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ger un citoyen qui ne pouvait se défendre, » (Locré Législation civile, t. 20, p. 238, n° 38.)

L'art. 156 prescrit la signification par huissier commis, et l'exécution dans les six mois, à peine de péremption. L'art. 158 admet l'opposition jusqu'à l'exécution du jugement, et l'art. 159 définit les actes d'exécution. Les expressions de ce dernier article «ou enfin, lorsqu'il y a quelque acte duquel il résulte nécessairement que l'exécution du jugement a été connue de la partie défaillante, ont été ajoutées sur la demande de M. Muraire, répondant à M. Treilhard, qui disait dans la discussion au conseil d'Etat : « L'art. 159 explique le mot exécution. L'art. 156 se contente d'un acte quelconque que la partie condamnée n'ait pu ignorer, et qui l'ait avertie de l'existence du jugement, » observation qui fut reproduite par M. Defermont, relativement à l'opposition. (Ibid., t. 31, p. 280 et 352; Voy. aussi Locré, Esprit du Code de procédure civile, t. fer, p. 329.)

Confondant l'exécution exigée par l'art. 156 avec celle dont parle l'art. 158, appliquant ainsi indistinctement l'art. 159, plusieurs auteurs et de nombreux arrêts ont longuement disserté sur les caractères exigés des actes d'exécution. M. Boncenne s'est emparé de l'explication de M. Treilhard, pour soutenir que la connaissance de l'existence du jugement satisfaisait à l'art. 159, dans lequel le mot exécution avait été écrit par erreur. (Théorie de la procédure civile, t. 3, p. 78 et suiv.) M. Chauveau Adolphe, sans méconnaître ce qu'il y aurait de rationnel dans la doctrine de M. Boncenne, a soutenu, avec MM. Pigeau, Thomine et Merlin, qu'il fallait un acte d'exécution connu. (Lois de la procédure civile, t. 2, p. 98 et suiv.) La jurisprudence a généralement adopté cette interprétation de l'art. 159, tout en laissant subsister des doutes sur les caractères distinctifs de l'exécution exigée (Voy. Dictionn. gén. de proc.,, yo Jugement par défaut, nos 232, 235, 243 et suiv., 287 et suiv.)

Mais on n'a pas assez remarqué toute la différence qui doit exister entre l'exécution exigée pour empêcher la péremption (156), et l'exécution jusqu'à laquelle l'opposition est recevable (158).

A notre avis, les difficultés disparaîtraient, si l'on adoptait une distinction que nous croyons aussi légale que rationelle.

La péremption, établie à défaut d'exécution dans les six mois, est une peine, qui n'a pas dû être prononcée contre le créancier faisant des actes exclusifs de tout soupçon de fraude: odia restringenda. L'opposition, admise contre le jugement par défaut, est un moyen de défense, qui a dû être facilité à la partie présumée n'avoir pas bien connu la procédure et la condamnation : favores ampliandi.

Etablissant la péremption, l'art. 156 n'a défini ni limité les

pour

actes d'exécution qui l'empêcheraient ; et il ne l'aurait pu, sans aller contre le but qu'il s'est précisément proposé. Pourquoi en effet cette péremption? Si elle repose sur une présomption de renonciation en faveur du débiteur, la renonciation au bénéfice du jugement ne saurait être présumée, lorsque le créancier exécute le jugement d'une manière quelconque. Si la peine est motivée par la crainte qu'un jugement, surpris en soufflant les copies de l'assignation et de la signification, ne soit conserve pour être exécuté plus tard à l'improviste, qu'importe qué l'exécution exigée pour conserver la vie au jugement ait lieu de telle ou telle façon, puisque l'opposition par le débiteur pourra avoir lieu tant que l'exécution ne sera pas consommée? Est-il donc de l'intérêt du débiteur d'obliger le créancier à aller jusqu'à la vente de ses biens ou l'emprisonnement de sa personne, pour éviter une péremption? et pourrait-on placer le créancier dans l'alternative d'employer les dernières rigueurs contre un débiteur malheureux, ou de faire le sacrifice d'un droit légitime, sanctionné par la justice?

La définition des actes d'exécution ne se trouve que dans l'art. 159. Donnée relativement à l'exécution jusqu'à laquelle ́est recevable l'opposition permise par l'art. 158, la définition devait nécessairement être limitative. En effet, l'exécution ici n'est pas prise comme point de départ d'un délai accordé pour l'opposition, ce qui permettrait d'admettre un acte faisant connaître le jugement, tel qu'une signification : l'exécution ferme la voie d'opposition; donc elle doit être à peu près consommée, au moins quant à la série d'actes qui la constitue, et même être connue du débiteur, désormais privé d'un puissant moyen de défense.

