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tur, il ne peut lui rester pour alternative que le

néant ou l'enfer.

Or, est-il possible que l'homme envisage de sang-froid une telle perspective, qu'il ne daigne faire aucune recherche, pour savoir s'il doit être anéanti ou malheureux pour l'éternité, et que, voyant la possibilité, même la probabilité d'un état qui pourroit le soustraire à l'alternative du néant ou de l'enfer, et le rendre éternellement heureux " il ne se soucie pas de s'en assurer, et de prendre les moyens propres à l'en mettre en possession? Cet état d'apathie et d'insensibilité sur un objet qui intéresse aussi essentiellement l'homme, tient de la folie et de la stupidité; car voici comme raisonne Thonime qui s'y abandonne.

« Je ne sais par quelle cause et pour quelle » fin j'existe ; j'ignore quel sera le terme de ma vie et mon sort après la mort; tout ce que je »sais, c'est que la vie est courte, que chaque mo»ment peut en être le dernier, et qu'à ma mort, » je tomberai infailliblement dans le néant ou dans » T'enfer pour l'éternité, si je vis sans m'occuper. » de mes destinées éternelles. D'où je conclus que je ne dois mettre aucune importance à m'occuper de mon sort après cette vie

» La Religion enseigne, et tous les Chrétiens > croient que l'on peut éviter l'alternative terrible » du néant ou de l'enfer, et parvenir à une vie, » éternellement heureuse mais je ne suis pas

certain que cette vie existe; je ne dois donc » pas m'en instruire, ni rien faire pour la mériter; » je dois vivre au gré de mes desirs, sans réflexion » et sans inquiétude, faire tout ce qu'il faut pour » m'exclure du bonheur éternel, et me précipiter » dans le plus affreux malheur, si ce qu'on nous » dit du ciel et de l'enfer est vrai; ne me réser» vant, dans mon incertitude, que l'alternative » du néant ou de l'enfer. D'après cette précau» tion, je vais passer mes jours dans l'insouciance

sur

» sur ce qui m'arrivera après ma mort, et tenter, >> sans crainte et sans prévoyance, un si grand évè

» nement. »

Peut-on imaginer quelque chose de plus extravagant que cette manière de raisonner?

D. L'homme qui s'abandonne à l'état de doute sur la vérité de la Religion et l'existence de la vie future, ne peut-il pas raisonner autrement, et supposer que dans l'hypothèse de la vérité de ces deux choses, l'indifférence dans laquelle il aura vẻcu, ne sera pas un obstacle à son bonheur et une cause de malheur pour lui?

R. Non; cette supposition ne peut se concilier avec la vérité de la Religion, ni avec les motifs qui établissent l'existence d'une autre vie.

La Religion, en effet, enseigne que, sans la foi et les bonnes œuvres, l'on ne peut-être sauvé. Donc si la Religion est vraie, l'homme ne peut espérer de salut, en s'abandonnant volontairement au doute sur les vérités qu'elle enseigne, et en négligeant les œuvres qu'elle prescrit.

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L'existence de la vie future est fondée sur la divine Providence, qui doit juger l'homme, et le punir ou le récompenser selon ses œuvres. Or quelle peut être au tribunal de Dieu, l'excuse d'un homme qui aura affecté d'ignorer la vérité d'une Religion qui lui a été annoncée au nom de son Créateur et qui en aura méprisé les graces et transgressé les préceptes; qui n'aura pas daigné examiner la fin pour laquelle il existe, ni prendre aucun moyen pour la remplir ? Cette insouciance est outrageuse à Dieu contraire à la raison, à la conscience, à la voix de la Nature; elle est un abus des dons du Créateur une dégradation de la dignité de l'homme un crime devant Dieu et par conséquent une cause de condam

nation.

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Il est donc certain que, dans l'hypothèse de la vérité de la Religion et de l'existence de la vie fu

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ture, l'homme qui s'abandonne au doute et à l'ins différence, ne peut s'attendre qu'au malheur éternel. D. Mais tant que l'homme est dans le doute sur l'existence d'une vie future, ne peut-il comme s'il n'y en avoit point?

pas agir R. Non; en vivant ainsi, il ne se réserveroit que la chance du malheur, pour le cas de la réalité de la vie future, ce qui seroit une horrible extravagance. La raison veut que, dans le doute, on prenne le parti le plus sûr, et que l'on ne s'expose pas au malheur que l'on peut éviter. La sagesse humaine ne s'écarte jamais de cette règle lorsqu'il s'agit des intérêts, toujours bien foibles, de la vie presente: pourquoi s'en écarteroit- elle, quand il s'agit des intérêts infiniment supérieurs de la vie future? Si vous doutiez qu'un mêts fût empoisonné, en mangeriez vous? Si vous doutiez qu'un chemin vous conduisit dans un précipice, dans un antre de voleurs ou d'assassins, vous y engageriez-vous? Eh bien ! comparez la vie immortelle de l'ame avec la vie périssable du corps, la perte du ciel avec

celle de votre fortune, les tourmens éternels de l'enfer avec les douleurs momentanées d'une mort violente; et jugez quel seroit l'excès de votre folie, si, dans le doute sur la réalité de l'alternative d'une vie éternellement heureuse ou malheureuse vous viviez de manière à vous exclure de la vie heureuse, et à courir l'affreux danger de la vie éternellement malheureuse. Dans la vie passagère, une folle témérité expose à des malheurs passagers: en matière de Religion, la peine de la folie est éternelle.

