce qui placerait précisément les parties dans la position dont on veut les obliger de sortir.

Et ne voit-on pas dans combien de cas il serait souverainement injuste de forcer un avoué à faire les frais de la mise au rôle, et surtout à suivre l'instance et à prendre défaut? Un avoué est constitué, soit en première instance, soit en appel. Il n'a que

l'exploit d'ajournement ou l'acte d'appel; il n'a ni pièces ni fonds. Quel est l'article des règlements, des décrets sur le tarif, ou du Code de procédure, qui forcent un avoué à demander justice sans être éclairé par les pièces du dossier, sans être couvert de ses avances?

Lorsqu'un avoué a été constitué, c'est par suite d'un fait indépendant de sa volonté ; il peut avoir des motifs légitimes pour refuser la mission qu'on a voulu lui confier.

Il y a plus; disons toute notre pensée il serait contraire aux véritables intérêts de la morale et de la justice, de forcer les parties à hâter le moment où les tribunaux devront remplir leur noble, mais coûteuse mission. Un ajournement, un appel, peuvent être le résultat d'un instant de mauvaise humeur. Ces actes peuvent aussi devenir un avertissement salutaire pour celui qui se croyait à l'abri de toute attaque nouvelle. Laissons aux parties le temps de se rapprocher. Laissons aux amis le temps de s'interposer; ne traînons pas les plaideurs devant le juge. La loi a déterminé une sage accélération, lorsque les parties la réclament; mais si elles se taisent, respectons cette salutaire lenteur. La trève précède souvent une transaction.

Que si, au contraire, vous forcez le demandeur ou l'appelant à envoyer de suite à son avoué l'exploit, l'acte d'appel, le défendeur, l'intimé devront se mettre en garde contre toute surprise; des droits de consultation seront dûs, des actes de procédure auront été faits; l'objet du procès valait peut-être cent francs, les frais s'élèvent promptement à cette somme. Désormais tout rapprochement est impossible! le mal est irréparable!... Il suffit d'énoncer de semblables conséquences, pour demeurer convaincu que les Cours et tribunaux ont sagement fait de ne pas apercevoir dans le règlement du 30 mars 1808 la disposition que croyait y avoir découverte le rédacteur de la circulaire de 1819.

Quant aux motifs tirés de la statistique, ils tiennent plutôt à la science et à l'organisation judiciaire qu'à l'administration de la justice. En 1808, on s'occupait fort peu de statistique. En 1843 on fait bien de s'en occuper beaucoup, mais l'étude de cette science ne doit avoir aucune influence, ni sur l'instruction des instances, ni sur l'administration de la justice. Les tribunaux sont institués, non pas pour surveiller les procès qui sont in tentés lorsqu'aucune partie ne réclame jugement, mais pour les juger vite et bien, lorsqu'on leur demande justice. Ils ne sont nullement responsables des retards auxquels les deux parties se soumettent. La dignité de la magistrature n'est donc point compromise par l'explication que nous avons donnée de l'esprit et du texte du règlement du 30 mars 1808.

La dignité de la magistrature serait gravement compromise si dos mesures de discipline étaient provoquées contre des offi

« PreviousContinue »