L'art. 159, pour fermer la voie d'opposition, ne se contente pas d'actes d'exécution qui pourraient n'être pas connus ou notoires, tels qu'une saisie de meubles, une saisie immobilière. Dominé par la crainte d'une surprise, il veut un acte duquel il résulte que l'exécution même a été portée à la connaissance du débiteur, v. g., une vente publique de meubles, un écrou, une notification de saisie immobilière. Jusque là il déclare que le jugement n'est pas réputé exécuté, que l'opposition suspend l'exécution. Evidemment il n'a en vue que l'opposition, et nullement la péremption. Comment en effet déclarer périmé, faute d'exécution, un jugement en vertu duquel il y aurait eu saisie mobilière et commencement de vente, saisie immobilière visée mais non encore dénoncée? Ne suffit-il pas que le débiteur, tant que l'exécution n'est pas consommée, puisse demander la rétractation du jugement après examen, et ses droits ne sont-ils pas saufs?

Notre distinction s'accorde avec les explications données dans la discussion au conseil d'Etat, qui s'est terminée par cette

observation de M. Treilhard, sur l'art. 159, spécial pour l'opposition (Locré, t. 21, p. 352) : « On a seulement voulu rassembler toutes les circonstances qui caractérisent l'exécution du jugement et dont il résulte que la partie n'a pu l'ignorer. Ces dispositions sont nécessaires pour guider le juge dans l'application de la règle générale établie par L'ARTICLE PRÉCÉDENT » (l'article 158 portant que l'opposition sera recevable jusqu'à l'exécution). Elle s'accorde aussi avec l'exposé des motifs, qui, sur l'art. 156, n'a suspecté que l'inaction absolue du créancier, et qui, sur l'art. 159, n'a parlé des actes d'exécution que dans leurs rapports avec la voie d'opposition. Elle s'accorde même avec les textes, puisque l'art. 156, exempt de toute définition limitative, est séparé, par un article étranger à la question, de l'art. 158 qui ouvre la voie d'opposition, et de l'art. 159 qui indique les actes par lesquels elle sera fermée.

Cette distinction pourrait concilier les solutions opposées que que l'on trouve dans les ouvrages de procédure et les recueils d'arrêts, au moyen de ce que l'on appliquerait à la péremption celles qui sont les moins rigoureuses, et à l'opposition exclusive celles qui exigent une exécution consommée et connue.

Ainsi, s'agissant de savoir comment doit être empêchée la péremption, on doit décider qu'il suffira d'un acte présentant les caractères d'un acte d'exécution, d'après les principes du droit, et qui soit exempt de tout soupçon de fraude; sans qu'il faille que ce soit un des actes, impliquant à la fois exécution et connaissance de l'exécution, qui sont spécifiés dans l'art. 159.

Un procès-verbal de saisie est un acte d'exécution. Ne doitil pas paraître suffisant pour empêcher la péremption, quoiqu'il n'y ait eu ni vente ni notification? Nous le croyons avec M. Boitard, dont l'argumentation, à cet égard, justifie notre distinction: « Quel est, disait ce jeune professeur, le but de l'art. 159? D'empêcher qu'une condamnation qui a pu être ignorée du défaillant ne devienne définitive, inattaquable à son égard; c'est dans ce but que la loi multiplie les précautions, c'est dans ce but qu'elle entoure l'exécution, dont elle parle, des solennités nécessaires pour que l'opposition devienne non recevable. Au contraire, dans l'art. 156, il ne s'agit pas d'empêcher que la condamnation ne devienne définitive, il s'agit de punir la négligence de celui qui, ayant obtenu une condamnation par défaut, n'en tire aucun parti dans les six mois qui la suivent; or, cette négligence ne peut être imputée, cette peine ne peut être appliquée à celui qui, dans le délai, a fait un acte d'exécution, a fait pratiquer une saisie et dresser procès-verbal. Ajoutons d'ailleurs que, si vous appliquiez à l'art. 156 la définition de l'art. 159, vous iriez tout à fait contre le but de la loi. L'art. 159 est évidemment conçu dans l'intérêt du défaillant, afin d'éviter, autant que possible, les surprises dont il

pourrait être victime, si son opposition était rejetée avant qu'il eût connu la sentence et l'exécution. C'est, dis-je, dans l'intérêt du défaillant, pour l'entourer de toutes les protections, de toutes les garanties possibles, que la règle spéciale de l'art. 159 a été tracée: appliquez cette règle à l'art. 156, et vous arrivez à un résultat contraire. Dites, par exemple, au demandeur qui a obtenu le jugement, que, pour préserver ce jugement de la péremption, il ne suffit pas d'avoir saisi dans les six mois, qu'il lui faut de plus avoir vendu les meubles par lui saisis; le seul résultat possible, c'est d'aggraver la rigueur des poursuites; c'est de multiplier les frais aux dépens du défaillant; c'est, en un mot, de faire tourner contre lui la spécialité d'une disposition que l'art. 159 n'avait écrite que pour lui. » (Leçons sur le Code de procédure civile, t. 1, p. 432.)