D. Faut il donc sacrifier le certain pour l'incertain, et renoncer aux jouissances de la vie présente, dans l'incertitude de la future?

R. Qui, sans doute; il faut sacrifier le certain, pour l'incertain, quand le certain est d'une valeur infiniment moindre que celle de l'incertain, et que l'on ne pourroit en jouir, sans s'exposer à la perte

d'un plus grand bien, ou à un très-grand malheur. Ainsi l'on jette sagement à la mer quelques marchandises, de peur de tout perdre dans un naufrage; vous renonceriez au plaisir de boire d'une liqueur, s'il vous naissoit un doute fondé qu'elle fut empoisonnée; vous ne voudriez pas vous procurer le plaisir d'une danse ou de tout autre amusement sur un lieu infecté d'insectes venimeux, ou semé de précipices. Il est mille exemples de situation où l'homme ne pourroit, sans folie, refuser le sacrifice de quelques intérêts certains, pour éviter le danger de quelques pertes incertaines, ou de quelques malheurs d'un ordre sepérieur. Or la sagesse ne doit pas abandonner l'homme quand il s'agit de ses intérêts éternels, et plus ces intérêts sont importans plus il y auroit de folie à leur préférer, même dans le doute, des avantages momentanés.

Quel sacrifice l'homme est-il d'ailleurs obligé de faire à la croyance ou à la supposition d'une vie future? Le seul sacrifice du crime. Mais ce sacrifice peut-il nuire au vrai bonheur; même dans la vie présente ? Est-il vrai qu'un homme qui, par principe de Religion, ne se permet que les jouissances honnêtes, qui ne met pas son bonheur dans la satisfaction des passions, et qui se console des misères inséparables de cette vie par l'espérance d'une meilleure soit réellement plus malheureux que l'impie qui s'abandonne à la tyrannie des passions, qui vit dans le trouble et les agitations du crime et se trouve, lorsqu'il est dans l'adversité et sur tout dans les maladies et à la mort, sans appui et sans consolation? La conscience et une expérience bien connue nous assurent du contraire, et il est indubitable que l'homme, sage, qui se met à l'abri du malheur pour la vie future, travaille par là même à son vrai bonheur pour la vie présente.

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D. N'y a-t-il pas de la foiblesse, de la pusillanimité à s'occuper, comme le vulgaire, de son

sort pour la vie future, et n'est-il pas d'un homme courageux, d'un esprit fort d'en braver l'évènement?

R. C'est un étrange abus du raisonnement, que de donner le nom de foible et de pusillanimité à la prévoyance de l'homme qui se met à couvert du plus affreux malheur. N'est-ce pas au contraire prudence, sagesse et devoir; et s'exposer témérairement à ce malheur, le braver, le provoquer, n'estce pas frénésie et démence?

L'impie rougiroit de penser et d'agir comme le vulgaire mais les fous aussi et les frénétiques ne pensent et n'agissent pas comme les autres hommes. En s'écartant du sens commun, acquièrent-ils droit à la réputation d'hommes courageux. et d'esprit forts; ou n'est-ce pas plutôt en cela que consiste leur folie et leur extravagance? Ceux-ci du moins n'ont pas une folie volontaire, et ils n'ac cusent pas de foiblesse et de pusillanimité ceux qui ne sont pas atteints de leur délire.

Mais à qui l'impie peut-il en imposer sur le principe de son indifférence! Il est bien manifeste qu'il n'éloigne la pensée et ne néglige le soin de ses intérêts éternels, que pour s'éviter la peine de combattre ses opinions et s'affranchir des travaux et des sacrifices qu'exige la Religion : ce n'est donc pas même, de sa part, un aveugle courage et une funeste bravoure ; c'est une honteuse foiblesse et une vraie lâcheté.

Pour rendre plus sensible, par une comparaison, la conduite extravagante de l'homme indifférent sur son sort éternel, que penseroit-on d'un homme qui braveroit sans nécessité sans motif une mort cruelle ? Appeleroit-on cela courage, force d'esprit, ou folie ? Où est donc la raison la philosophie, la prétendue force d'ame des hommes qui, pour des plaisirs passagers et méprisables, renoncent systématiquement à la probabilité, même, si l'on veut, à la simple possibilité de possé

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