La jurisprudence elle-même a préjugé l'efficacité de la saisie, relativement à la péremption, puisqu'elle admet cet acte d'exécution comme excluant l'opposition, dès qu'il a été fait en présence du débiteur, ou autrement porté à sa connaissance, suivant l'art. 159 (V. Paris, 23 juin 1810 et 31 déc. 1811; Montpellier, 20 août 1810; Riom, 2 août 1818 et 12 fév. 1825; Cass. 3 déc. 1822).

Un procès-verbal de carence, régulièrement dressé par un huissier venu pour faire une saisie de meubles, est un acte d'exécution équivalant à la saisie, puisqu'il constate que la matière saisissable manque, caret. Conséquemment, il doit empêcher la péremption, comme l'aurait fait la saisie même. C'est ce que reconnaissent MM. Pigeau (Comm., t. 1er, p. 470), Boncenne (Théorie de la proc. civ., t. 3, p. 81), et Boitard (Leçons sur le Code de proc. civ, t. 1er, p. 433, no 532). C'est ce qu'ont reconnu les nombreux arrêts indiqués par M. Chauveau dans son Dictionn. gen. de proc., vo Jugement par défaut, nos 259-267), et ceux postérieurs, des 1er déc. 1835, 30 janv. et 9 juin 1837, 27 déc. 1838, 27 mai 1840 et 3 août 1843 (J. Av., t. 50, p. 120; t. 53, p. 482; t. 55, p. 640; t. 57, p. 431 et infra, p. 220).

L'unique difficulté, à l'égard du procès-verbal de carence, doit consister à savoir si cet acte d'exécution peut produire tous ses effets par lui-même, indépendamment de toute notification au débiteur. La notification serait nécessaire suivant la doctrine restrictive de MM. Merlin (Répert., v° Péremption, sect. 2, § 1er.) et Carré (Lois de la proc. civ., t. 1, p. 400, note 3) mais ces auteurs ne se fondent que sur l'art. 159; or, il est démontré que cet article n'est relatif qu'à l'exécution qui ferme la voie d'opposition; et si plusieurs des arrêts précités ont jugé utile la présence du débiteur à la rédaction du procès-verbal de carence, ou la notification de ce procès-verbal au débiteur ou à quelqu'un ayant qualité pour la recevoir,

c'est plutôt comme garantie de sa régularité ou de son exactitude, que comme condition exigée pour empêcher la péremption aussi bien que l'opposition.

Mais on nous soumet une question tout autre : celle de savoir si l'exécution par un procès-verbal de carence suffit, quand il y a des immeubles susceptibles de saisie.

Sur cette question spéciale, il n'existe à notre connaissance que deux arrêts: l'un de la Cour de Bruxelles, du 26 janv. 1822, (Journal des arrêts de cette Cour, t, 1 de 1822, p. 149.) qui a jugé suffisant un procès-verbal de carence, quoiqu'il y eût des immeubles, par le motif qu'ils étaient sous le séquestre national et conséquemment insaisissables, ce qui pourrait fournir un argument à contrario; l'autre de la Cour de Caen, du 17 avril 1826 (Journal des arrêts de Rouen et Caen, p. 183), qui a positivement déclaré insuffisant un procès-verbal de carence, parce que le débiteur possédait des immeubles.

Cette décision nous paraît contraire aux principes qui doivent prévaloir.

Que veut la loi, dans l'art. 156? Un acte d'exécution, prouvant que la créance pour laquelle il a été pris jugement est sérieuse.

Exige-t-elle que le créancier, pour éviter la péremption, fasse tous les actes possibles d'exécution? Non ce serait faire tourner contre les débiteurs une disposition introduite dans leur intérêt.

Une saisie consommée suffirait assurément, quoiqu'il y eût ailleurs des meubles saisissables, et même un auteur admet comme suffisant le procès-verbal de carence dressé au domicile du débiteur, malgré l'existence notoire de meubles à lui appartenant dans un autre lieu (Poncet, Des Jugements, t. 1er, p. 820): elle devrait suffire de même, quoiqu'il y eût des immeubles susceptibles de saisie, car la nature et la consistance des propriétés diverses d'un débiteur est indifférente pour l'efficacité de tel acte d'exécution sur telle chose déterminée; et l'expropriation des immeubles est un moyen extrême, qui ne doit être employé qu'en cas de nécessité absolue. (Voy. C. civ., 2204 et suiv.)

Quel serait donc le motif pour exiger la saisie immobilière, après un procès-verbal de carence équivalant à une saisie de meubles? Nous le cherchons vainement.

Serait-ce que le procès-verbal de carence n'est pas un acte d'exécution à proprement parler? Mais on lui reconnait bien ce caractère quand il a été connu du débiteur. Or, la connaissance d'un acte n'est pas ce qui le caractérise, et l'art. 159 lui-même fait résulter l'exécution connue, non pas de la connaissance donnée de tout acte fait en vertu du jugement, mais de celle d'un acte qui implique exécution effective.

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